L'embarras du choix (Paspistache)
“Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage.”
Fin
John-John Smith reposa, sur le maroquin élimé du bureau, son stylo-plume Parker — celui que son père lui avait acheté au monoprix de Saint-Symphorien-le-Château pour son entrée en 6e — . Le roman qui occupait ses jours depuis plus de huit mois était enfin achevé. Il allait pouvoir reprendre une vie sociale : aller au cinéma — tant de nouveautés lui avaient échappé — ; diner avec ses amis — il ne sortait pas de sa chambre tant que l‘œuvre sur laquelle il planchait n‘était pas achevée ; goûter les myrtilles des Vosges — il repoussait depuis trop longtemps la proposition de sa petite sœur exilée à Remiremont ; accompagner Sylvie en Toscane —elle n’osait même plus lui en parler— ; accepter cette tournée des plus prestigieuses universités européennes que son éditeur et ami tenait tant à lui voir effectuer ; traverser la Mongolie à dos d’âne avec Florence — son amie d’enfance — ; diriger la caravane qui localiserait, enfin, la météorite géante que Théodore Monod chercha en vain toute sa vie ; balayer le désert de cailloux du plateau de Nazca ; enchaîner — en costume d’époque— les périples historiques de la conquête des pôles de Roald Amundsen, Robert Peary et Frederick Cook en une seule saison ; collecter l’intégralité des déchets spatiaux en orbite terrestre à l’aide du révolutionnaire filet en dentelle du Puy mis au point par son voisin, professeur émérite au Small House’s Institute ; au risque de voir sa masse tendre vers l’infini, accélérer l’allure, doubler l’instant T zéro et tutoyer le Grand Ordonnateur des Choses...
On frappa à la porte ; bien qu’il ne fût pas le dernier homme sur la Terre, John-John Smith sursauta. François, l’aide-soignant de jour, ouvrit sans attendre que quiconque l’y invitât :
— Votre thé, Monsieur John. J’ai pris la liberté de remplacer les sablés bretons par des petits Lu, nous sommes en rupture de stock... vous comprenez... les vacances d‘été qui se profilent, l’inventaire... à moins que vous ne préfériez une madeleine de Commercy.
L’odeur du thé noir chatouilla agréablement les narines de l'écrivain. Des petits Lu ? il n’en avait pas trempé dans sa boisson de 17 heures depuis le dernier inventaire, en juin de l’année précédente ; une madeleine ? c'était tentant également. John-John Smith actionna la manette électrique de son fauteuil roulant ; le gouter serait servi près de la fenêtre : 2,50 m ; il réfléchirait pendant le trajet et annoncerait sa décision à François...