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Le défi du samedi
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17 décembre 2016

La chaise la table et le lit Pièce en trois actes (Pascal)


…« Enfin, mesdames et messieurs, c’est le moment que vous attendiez tous. Nous voici devant le couronnement de cette vente aux enchères. Découvrez l’objet, Myriam…

Mesdames et messieurs, admirez cette chaise exceptionnelle, que dis-je, ce fauteuil extraordinaire ! Remarquez les quatre pieds finement ciselés, la courbure du dosseret en véritable bois d’arbre, cette ronde des clous aux têtes arrondies et mordorées, ajustée au millimètre !...  
Ce n’est pas une chaise de repos, un vulgaire stationnement pour entracte, non, c’est une invite à l’excursion contemplative ! Dans cette chaise, nous ne sommes pas assis, nous sommes détendus ! Vous saisissez la nuance ? C’est une invite à la rêverie, au voyage, à la décontraction ! Nous ne sommes plus assis, nous sommes posés ! En avant l’aventure !
Cette chaise propice deviendra l’amie de vos lectures, la confidente de vos secrets, l’alliée de vos gémissements…
Admirez ses couleurs ! Appréciez toutes ces déclinaisons pittoresques ! Ces grenats, ces lilas, ces vermeils ! Ce n’est plus une chaise, c’est une palette d’impressionniste ! La matière y est chahutée, comme une vague rubiconde insatiable, dessinant des projets d’avenir, supputant des attouchements délicieux ou enterrant des basses faveurs sans lendemain !

Si nous possédons la paire ?... Ha, madame est une connaisseuse… Oui, je comprends ; avoir le cul entre ces deux chaises, ce serait déjà ne plus savoir se décider entre l’excellence et la perfection…  
Oui, madame, cette chaise d’alcôve, c’est l’outil indispensable à la séduction ! Auprès de dames célèbres, dont je tairai le nom, on dit que Casanova s’est agenouillé devant cette chaise pour déclamer des avances, des poètes énamourés y ont murmuré des madrigaux de belle facture, des maris cocus ont reconquis leurs épouses !... Vous pourrez croiser et décroiser les jambes, laisser crisser vos bas en des plaintes insoutenables, soupirer avec ses grincements incessants, et tous les hommes seront à vos pieds !… Faites une démonstration, Myriam… Non ?... On en reparlera, Myriam…

Et vos flatuosités, madame, puisqu’il faut en parler aussi ! Elles seront anonymes ! Elles seront amorties dans le tissu, distillées dans la mousse contondante, évacuées en simples vesses silencieuses et odorantes puisque l’armature est en bois de rose ! Faites un essai, Myriam…

N’appréciez-vous pas l’aura trouble qui se dégage sournoisement de ce meuble ? Ne savourez-vous pas tous ces parfums corrupteurs se prélassant encore sur cette peluche accueillante ? Ne donne t-elle pas envie d’être caressée, de passer la main seulement pour froisser son velouté en de multiples et voluptueuses arabesques ?... Retournez l’objet, Myriam…

La partie pile est un peu la face cachée de cette fabuleuse chaise ! Le tissu est ajouré et c’est un peu le rideau entrouvert du spectacle de toute la machinerie cachée dedans. Les ressorts multispires en acier trempé sont astucieusement organisés sous le rembourrage ; ces fameux ressorts se positionnent exactement à la pression de votre séant ; n’était-ce pas une avancée technologique considérable pour ce siècle ?...  
Comment ? Oui, sans doute du dix-huitième ou du dix-neuvième ?... Mais non, madame, ce n’est pas l’arrondissement…
Comment ? Made in Taïwan ? Mais c’est le nom secret de l’artiste ébéniste qui a effectué cette œuvre, madame !...

Son bois craque ? Madame, c’est normal ! Le bois se régénère, il respire l’ambiance, il s’adapte à l’environnement, il appartient à l’espace !
Elle est bancale ? Mais non, madame : ayez une vision plus philosophique de la chose ! Elle se penche vers l’intemporalité du moment ; cette insignifiante bascule est un tremplin vers le passé, un pont entre l’ancien et le futur, un trajet aventureux sans fin !...
Tous ces petits trous noirs, ici et là ? Des vrillettes ? Des vrillettes, peut-être, madame, mais des vrillettes d’époque ! Cette chaise est dangereuse ? Mais non, madame ! Assoyez-vous, Myriam… Démontrez à madame comme toutes ses craintes sont injustifiées ! Vous n’osez pas ?... On en reparlera, Myriam…

Remarquez plutôt la sculpture minutieuse de l’assemblage, ce fin liseré qui se marie si bien avec le tissu, cet embonpoint accueillant aux effets grandissants, cette forme d’empathie que cette chaise apporte au fondement de qui la contemple et lui signifiant un temps de sérénité méritée ! Cette chaise repose le corps et apaise l’âme !...  

Êtes-vous intéressée, madame ? Madame ?... Madame Sanchez ?... Mais c’est le ciel qui vous envoie ! Elle sera pour vous une authentique chaise de notable ! Que dis-je ?! De prélat ! Non ! De reine ! Ne serait-elle pas un bon placement ? Â même de surveiller votre trésor, vous seriez, pour ainsi dire, assise dessus ! Remarquez encore ce velours patiné, ces clous de tapissier, ce dossier galbé, ces pieds cirés ! Elle n’est ni chaise haute, ni chaise longue, ni chaise roulante, elle sera la Rolls de votre postérieur ! Imaginez donc ! Deux bras, une ombrelle : vous avez une chaise à porteurs !...
L’installer dans une salle d’attente ? Mais bien sûr ! Rien de tel pour patienter dans l’antichambre d’un dentiste ! Elle sera parfaite pour écouter une sonate ! Oui, madame ! Une chaise musicale ! Ah, non madame, ce n’est pas une chaise électrique, à moins que vous l’accommodiez avec quelques guirlandes tapageuses, aux effets d’un sapin de Noël dignement décoré !...

Alors, combien m’en offrez-vous, madame Sanchez ? Quelques euros seulement ?!... Mais voulez-vous m’envoyer au père La Chaise ?... Myriam ! La tête me tourne ! Vite ! Il faut que je m’assoie !... »

L’ingénue pousse alors l’adjudicateur dans le siège et, patatras, ce qui devait arriver arrive : la chaise cède… Fin de l’acte un. Le rideau se baisse. Le rideau se lève. Acte deux, où il est question d’une table, d’une table en formica directement sortie des sixties et les trois protagonistes controversent sur ses qualités. Guéridon ou servante ou bureau, mais c’est une autre histoire…


Les décors sont de Roger Harth et les costumes de Donald Cardwell, of corse…

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Commentaires
M
Tout simplement E-PA-TANT !!!!!!!! :-D
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V
intégrer une vente aux enchères au théâtre ce soir est une trouvaille
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B
Waouh un texte qui se lit et se relit c'est un petit bijou <br /> <br /> Je sais c'est un peu court je devrais dire ... bien d'autre belles choses sur ton texte<br /> <br /> Bravo et merci Pascal
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M
Tout à fait suave! Et tellement bien écrit!
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T
Un régal comme toujours ;-)
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J
Un commissaire-priseur poète, muni d’un nez ! la perle rare
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W
L'énigme de la chaise percée à jour !
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E
Et ce fut une chaisière qui finalement l'acheta pour faire la paire avec celle qu'elle avait déjà. Elle plaça la paire sous sa fenêtre, bien entendu. :)
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V
C'est pas ce qu'on appelle des actes manqués ?
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