Oncle Dan relève le défi #95
Bien
chers Tiphaine, Janeczka,
Valecrit,
Walrus,
Old
Papistache, Mapnancy,
et
à vous tous, amis du Défi du Samedi,
Vous
connaissez tous ces petits ordinateurs pour enfants avec lesquels nos
tendres chérubins font de la musique et s’instruisent en
s’amusant.
Ces
jouets modernes présentent la particularité de
dialoguer avec nos informaticiens en herbe. Ils ont cet accent
particulier aux androïdes enroués dans les films de
science fiction : “ Choisis ton jeu. Appui sur la case
rouge. Non, recommence. Non, recommence. Non, recommence ... ”.
Eh
bien, figurez-vous, bande de sceptiques incrédules, que je me
suis donc rendu, comme tous les cinq ans, à la visite médicale
obligatoire du Ministère. Je répondais ainsi à
la convocation d’un infirmier à l’inexactitude
scrupuleuse. Comme tous ceux qui m’y ont précédé
et tous ceux qui m’y suivront, j’attendais mon tour dans un
étroit couloir encombré de cartons d’archives et de
ramettes de papier pour photocopieur. Il y faisait une chaleur toïde,
sans le moindre souffle d’air.
C’est
alors que cette voix métallique et monocorde, si
caractéristique de ces petits robots informatiques et
reconnaissable entre toutes, traversa l’une des nombreuses portes
qui bordaient le couloir.
J’étais
outré, mais nullement étonné que ces
tire-au-flanc des services sociaux s’amusent pour passer le temps
avec les jouets de Noël destinés aux enfants du
personnel. N’importe quelle mauvaise langue vous confirmera que les
gens qui ont le bonheur de se faire affecter dans les services
sociaux du Ministère accomplissent tous les actes de leur vie
professionnelle dans une douce quiétude.
Il
faut vous dire qu’à part deux ou trois voyages d’agrément
organisés dans l’année, la principale occupation de
ces gens là est d’acheter au prix le plus bas, dès le
mois d’avril, les jouets de Noël qui seront distribués
en fin d’année.
C’est
avec une belle persévérance que notre amateur de jeux
électroniques s’amusait car j’entendais sa machine lui
parler à intervalles très réguliers. Toutefois,
les portes étant fermées, cette conversation me
parvenait de manière confuse et inintelligible. Il m’était
impossible de discerner ni même d’interpréter le
moindre mot que ce traître à l’administration
laborieuse tirait de sa machine.
Je
n’en avais cure, mais cela m’aurait aidé à tuer le
temps que je commençais à trouver un peu long dans ce
sinistre couloir surchauffé. Mes compagnons d’impatience
l’avaient quitté un à un sur l’invitation d’une
aimable doctoresse.
J’avais
hâte de la rencontrer car je n’avais trouvé, pour
m’occuper, que l’observation des imprévisibles
déplacements d’une mouche cantharide sur une affiche
représentant un individu écorché vif avec un
chapeau breton dissimulant son appareil reproducteur. Une de ces
affiches comme on en trouve souvent dans les salles d’attente du
corps médical.
Enfin,
je pense que c’était une mouche à merde, car le
contre-jour et mes faibles connaissances en matière d’insectes
ne me permettaient pas de distinguer s’il s’agissait d’une
Fannia canicularis, d’une Poecilothus nobilitatus ou
d’une vulgaire Musca domestica. Je vous sens passionné,
toutefois je puis vous assurer que cette précision ne me
paraît pas de nature à décupler l’intérêt
de mon récit.
Mon
tour fut long à venir, mais il arriva.
La
doctoresse m’invita à m’asseoir dans un minuscule bureau
qui avait du être repeint au XIX° siècle, environ.
Elle consulta ma fiche dont les dernières annotations
remontaient à une époque où le monde et moi
étions beaucoup plus jeunes.
Après
m’avoir posé quelques questions très indiscrètes
mais fort heureusement peu nombreuses, telles que Combien
pesez-vous ? et Prenez-vous des médicaments ?
(A la réflexion, je crois que ce sont les deux seules
questions qu’elle m’ait posées.), elle me proposa un
examen de la vue.
Soit,
voyons voir.
Je
n’allais pas décliner une telle invitation après une
si longue attente, et pour tout vous dire, j’attache la plus grande
importance à la préservation de mes propres yeux,
puisque c’est ceux-là que j’utilise pour vous admirer
lorsque l’occasion m’en est donnée.
Alors
que je m’attendais à ce qu’elle se lève, se
saisisse d’une longue baguette en roseau ou en toute autre matière
(peu m’importait), et me prenne pour un imbécile en me
demandant si je pouvais lire l’énorme lettre Z qui se
trouve habituellement en haut de leur traditionnel tableau de
lecture1,
cette faignasse ne bougea pas de sa chaise et me montra un appareil
bizarre, que je n’avais jamais vu, sauf peut-être dans le
film Oranges mécaniques.
Elle
me demanda de poser mon menton là, et d’appuyer mon front
ici, afin d’avoir les yeux bien en face de l’énorme
jumelle au fond de laquelle apparurent subitement des lettres, comme
par magie.
Mince
alors.
Je
faillis sursauter lorsque cette machine, froide et inhumaine, se mit
à me parler :
J’énonce......les
lettres.......qui apparaissent.
En
cas d’erreur......appuyez sur......le bouton......bleu.
Comment
vous expliquer ? C’était si étrange... Cette
machine me parlait avec cet accent particulier aux androïdes
enroués que l’on voit dans les films de science fiction...
Une voix métallique et monocorde, si caractéristique de
ces petits robots informatiques avec lesquels jouent nos chères
têtes blondes... Une voix reconnaissable entre toutes !
Bah !
Des erreurs, j’en ai fait ! Et comme le dit si bien Woody
« D’abord, je suis né. Première
erreur ! »
Olivier
1 Les derniers caractères, à l’autre extrémité, sont microscopiques et ne sont utilisés que pour la rédaction des contrats d’assurance.