Comment écrire sur des bougies qui brûlent ? (Pivoine)
J'ai si peu de patience, en ce moment... Je dois réunir tout mon courage...
Pourtant, écrire là-dessus est possible... Il y a peu, mon quartier dans le grand Bruxelles s'est trouvé plongé dans une obscurité absolue.
Dehors, c'était le crépuscule, un crépuscule d'avril, avec des nuages courant dans le ciel rouge orangé violet.
Il y avait encore assez de lueur pour allumer ma première bougie et chercher ma torche électrique.
Ce n'était pas une panne dans l'immeuble, c'était bien une panne de quartier. Le noir complet dans une bonne partie de la commune.
J'adore les bougies. Je les collectionne: bougies d'anniversaire, torsadées, argentées, longue durée rouge et or; bougie énorme peinte et gravée par une amie artiste; (celle-là, je ne l'allumerai jamais!); bougies d'Amnesty International; bougies en forme de framboises dans des feuilles - parce que naguère, on me surnommait aussi Framboise, bref, j'avais de quoi illuminer mon appartement. Finalement, huit ou neuf bougies brûlaient sur la table du salon, sur le secrétaire, dans la chambre- bureau, à la cuisine. Il ne faudrait pas que j'oublie d'éteindre le tout, quand la panne serait finie, car j'ai gardé de mon enfance anxieuse dans une vieille maison une vraie phobie des incendies. La lumière était jolie, ça oui. Mais l'atmosphère était étrange - il n'y avait plus aucun bruit non plus, puisque l'ordinateur avait cessé de ronronner, le téléphone était mort, et le frigo, à l'arrêt. Plus de musique, plus de télé... Le creux des bougies absorbait silencieusement les premières gouttes de cire fondue. Et je pensais à toutes les horloges, micro-ondes, réveil dans ma chambre, que j'allais devoir remettre à l'heure - après.
Je ne faisais plus rien. Je me suis assise dans mon canapé, et j'ai décidé d'attendre. Et je me suis mise à rêver. Autour de deux idées: comment les peintres de jadis ont-ils fait pour poursuivre leur travail dans les conditions d'inconfort qui étaient les leurs: ni chauffage central, ni électricité, ni ascenseurs, aucune des facilités dont on bénéficie aujourd'hui. En été, cela va - les journées sont longues, bien que parfois grises et pluvieuses, mais en hiver et pendant les longs changements de saison?
Et même pour l'écriture. Ecrire à la lueur d'une bougie? Et encore ! Nous avons des bougies de bonne qualité ! Mais que valait la chandelle, combien de sous fallait-il pour se fournir en éclairage, au XVIIIème, au XVIIème? J'imaginais Balzac, à côté de sa cafetière nocturne, (je la voyais en émail bleu), mais écrivant peut-être à l'aide d'une lampe déjà plus évoluée qu'un simple chandelier. Et j'imaginais les vastes coins d'ombre dans les maisons - comme dans un tableau fantastique.
Et c'est vrai que l'atmosphère était lourde. En plus de la panne d'électricité - des sirènes de pompier et de police, dans les rues avoisinantes, - il faisait trop froid pour que j'ouvre les fenêtres afin de dissiper l'odeur et la fumée. Mais finalement, deux heures après, la panne était réparée. La chaussée la plus proche et le quartier jusqu'à l'église de A*** était de nouveau illuminé - je voyais les néons rouges et bleus du garage et marchand de pneus, un peu plus loin. Puis, ça a été à notre tour.
J'ai éteint mes bougies progressivement (j'avais un peu peur que la panne ne recommence), mais décidément, tout fonctionnait.
Quand j'ai éteint la dernière bougie, les marteaux ont commencé à résonner dans ma tête - sous la tempe gauche - ou droite, je ne sais plus. L'odeur de cire fondue et de fumée me soulevait le coeur... Le lendemain, ce ne serait plus jour de panne, mais jour de lit, car assurément, j'aurais la migraine...