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5 mars 2016

LA MAZURKA DU METRONOME (Alain André)

 

Le métronome est posé là sur l’étagère. Il ne sert plus depuis longtemps, au temps ou mes parents s’exerçaient au violon. L’objet n’étant pas laid, je l’avais disposé sur la bibliothèque, ouvert, sa flèche et son curseur centré, inutile mais beau. Bois de noyer sans doute, ou merisier ? J’ai toujours aimé ces bibelots confectionnés avec soin par des artisans appliqués.

 Ce jour-la, sans raison, je décidai de remonter le mécanisme.

 C’est alors que le temps devint réel, tangible, palpable. Alors que jusqu’à ce jour, je ne le voyais pas passer, il me sembla devenir solide, évident, dans ces tac… tac…tac  agaçants.

 Le curseur sur modérato, je sentais fuir la vie dans mes veines et, sans m’en rendre compte, je me retrouvais propulsé dans ce que je crus tout d’abord être l’avenir mais qui se révéla être mon lointain passé, avant ma naissance dans une époque incertaine et lugubre ( enfin, pas forcément si lugubre que ça! ). J’étais un violoniste d’orchestre, dans la fosse d’un théâtre poussiéreux,  jouant une mazurka endiablée, Des oies trompettes originaires de l’Iowa clamaient l’ouverture de la danse des pacificdancearts (1), Deux castors assuraient les percus sur la timbale, une nuée de merles sifflaient en chœur le refrain, tandis que des pies claquetaient le rythme du couplet et que des saxéléfans jouaient la ligne mélodique. Et le chef d’orchestre, vous l’aurez deviné : C’était mon métronome ! Je me vis soudain, reflété par le flanc verni d’une contrebasse que triturait un ours balourd … J’étais un bonobo ! « Bon, me dis-je, le bonobo, ça ma va bien, moi qui suis plutôt volage et puis c’est pratique, je joue avec mes bras et tourne la partition avec un pied, c’est super ! » J’étais un peu étonné de cet épisode car je ne sais ni jouer du violon ni n’apprécie le moins du monde la mazurka ! Moi, je suis plutôt Jazz,  Pink Floyd ou Mark Knopfler, et piètre musicien au demeurant.

 Le rêve ne dura que quelques minutes ou des heures, je ne sais pas…je ne sais plus, j’étais perdu, tout se déformait autour de l’appareil pyramidal cliquetant sans cesse son désagréable tac….tac….tac. Tout d’un coup, le poids des ans me tomba sur les épaules et je sentis mes articulations frémir lorsque j’étirais mes jambes. Un sentiment inconnu m’envahit, je sentis mes forces m’abandonner, mes mains trembler ;  Mon cerveau se remplit d’effroi : J’eus peur ! Pour la première fois de ma vie, je sentais le temps passer, filer entre mes doigts gourds,  incapables de le retenir, comme si j’empoignais du sable. Ce sable d’un sablier percé qui envahissait la pièce, noyait le métronome et la clepsydre que j’avais trouvée chez un brocanteur de Nancy. Je me demandais ce qui m’arrivait ! Tout semblait s’être accéléré, je ne sentais plus rien !  Je sortis de la pièce en toute hâte et, me regardant dans le miroir de l’entrée, je vis un vieux visage aux chairs affaissées qui me regardait fixement! Est-ce moi ? Allons, ce n’est pas possible ! Mais au fait, en quelle année sommes-nous ?

En 2016 ? J’ai 70 ans ? Le  temps est assassin, rien ne l’arrête, rien ne le contient, il passe, sans fin, éternel et serein, il te retire, au choix, ton dernier plaisir, ton dernier désir,  faisant d’un vigoureux amoureux,  un vieil  abruti… Voila, Je vivais peinard, paresseux, facétieux, heureux pour tout dire, j’étais certain d’être encore jeune et séduisant  ( l’ai-je jamais été ? ) et je ne me privais jamais d’une bonne fête ou d’une belle amourette qui passait ( rarement ) par là ! Et tout d’un coup, je me retrouvais en 2016, à près de 70 ans ! C’est injuste !

Qui suis-je, d’où viens-je, ou vais-je, (dans quel état j’ère) ?

Oh, je pensais connaitre la réponse à cette question métaphysique (et essentielle, n’est-ce pas ?) Un certain Pierre DAC nous en a donné une réponse indiscutable, définitive, d’une lumineuse clarté philosophique:
« Quand on me pose cette question, je réponds : Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne ! » Ce qui, vous en conviendrez est d’une grande sagesse.

 

1) voir sur youtube : mazurkas, le clip pacificdancearts. Superbe !

     Le lien serait : https://www.youtube.com/watch?v=c6wmrQ_YWvM       ( pff !)

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Commentaires
M
Métronome ou machine à remonter dans le temps ... pas toujours si lointain, dans ses inspirations à tout le moins
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V
ce PIERRE DAC irremplaçable
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B
superbe texte sur le temps qui passe avec de bien jolis clin d’œil ; j'ai vraiment aimé du début à la fin et Merci pour le lien très agréable et magnifique <br /> <br /> Bravo Alain André
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J
Qu'importe l'étagère du moment qu'elle est solidement fixée là ou on est bien!
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R
tu as bien profité de la vie !<br /> <br /> et tu es bien parti pour continuer ... en mettant le métronome sur modérato ;-)
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P
Très sympa, j'ai beaucoup aimé.
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P
Casser le métronome, briser les miroirs... inutile ! Mais rester "facétieux" comme le ton de cette Mazurka ... efficace !
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W
Bof, je suis plus vieux que toi (mais je ne sais pas si ça aide :-) )
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C
Obsession obsessionnelle et paradoxale...gamin dans la tête et vieillard pour le miroir....
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J
Avec des phénomènes comme ça, tu bois une vodka et tu te retrouves soûl comme un Polonais.<br /> <br /> Beau délire fantastique !<br /> <br /> Et merci pour le numéro de danse - il y a aussi ceci : https://www.youtube.com/watch?v=8Sb7gp98wAc - et la leçon : j'ignorais que ce morceau, si entendu sur France Inter le dimanche soir, était extrait du ballet Coppélia de Léo Delibes (natif de La Flèche (Sarthe-sur-Vegas)) ! ;-)
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B
Merci pour vos commentaires. Venant de gens de qualité, c'est encore plus agréable.<br /> <br /> Alain André.
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V
Il suffit d'un mécanisme et d'un peu d'imagination pour nous entraîner dans ce tourbillon que nous connaîtrons tous... un beau récit, Alain avec sagesse et humour en point de chute !
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M
Excellente façon de relier les précédents défis les uns aux autres au rythme du métronome !!! J'apprécie beaucoup ! Et merci Alain pour le lien superbe en effet. Un régal pour les yeux et les oreilles !
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J
MERCI beaucoup pour le doux clin d'oeil, Alain !<br /> <br /> <br /> <br /> Joli texte.
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