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Le défi du samedi
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25 juillet 2015

Tu parles d’une gueule de bois (EnlumériA)

Le flic poussa un profond soupir de lassitude. Il consulta sa montre d’un air dégoûté et but une autre gorgée de bière tiède. Il reposa la cannette sur le bureau et étudia une nouvelle fois le pauvre bougre tremblotant recroquevillé devant lui. Une sorte d’épouvantail souffreteux et larmoyant vêtu d’un short de cuir et d’une chemisette à carreau, coiffé d’un drôle de chapeau tyrolien d’où dépassait une mèche de cheveux gras.

— Reprenons ! Monsieur… Hé ! Monsieur ? – Le flic fit claquer ses doigts sous le nez du bougre qui semblait s’assoupir – Oh ! Vous m’écoutez, oui ?

L’épouvantail s’ébroua. Un salmigondis improbable sortit de sa bouche.

— Z’riez pune c’gar’tte ?

— Quoi ? Ah ! Tu veux une clope. Désolé, on ne fume pas ici. Bon. Donc, Tu… enfin… vous disiez vous être réveillé au milieu de nulle part et que votre père voulait vous foutre une raclée. Au petit matin. Hein ? C’est bien ça ?

Le flic fit de nouveau claquer ses doigts.

— Et merde ! Oh ! Jeannot ! Apporte un café, s’il te plait. Bien serré. Il est anesthésié le mec.

Quelque secondes plus tard, Jeannot posa la tasse sur le bureau.

— Tiens ! Tout frais sorti du perco.

L’épouvantail tendit un bras incertain vers la tasse, faillit en renverser la moitié mais réussit quand même à boire le breuvage. Il fut pris d’une violente quinte de toux en absorbant la dernière gorgée.

— Rhuummm ! Ashta… rrhouah ! Zauriez une garette ?

Le premier flic écarta les bras en signe d’impuissance.

— Putain ! Il va nous pourrir la matinée, celui-là. Bon ! Allez, va me chercher l’autre dans le couloir. Il sera peut-être plus éveillé.

 

Un petit homme grassouillet entra dans le bureau. Il était vêtu de fripes mais paraissait tout de même relativement soigné. Il portait une petite moustache à la Groucho Marx et affichait le sourire embarrassé d’un gamin de douze ans surpris en flagrant délit de masturbation.

Le flic attrapa la pièce d’identité que lui tendait Jeannot.

— Vous vous appelez Couchette. Maurice Couchette. Et vous habitait à la Madeleine.

Le rondouillard hocha la tête avec des airs de conspirateur.

— Oui, monsieur l’agent.

— Oui, monsieur l’agent. Vous connaissez cet olibrius ? Vous pouvez me dire ce qui s’est passé ce matin ?

— Ben oui, je crois. Vous voulez savoir quoi au juste ? Parce que moi… heu… Enfin, vous comprenez, quoi… Je ne voudrais pas d’ennui dans mon quartier. Je suis très connu, vous savez.

— Ah ouais ? Vous êtes une sorte de loup blanc, hein, c’est ça ? Tu savais qu’il y avait des loups à la Madeleine, toi, Jeannot ?

— Des rats, oui, je savais, mais des loups.

Le flic se fit plus aimable en proposant un siège au petit gros.

— Vous faites de la politique ? C’est pour ça que vous êtes connu ? demanda Jeannot.

L’autre eu une moue d’incompréhension.

— Vous êtes marxiste ? Tendance Groucho, c’est ça. Il mit deux doigts sous son nez, en guise de moustache.

— Non. Avant j’étais clerc de notaire. Et puis j’ai eu des problèmes. Vous savez, la pitanche, tout ça. Bois sans soif, je m’en cache pas, mais pas au point de me mettre dans des états pareils, expliqua-t-il en désignant l’épouvantail. En fait, je suis connu parce que j’aide les moricauds à remplir leurs papiers, des conneries comme ça, quoi.

Le flic éclata de rire.

— Les moricauds ? Oh merde ! Mais vous sortez d’où, vous ? Et après c’est nous qu’on traite de racistes.

— Mais, je suis pas raciste, monsieur l’agent. Mais comment voulez-vous qu’on les appelle ? Il en arrive de partout, tous les jours, à pleine brouette.

— Ouais, bon. Revenons à nos moutons. Racontez-moi ce qui s’est passé ce matin.

— Ben… Je revenais de la boulangerie, quand j’ai vu Arthur arriver en courant – il désigna de nouveau l’épouvantail – Y gueulait comme un putois orphelin. Y disait comme ça qu’il venait de retrouver son père dans le parc derrière la bibliothèque municipale. Et qu’il était mort, son père. Depuis vingt ans. Mais qu’il voulait quand même lui foutre une branlée.

— Donc, vous le connaissais ? Parce qu’il n’a aucun papier sur lui.

— Oui. C’est Arthur Lambrieux. Un ancien menuisier qui a, comme qui dirait, mal supporté que sa Géraldine se débine avec un gitan. C’est vrai que d’habitude, y suce pas de la glace, mais j’ai l’impression qu’hier soir, il a battu des records. Faut dire que c’était Halloween.

Le flic lança un clin d’œil à Jeannot.

— Vous êtes des grands gosses, pas vrai. Ah, non ! Halloween. Moi qui croyais avoir tout vu. Bon, ensuite. Il a eu le temps de vous dire quelque chose, avant de partir en vrille.

— En vrille. En looping, vous voulez dire. Arthur, il est ingérable. Il a le foie lié. Demandez aux gens du quartier. Il fait une fixation sur Pinocchio, vous savez le bonhomme en bois. C’est pour ça qu’y s’habille comme ça. Y croit que sa Géraldine, c’est la Fée Bleue. Qu’un jour ou l’autre, elle va se lasser de son manouche et qu’elle va revenir. Quel con !

— Oui, mais ça explique pas l’état de panique dans laquelle la patrouille l’a ramassé. Vous lui avez dit quelque chose de spécial ? Une blague qu’il aurait mal prise, à propos de son père ?

— Mais non, monsieur l’agent. Quand vos collègues sont arrivés, on se battait pas. J’étais juste en train d’essayer de la calmer par rapport à l’expo.

— L’expo ?

— Oui. Dans le parc. Il y a une exposition de sculptures sur bois… Depuis deux jours. Organisée par la maison de quartier. Tout le monde s’y est mis. C’était cool.

— Désolé, mais je ne vois toujours pas.

— C’est simple. Hier soir, il avait le projet de se déguiser en Pinocchio et de faire la tournée des popotes. Pas pour réclamer des bonbons. Tss ! Tss ! Pour réclamer des gorgeons. Les gens du coin se sont pris au jeu, je suppose et du coup, l’Arthur il a bien chargé la mule. Je présume qu’il s’est réveillé dans le parc sous une sculpture et qu’il aura cru que c’était son père revenu d’entre les morts pour le corriger. Vous parlez d’une gueule de bois.

 

Évreux, 23 juillet 2015

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Commentaires
B
Ce n'est pas toujours bon l’abus d'alcool mais ton histoire est très plaisante amusante même un bien agréable moment de lecture merci EnlumériA
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V
un thriller haletant , mais où est passé la baleine!!!!
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W
Démonstration brillante, s'il en était besoin, qu'une éducation bien menée porte ses fruits très longtemps !
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P
Idée originale pour "relever le défi". Quelle imagination !
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J
Pour un bon moment, je croyais que le mec connu était Gepetto, venu récupérer un vieux Pinocchio qui, comme beaucoup de stars enfantines, est devenu alcoolo.<br /> <br /> <br /> <br /> Très original comme histoire, c'est du très bon "storytelling", EnlumériA.
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Y
oh la vache la cuite !!
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J
Vrai de vrai y zon du mérite les flics on comprend qu’ils carburent parfois au 16 ans d’âge !<br /> <br /> En tout ca ce rapport vaut son pesant d’or pour la rigolade :):):)
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V
Amusante interprétation de la consigne!<br /> <br /> Frédéric Dard disait: "J'ai une gueule de bois qui intéresserait un sculpteur"
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