Le génie de la flasque (Lecrilibriste)
Parfaitement Clair ou totalement éméché,
Qu'on se le dise, Edouard savait décider
Quand il prenait une décision et pour être sûr de ses choix, Edouard avait deux options
- soit, il était parfaitement à jeun, et jugeait l'avancée de l'affaire, et ses conséquences, à froid avec morgue mais sans lucidité - soit il était totalement aviné, et dans ce cas particulier, allez savoir ce qui se passait, ses décisions étaient parfaitement justes et tranchées
Alors que d'autres complètement beurrés ne savent plus où ils habitent, Edouard, lui, savait où il mettait les pieds. Même s'il marchait de travers et tanguait, un étrange sixième sens éclairait son cerveau embrumé, et il avait la préfiguration de ce qui allait arriver.
On dit qu'il y a un bon Dieu pour les ivrognes, mais celui d'Edouard était fort en besogne, les vapeurs de l'alcool agissaient sans vergogne bien mieux que le marc de café car jamais il ne se trompait. Comme la lampe d’Aladin, sa flasque contenait un génie caché qui lui soufflait la vérité mais pour tous, comme pour lui, c’était un secret…
Il y avait surtout une circonstance qui le désolait, un cas pathologique se présentait lorsqu' il était moitié moitié … C’est-à-dire ni clair en plein, ni totalement aviné … Il balançait entre les deux clichés et ne savait plus décider
Assis entre deux chaises Edouard hésitait, une fesse à droite, une fesse à gauche, l'inconfort arrivait Edouard se tortillait. Il pesait le pour, pesait le contre tellement perdu entre brouillard et clarté que toute vérité se dissipait, que toute décision se dissolvait. Il bégayait, tâtonnait, bredouillait, baragouinait, son discours n’était que balbutiements car la peur épouvantable de se tromper le tiraillait… Et C'était une vraie calamité car il était juge de paix !
Jugez !
Clair il était sans état d'âme et jugeait avec morgue mais sans lucidité.
Moitié, moitié, il ne savait plus décider, ni juger
Beurré il devenait extralucide et savait ce qui allait se passer ! Il arrivait même à savoir si le condamné n'avait rien fait de ce qu'on l'accusait.
Et c'est cela qui lui plaisait... Connaître toute la vérité !
Déprimé, totalement désemparé, un jour où il avait pris une abominable muflée suite à une affaire mal jugée, Edouard décida de démissionner, de laisser pour de bon sa robe de magistrature et d'ouvrir un cabinet particulier où il prédirait l'avenir à ses clients.
Il fit immédiatement fortune…
Les jaloux lui prêtaient une étrange habitude...
Celle d'avoir une flasque dans un tiroir, près de sa main, toujours à sa portée. Pourtant personne ne connaissait son secret, car c’est entre deux consultations qu’il buvait…
Et ça marchait ! Jamais il ne se trompait … Les clients se multipliaient…
Mais au cours d’une consultation que lui avait demandée un de ses pairs ... Un juge de paix très renommé mais qui, dans le secret de son égo, toujours hésitait …
Edouard, se remémorant ses affres d’incertitudes hésita à boire une lampée, à cause de ce juge de paix qui l’impressionnait à cause de sa renommée.
Pendant la consultation où il hésitait, perdu entre brouillard et clarté, il se mit à bredouiller à transpirer, à s’enfiévrer, à balbutier et fut soudain pris d’une crise de délirium tremens qui le terrassa sans pitié… S’accrochant à sa flasque, il but une lampée …
Edouard mourut sans hésiter …
Le génie de la flasque s’était vengé de s’être senti tout à coup ignoré et délaissé.