Par les chemins creux.(Yvanne)
Quelle belle journée !
Je viens de déambuler pendant plus de deux heures sur les sentiers de mes Saulières. Après des semaines de pluie et de boue il est quand même plus agréable de marcher sur des chemins asséchés.
Je longe le vieux prieuré qu'ici on appelle le château sans doute parce qu'il appartient depuis longtemps à une famille bourgeoise. Mais moi je n'oublie pas son histoire et les moines qui l'habitèrent. Son emplacement avait été judicieusement choisi à l'écart de toute vie humaine, au milieu des pins sylvestres, des chênes et des châtaigniers. Il domine une colline dont les contours se couvrent de bruyère mauve en été le rendant d'une beauté surprenante dans sa sobriété. Ses siècles de présence discrète, cette solennité qu'il conserve m'émeuvent et m'intriguent. Et m'inspirent aussi.
Je rejoins ma souche cachée dans les buissons en bordure du bois. Elle est moins prestigieuse que les murs antiques du prieuré mais elle est essentielle pour moi. Voilà quelques années, je l'ai sauvée d'une mort certaine en la faisant rouler du haut du taillis où elle pourrissait, figée, jusqu'au bord du chemin où elle a séché et entamé une seconde vie. Depuis, elle m'attend tranquillement et je ne manque jamais de m'y poser pour un temps plus ou moins long . Je m'installe dans le creux du rondin tiédi par le soleil de cet après midi. Maintenant, reposée, j'écoute, je regarde, je respire dans un silence qui incite à la contemplation. Je sors de mon sac mon carnet et mon stylo pour y transcrire mes émotions.
Tout au long de ma balade j'ai pu éprouver d'imperceptibles changements dans l'air. Voilà les balbutiements du printemps. Des indices subtils le révèlent par petites touches. La Nature, indifférente et laborieuse, œuvre en catimini à sa survivance. Le ciel se pare en mosaïque de légers nuages blancs qui dévoilent à leur guise des pans de bleu couleur dragée. Le soleil, encore un peu pâle mais taquin a décidé de me faire de l'œil à travers les branchages. Au loin, le petit ruisseau jase. Il a abandonné sa grosse voix des jours de pluie. Même les parfums ont changé. L'odeur de putréfaction, intense jusque là, s'amoindrit pour laisser place à des senteurs plus nuancées de verdure et de renouveau. Tout près, dans le buisson qui me dissimule un peu, une goutte de rosée s'attarde, chamarrée de couleurs changeantes. Des toiles d'araignée scintillent et se balancent mollement sur un arbrisseau prisonnier d'une clématite sauvage. On voit poindre, très timidement, un soupçon de bourgeon sur l'attachant parasite.
Sans rompre ce charme paisible, les oiseaux trillent avec vigueur et harmonie. Amusée, j'observe le manège de deux mésanges charbonnières, vives et colorées, allant et venant sans cesse d'un arbre à l'autre. Sans doute le couple s'est déjà formé. J'aurais bien voulu assister à la parade nuptiale du mâle mais il est visiblement trop tard. Je pense qu'ils cherchent fébrilement le meilleur endroit pour construire un nid douillet et sûr pour leurs oisillons.
Je sais, tout là haut, pour l'avoir aperçu quelques fois un écureuil dans le creux du châtaignier qui me fait face. Il n'a pas encore vraiment quitté son logis où il termine ses provisions d'hiver. Bientôt il va sortir de sa léthargie pour s'accoupler et se reproduire comme tout ce qui vit ici.
Dans le pré minuscule, de l'autre côté du chemin , l'herbe pousse, drue et d'un vert cru. Les fleurs de pissenlit s'épanouissent, souveraines, tandis qu'à leurs pieds les fragiles pâquerettes étoilent, leur corolles blanches luttant par leur nombre contre le jaune lumineux des dents de lion qui les dominent. Curieuse et simple rivalité des fleurs.
Ce n'est pas ma saison préférée cependant je quitte à regret ma vieille amie la souche, le cœur plein d'allégresse. Je laisse le printemps semer de jour en jour et de façon plus éclatante ses rêves d'espérance et d'amour dans cette Nature qui le reçoit pour une union féconde et immuable.