Apprentissage (Walrus)
Jusque là, les Portugais que j'avais rencontrés parlaient tous français, comme par exemple le patron du restaurant de Bruxelles où j'avais commandé un plat "typique" à base de bacalhau et qui m'avait glissé discrètement à l'oreille un peu inquiet "Vous en avez déjà mangé ?" ou mon collègue chef du labo de notre usine des environs de Lisbonne qui avait fait une partie de ses études à Liège (et d'ailleurs, les Portugais de sa génération qui avaient fait au moins des études secondaires avaient pour la plupart choisi "français deuxième langue") donc, tout baignait (de morue*), si j'ose dire.
Mais, quand au sortir de l'aéroport de Lisbonne j'ai demandé au premier taximan local venu de me conduire à Povoa de Santa Iria (c'est dans ce bled le long du Tage que se situe notre usine où je devais participer au démarrage d'une installation de production d'eau oxygénée), le mec a eu l'air de tomber des nues et, me tendant un bout de papier arraché à l'emballage de son repas de midi, il m'a fait signe de lui écrire la chose. Je me suis donc exécuté et à la lecture de mon gribouillage, le gaillard s'est exclamé "Aaah, Santa IrÎÎia !".
Première leçon : nous, pauvres francophones au langage sans relief ne pouvons pas imaginer l'importance de l'accent tonique dans cette langue étrange qu'est le portugais. Ainsi, prenons un prénom plus que courant : Maria, celui de la vierge Marie et de la petite dame portugaise (que fofinha** !) qui vient chaque jeudi matin entretenir notre appartement (et accessoirement, sans supplément de gages, la conversation avec mon épouse). Vous savez comment ça se prononce en portugais ? .... "MèrÎÎia". Si bien qu'au labo de l'usine dont je vous parlais tout à l'heure le prénom de ce gusse que j'entendais appeler à longueur de journée "Zémériiia" était en fait "José-Maria".
Mes connaissances dans la langue lusitanienne auraient pu en rester là s'il n'y avait pas eu mon ami René. Voilà-t-y pas que cet énergumène achète un appartement en time sharing en Algarve et qu'il nous invite à venir y passer deux semaines chaque année en mai. Casanier comme je suis, je tentais de résister quand son épouse se paie la "longue et pénible" maladie du siècle. À elle je n'ai pas eu le cœur de refuser et pendant une vingtaine d'années (bien que l'initiatrice soit décédée après notre troisième séjour) nous avons fréquenté le Portugal, avec bonheur, je dois bien l'avouer : un pays splendide peuplé de gens d'une extrême gentillesse.
Du coup (comme on dit parfois aujourd'hui hors de propos) mon vocabulaire portugais s'est grandement enrichi, surtout, je dois bien l'avouer, dans un domaine assez particulier, je vous en fais un échantillonnage impromptu :
Robalo, espadarte, peixe espada, tamboril, salmonete, ameijoas, cavala, sardinha, atum, chocos, camarao, lula,
Stop ! Ouais, mais on ne se refait pas : si j'ai le choix entre visiter des monuments historiques et écumer les étals du coin poissonnerie des mercados, il est vite fait le choix ! Le problème, c'est que tout ça n'est pas facile à glisser dans la conversation, mais je m'en fous : je ne parle pas la bouche pleine !
*En portugais, les beignets de morue, ce sont des "Pasteis de bacalhau" (attention : um pastel, dois pasteis), un truc que je réussis assez bien puisqu'un jour, Luis Ferreira da Silva, le mari portugais de notre "deuxième fille", m'a déclaré (discrètement) "Ils sont meilleurs que ceux de ma mère..." pobrezinho !
** Mot appris au contact de ma "deuxième fille" (dont on comprend immédiatement qu'elle n'est pas vraiment ma fille : c'est une "tête"!) et de son mari (rencontré quand ils œuvraient tous deux chez Mc Kinsey) qui se donnaient mutuellement ce petit nom (avec adaptation du genre bien sûr). Le contact, ça aide : en quelques mois, la gamine parlait couramment le portugais, une tête je vous dis !