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Le défi du samedi
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11 octobre 2014

La lettre d'Elise (KatyL)

La lettre d’Elise

 

J’ai hérité d’un meuble de rangement de ma grand-mère avec deux jolis tiroirs et deux petites portes dont la délicate moulure rétro donne à celui-ci un air désuet romantique que j’aime beaucoup.

Je n’avais guère eu le temps de m’en occuper avant cet été et il était remisé bien sagement depuis la mort de mon aïeule dans le grenier.

Décidée à le mettre en place dans mon entrée j’ai décidé de le faire descendre par mes fils afin de lui redonner patine et aspect rutilant.

Je commencai par démonter les deux tiroirs afin de bien le dépoussiérer mais l’un d’eux résista, mon fils ainé entreprit de m’aider, quant au bout d’un moment le tiroir enfin céda, en tirant, nous vîmes une lettre coincée à l’arrière de celui-ci et entre le fond, celle-ci tomba au sol.

-« tiens une lettre de grand-mère » dis-je en reconnaissant de suite son écriture caractéristique !

J’entrepris de l’ouvrir car sur l’enveloppe aucune mention n’était apparente.

« Mon Très Cher Jean,

Si tu savais comme je t’ai cherché partout, depuis notre jeunesse où la guerre nous a séparés après ce petit bal du 14 juillet 1914, où tu m’as tant fait danser sous les flonflons musette du père Grégoire et son accordéon…que  de souvenirs en moi malgré les années passées, je ne t’ai jamais oublié.

Nos premiers baisers ont laissé en moi une empreinte que je n’ai pu retrouver.

Comme je les ai attendu tes lettres guettant chaque jour le facteur tout le temps que tu étais au combat dans ces maudites tranchées, je ne sais même pas si tu as reçu les miennes ?

En mai 1916 une de tes cousines que je suis allée voir à vélo pour prendre de tes nouvelles m’a dit que tu étais mort !!! Et là tout s’est écroulé pour moi, Jean cher Jean je t’ai tant pleuré si tu savais.

Je me suis mariée à Raoul et j’ai eu trois filles avec lui,nous  avons été heureux mais sans plus je n’avais guère le temps de m’apitoyer sur mon sort, trois filles à nourrir et les difficultés de la vie , les soucis de santé de Raoul qui avait été gazé dans les tranchées et qui souffrait beaucoup des poumons, et qui en est mort au bout de 10 ans de mariage et de nombreuses souffrances, ma fille ainé Geneviève qui elle est décédée de la tuberculose à 18 ans ! Je suis donc restée veuve avec deux filles et que mon courage pour avancer.

La vie est passée avec ses petites joies et ses grandes peines, je suis partie habiter à Paris plus proche de mon travail, mes filles et moi vivions dans tout petit appartement sous les toits…mais face au parc des Buttes Chaumont ! alors là mon Jean c’était le bonheur du dimanche , la promenade au parc avec les filles, ses cascades , ses rochers, ses petits chevaux de bois et le guignol qui les faisaient pleurer de rire, et bien sûr le dimanche pour elles la barbe à papa !

Pourquoi je te dis tout cela maintenant, parce que je te croyais mort et que du coup je ne t’ai pas cherché toutes ces années, mais un jour au parc j’ai rencontré Simone tu sais celle qui fumait et qui chantait la Madelon, figure toi qu’elle me reconnait aussi et que nous nous mettons à parler du bon vieux temps, j’en viens à lui dire que tu auras été mon seul amour avec ce pauvre Raoul, mais que toi je t’avais dans le cœur, dans les sens, dans les fibres de mon corps.

Elle m’a écoutée sans broncher et d’un coup s’est mise à pleurer, et me dit :

-« tu sais Elise ton Jean il n’est pas mort, il est revenu au village amoché comme y a pas, il boitait, il a eu une main presque arrachée, et il parait qu’il est resté en soin longtemps dans un hôpital militaire sans mémoire, il ne savait plus son  nom plus rien ! C’est un gars de son village soigné aussi qui lui a redonné son identité. Le médecin a fait venir sa famille qui l’a reconnu aussi. Alors un long très long travail sur sa mémoire a dû être entrepris par les docteurs et sa famille, cela a pris deux ans et un jour Jean est revenu tout doucement à lui en entendant jouer un air d’accordéon. Cet air de musique a réveillé sa tête Elise tu te rends compte » !

Alors là mon Jean je me suis écroulée sur le banc tant l’émotion était forte pour moi, tu étais en vie !! Mon amour. Oh je sais c’est osé de te dire cela mais après ces années je peux le dire sans rougir.

Les gosses et la Simone m’ont ramené chez moi, et crois-moi j’en ai été si bouleversée de te savoir en vie que je ne dormais plus ! Simone m’a dit que tu étais marié et que tu avais deux fils !

Alors j’ai pensé encore plus fort à toi d’années en années, Oh ! Mon Jean si tu savais !

Je suis âgée maintenant je sais où tu es, j’ai vu ta maison, j’y suis allée deux fois et je t’ai vu de loin, je t’ai reconnu de suite, mon sang n’a fait qu’un tour j’étais sur le point d'aller vers toi lorsque j’ai vu un bambin à vélo te rejoindre, je me suis assise pour pleurer mais je n’ai pas osé te déranger après tout ce temps, et puis je me suis dit, vais –je encore lui plaire, va-t-il me reconnaître ? Alors je t’ai regardé avec ton petit-fils sans bouger de mon banc.

Puis l’année dernière je suis revenue une fois dans l’espoir de te parler, c’était l’été il faisait chaud j’avais mis une robe bleue, je m’étais fait couper les cheveux à la dernière mode, mes filles me poussaient à te rencontrer en me disant que si je ne le faisais pas elles le feraient elles iraient te parler, donc j’étais décidée cette fois ! En sonnant à ta porte personne ne répondait ! Une voisine est venue me dire :

«Que tu étais à l’hôpital depuis deux mois malade d’un cancer. Que tu étais veuf depuis longtemps et que tu cherchais à joindre une femme que tu avais connu tout jeune et que tu ignorais où elle était ? Tout le monde le savait ici ! Mais au fait me dit-elle vous ne seriez pas cette Elise que Jean cherche partout ? »

-« oui c’est moi dis-je en pleurant à chaudes larmes, à quel hôpital est-il ? »

Elle m’a donné l’adresse, j’y suis allée et je t’ai vu dans ton lit blanc, tu dormais à cause des médicaments et du traitement, je t’ai pris la main je t’ai embrassé

Je me suis couchée sur ton lit sans que tu t’en aperçoives, mais une infirmière est venue me dire de partir que je ne pouvais pas rester ici, que les visites étaient limitées.

Pour te voir il fallait demander à ta famille et au docteur que l’hôpital n’était pas un lieu ouvert à qui veut entrer !!

Je suis rentrée chez moi heureuse de t’avoir touché heureuse d’avoir embrassé ton visage, d’avoir pu me mettre à tes côtés presque deux heures, et je me suis empressée de t’écrire cette lettre à l’hôpital afin que tu puisses la lire lorsque tu seras réveillé, bien décidée cette fois à ne plus te quitter, mon Jean.

Je ne pense qu’à toi nuit et jour, je suis habitée par toi depuis notre premier baiser, je t’attends je te soignerai si Dieu nous accorde du temps, nous ne nous quitterons plus.

Ton Elise

 

Je m’assis sur une chaise à la suite de cette lecture si bouleversante, et à mon tour je pleurais sur ce passé qui était mien puisque de ma chère grand-mère.

Je me suis renseignée auprès de ma tante de la suite, et pourquoi cette lettre était là dans ce tiroir ?

Elle m’apprit que Jean était décédé le lendemain de la visite de sa maman. Que du coup il est parti sans savoir qu’Elise l’attendait aussi quelque part.

Moi je crois que Jean dans son sommeil et sa dernière journée de vie a senti qu’elle était là au bord du lit, et il est parti serein de se savoir aimé et retrouvé par celle qu’il cherchait tant.

Ma grand-mère est morte un an jour pour jour après son Jean.

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Commentaires
K
merci beaucoup Pascal , oui je vais à pas feutrés la peine est déjà si lourde pour eux
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P
C'est une belle histoire d'antan comme il en existe tant. J'aime bien le déroulement de cette aventure et tu nous guides avec une grande douceur.
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K
merci Ma chère Jak oui bien entendu que ce genre là ou très près de cela a dû exister<br /> <br /> on a tant de témoignages , merci d'avoir été emue<br /> <br /> je t'embrasse
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J
Même imaginée cette histoire est émouvante on y croit, et elle a dû certainement exister quelques parts. Tu as un véritable talent pour nous chambouler c‘est bien ton cœur qui parle là.
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P
Quel beau texte émouvant et si réaliste... plein de couples ont du se perdre ainsi à cette époque. bisous Katyl et continue de nous émouvoir.
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K
@trainmusical, merci mon ami qui prend toujours le train en marche , tu disparais et tu reviens pour mon plus grand bonheur, mais lorsque tu es là tu sais lire avec tes yeux de qq qui aide autrui et qui comprend que le touché de la main suffit parfois à un malade pour se sentir mieux, il ressent les vibrations... bien entendu qu'il l'a sentie et qu'il a eu en cette ultime journée ce réconfort.<br /> <br /> merci<br /> <br /> bisous
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T
Émotion à la lecture de ce texte avec la lettre. Dans ce drame, j'aime beaucoup ce passage de "réconfort" à la fin:<br /> <br /> "Moi je crois que Jean dans son sommeil et sa dernière journée de vie a senti qu’elle était là au bord du lit, et il est parti serein de se savoir aimé et retrouvé par celle qu’il cherchait tant."<br /> <br /> Toujours un plaisir de te lire, Katyl, et bravo pour ton talent d'écriture dans ce récit poignant.
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V
la tragédie dans la tragédie ça c'est la guerre faite aux hommes les lettres sont là pour dire leur souffrance
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E
Voilà qui remet les pendules à l'heure à notre triste époque peuplée d'amours jetables ou recyclables. Et puis, ça m'étonnerait que les générations futures retrouvent un SMS perdu dans un tiroir.
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K
il en faut tu disais toi-même que la vie n'est pas un long fleuve tranquille et que tout n'est pas "rose" sur terre ou qq chose de semblable je crois<br /> <br /> mais c'est une histoire inventée rassures toi<br /> <br /> bons bisous cher Walrus ravie de te revoir
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W
C'est étrange que ton aïeule soit morte dans le grenier...<br /> <br /> Mais non ! C'est pour rire, j'ai tout bien compris, mais j'aime pas trop les histoires tristes, alors... :-)
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B
Une lettre émouvante Moi aussi "je crois que Jean dans son sommeil et sa dernière journée de vie a senti qu’elle était là au bord du lit, et il est parti serein de se savoir aimé et retrouvé par celle qu’il cherchait tant."<br /> <br /> Magnifiquement conté je suis toute émue <br /> <br /> Bravo Katyl
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V
Belle histoire qui m'évoque le même souvenir que Joye. Bravo katyL
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C
Merveilleuse cette lettre, elle m'a mis plein de frissons. <br /> <br /> J'ai pensé a la lettre qu'Amélie Poulain envoie à sa logeuse...<br /> <br /> L'histoire est pleine de ces lettres qui n'ont jamais trouvé leur destinataire. Et de ces destins qui ont basculé a cause d'un simple morceau de papier...<br /> <br /> Est ce une histoire vraie ou l'as-tu inventée de toutes pièces ? <br /> <br /> Peu importe, ton texte est très émouvant.<br /> <br /> <br /> <br /> Bon weekend ma Katy <br /> <br /> Bisoussss
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M
Quelle belle et émouvante histoire ! Tu nous l'as si bien contée !!! Merci pour ce beau récit chère KatyL ! Douce nuit à toi ! Bisous tout doux ♥
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J
La lettre me rappelle celle que Papet n'a jamais eue de sa Florette chez Pagnol.
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