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Le défi du samedi
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4 septembre 2010

Coup(l)e (Sebarjo) -défi 111-

coup_l_eÇa y est. Cette fois-ci, tout est là. Dans sa petite cabane aux murs enduits de chaux et ornés de spirales ocrées, dans son sanctuaire à la toiture de tôle ondulée fraîchement repeinte, il a déposé ses derniers cartons. Et, sur le rebord de la fenêtre aux encadrements de bois bleu de mer, il avait laissé un morceau d’ardoise brute sur laquelle il avait écrit à la craie blanche et volubile merci de respecter ce lieu de paix. Le pas de la porte était un demi-cercle, une voûte céleste dessinée de galets et de coquilles de berniques polies, de moules indigo et d’amandes effilées, imbriqués dans la terre comme un soleil couchant sur les flots de l’océan. Ce sera certainement son ultime déménagement. Il est au bout du chemin méandreux de sa vie, au faîte d'un long périple. Il venait de quitter son atelier et ses deux pièces qui le jouxtaient, haut perché sur un ilôt de vieilles maisons en pierre, coeur granitique d'une cité médiévale. Il l'avait quitté comme on quitte le nid duveteux de sa mère, pour retrouver la terre. Car ici, ni appartement ni maison. Simplement quatre murs. Le rectangle d'une étroite bicoque planté au milieu d'un agréable lopin de terre arboré de pruniers, de pêchers, de cerisiers en fleurs, de pommiers, de noisetiers le long d'un sentier serpentant et de chênes séculaires. Délimitant son nouveau domaine, l'eau claire et limpide d'un ruisselet coule paisiblement le long des champs agricoles avoisinants. C'était là son nouveau royaume, à quelques lieues à peine de la légendaire forêt de Brocéliande, quelque part entre Guer et Pacé.

Tout est là. Il n'a pas gardé grand-chose. Deux tours de voiture archi-comble auront suffi. Quelques cartons et des boîtes solidement ficelées s'empilent près des blocs de glaise qu'il aime travailler, malaxer, façonner, sculpter, pour lui donner les formes les plus harmonieuses. Plonger les mains dans cette terre originelle est si agréable, le contact avec cette matière un peu collante si apaisant.

Puis, caché dans un recoin de la pièce, se trouve un petit four pour la cuire, à côté duquel il a déposé en énormes gerbes, des branches d'osier. Certaines atteignant au moins trois mètres de long, ont l'échine courbée comme punies de n'être pas à l'échelle de la maisonnette. Il les a conservées précieusement car il a le projet de construire un tipi, isolé comme l'étaient les chaumières d'antan, où il y fera bon vivre été comme hiver. Il mélangera la terre et l'osier pour élever son chapiteau digne du dernier mohican un peu clownesque, esseulé dans le western de la France.

Après s'être reposé quelques instants, allongé à même le sol en terre battue, il se décide enfin à déballer quelques affaires. Il va bien falloir trouver quelques casseroles et les autres ustensiles qui composent sa batterie de cuisine minimaliste, avant que le crépuscule ne chasse définitivement le soleil printanier. Pour ce soir, un peu de sarrazin bouilli arrosé de deux ou trois bolées de cidre suffiront amplement à son bonheur. En ouvrant un carton par ci une boîte par là, il retrouve avec un plaisir nué de nostalgie, ses vieux dessins protégés par de minces serpentes, monochromies au fusain ou à l'encre de Chine, quelques tirages de ses lithographies et des aquarelles intimistes encore plus lointaines... Perdu un instant dans ces songes, bercé comme un enfant par le passé trop vite passé, il sent la faim qui le tiraille doucereusement. Vite penser à chauffer sa gamelle. Allez, il faut encore déballer, plus vite, toujours déballer avant que...Tiens... mais qu'est-ce que c'est que cette vieille boîte à chaussures ? Ah oui, quelques photographies qu'il a cru bon de conserver, quelques fresques et frasques de sa vie, instantanés figés comme des natures mortes. Et cette photo, vestige oublié de son long voyage : Elle et Lui. Lui et Elle ensemble. Ou plutôt, côte à côte. Leur dernière journée. Elle et Lui : la rupture. Il avait presque oublié qu'un jour il avait été Deux, qu'il fut quelqu'un dans le monde des hommes, dans la binarité sociale, voué à se multiplier.

Il trifouille, farfouille, foire-fouille dans ses cartons à dessins, dans son bric-à-braque d'artiste allégorique, à la recherche du Dessin. Le voilà ce Dessin, torturé par la mine grasse d'un crayon à papier, la mine basse d'une pointe de carbone, que lui avait inspiré cet instant de partance, la fin de cette parenthèse duettiste. A gauche Lui, à droite Elle. Ils ont chacun la moitié du visage coupé comme si chacun voulait sortir du cadre, trop exigu pour ne pas exploser. Ils ont des petits yeux sans malice, comme vides. Deux points fixes regardant droit devant, vers un avenir non partagé. Les bouches sont beaucoup trop petites pour pouvoir s'ouvrir. Pincées, définitivement muettes l'une pour l'autre. Le fond est strié de traits épais obliques qui s'abattent sur eux comme une pluie diluvienne. Ils sont pris dans la tourmente d'un chagrin profond et non d'un simple crachin breton. L'accalmie même passagère n'est plus possible. Chaque souvenir est noirci, rageusement griffonné. Un couple aux visages coupés, les morceaux ne seront jamais recollés. Un couple qui se défait et jamais ne renaîtra. Certainement sa faute, encore une fois. La vie de couple lui avait toujours coupé les ailes. Et, lui voulait voler pour traverser la grande allée de son existence, naviguer librement d'une rive à l'autre.

Ca y est. Cette fois-ci, elle est là. Dans sa petite cabane, l'obscurité est profonde depuis que la nuit est tombée. Il avait tout oublié de ce qu'il cherchait mais il oublie déjà ce qu'il avait cru retrouver. Il fouille dans ses poches, trouve une allumette et la craque. Une fois la lampe à pétrole allumée, il s'occupe du poêle à bois. L' air est frais en ces premières soirées printanières. Sa gamelle chauffe, sa bouilloire siffle. Il siffle aussi. Il appelle son chien, son fidèle compagnon, son ami parti depuis le matin à la découverte des grands espaces. Non il n'est pas seul. Il a son chien qui le tient chaud la nuit. Avec lui, il est toujours Deux. Mais avec son chien, c'est évidemment différent. Avec lui, il est libre, il respire à plein poumons l'immensité de la nature face à laquelle, il s'enivre et flotte délicieusement, se sentant absolu sans misanthropie ni mysoginie. Il était un peu animal, un peu trop sauvage pour le sytème globalisant, non domestiqué aux pratiques mercantiles, mais il savait qu'au fond de lui-même, il était frère et soeur des hommes et des femmes.

De loin, du haut d'une colline surplombant le bocage vallonné, on peut voir, à cette heure avancée de la nuit, une légère lueur qui tremble, l'étincelle évanescente de ce drôle de couple, homme et chien, coupé du monde.


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Commentaires
M
Simplement BEAU !!!! J'ai été touchée par ce texte si bien écrit ! Bravo Sebarjo !
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Z
une histoire simple belle et un peu triste.émouvante également
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V
Pour un artiste j'ai aimé la référence à "guerre et paix" qu'elle soit littériaire ou plasticienne...<br /> Je m'y vois bien dans cette cabane des derniers jours entourée d'arbres fruitiers.<br /> Un texte très touchant à la fois nostalgique et sans regret.<br /> Sourire<br /> Vanina
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V
ce texte pourrait illustrer la consigne patrimoine !!beau boulot d'écrivain
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W
"Les souvenirs et les regrets aussi..."
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F
Très beau texte.
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J
Le western de la France ? Comme tu y vas, cow-boy !<br /> Tu nous livres ici une superbe variation sur l'un de tes thèmes préférés et la niche tolstoïenne entre Guer et Pacé me semble très jolie.<br /> <br /> Du coup j'ai un peu honte de mettre ce lien vers une chanson retrouvée cet été et qui m'est venue à l'esprit à la lecture des premières lignes de ton texte : http://www.deezer.com/listen-2716041
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J
Ton texte est aussi lyrique qu'un poème de Néruda (mon poète favori) et aux mêmes thèmes : l'accompagnement, la rupture, la solitude.<br /> Beau et émouvant, ce texte, Sebarjo.
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