Les saisons du couple (Caro et Kloelle)
Les saisons du couple.
Tableau 1 Printemps
17 h. Un théâtre de banlieue, un décor, un lit vierge. Le va-et-vient d’un projecteur des coulisses au centre de la scène. Deux corps en creux, absents des draps blancs, moulage éphémère.
Dans la salle sombre, trois silhouettes au quatrième rang, le halo d’une lampe. Un nom Ménard. Un autre, celui d’une femme. Un couple, non l’ombre d’un couple. Fragile. Des mots, un dialogue crescendo, les trilles du printemps et les promesses, la lumière, les rideaux en arrière plan, le souffle d’un ventilateur, une valse d’embryons de poussière sur les tentures épaisses et passées. Le solde d’un vieux décor, lieu éteint d’un marivaudage peut-être. Brusquement, une main debout dans la pénombre. La course d’un stylo sur le carnet, des notes, encore des notes. Une voix tranchante, « Oui, rendez-vous demain, deuxième audition. Vous deux. Scène 1. »
Le silence et des pas lointains sur les lattes de bois inégales
Tableau 2 Eté
14 h. La générale. Le même théâtre de banlieue, un décor, un lit défait. L’invasion d’une lumière dorée. Deux corps sur le lit, l’un contre l’autre. Une musique pétrie de carreaux de mosaïques irisées sur leurs peaux claires, sur leurs corps drapés dans le tumulte des draps. Entre eux, un babil inaudible, syllabes lentement découpées jusqu’à la mélodie des mots d’entente. Un brusque rougeoiement, une fenêtre largement ouverte, le vent tiède en caresse sur la commode vierge, sur le chevet, sur le sol. Le couple dans un jour artificiel, l’un contre l’autre, boléro, valse, promenade, course et le bavardage des mains, des jambes, des hanches, des bouche. Et enfin des yeux.
Puis plus rien. Jusqu’au vagissement et l’éclair bleu sur le berceau au fond à droite.
Tableau 3 Automne
20 h. Pénombre. Une rumeur diffuse, le bruit des portes, des corps, grincements des strapontins, le murmure du velours rouge sous le poids des spectateurs. Derrière le rideau, le cliquetis des derniers réglages. Des hommes à la marche lourde et aux silhouettes longilignes, le choc d’un marteau sur l’éclat du bois, un juron.
Elle, Lui. A droite. Une main sur le rideau, tremblante. L’hésitation. La tirade, l’indécise, chausse-trappes menaçant, béante depuis trois semaines, nœud des actions et des dénouements: les mots-clefs, incontournables et périlleux. Le mouvement silencieux et répété de ses lèvres, à elle. Son regard. Leurs peurs communes, cet instant où… l’arrêt ou la mise en danger ? Trois coups. Une respiration tenue, les yeux clos, deux âmes tendus comme des arcs, en suspens. Le rideau rouge fendu, trois pas vers la lumière.
Tableau 4 Hiver
23 h. Dernière représentation. Les vacillements des lumières, les raclements des malles, des meubles. Des rires et des baisers sonores. Elle, accroupie. Sous sa paume le bois sale du plancher, nu, déserté, muet. Le noir, pas la pénombre, le noir solitaire d’un théâtre en exil. Les plaisanteries au loin. Juste Lui, une caresse muette sur ses cheveux pâles. Un soupir, un regret.
Main dans la main, sur le départ. Un ultime baiser à la scène. Un homme, un trousseau lourd à la main. La dernière lumière éteinte. Le tour de clef. L’ultime.
PS: photo issue du blog http://redsardine.over-blog.com/article--housse-de-couette-ma-meilleure-ennemie--42791074.html