Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 402
Derniers commentaires
Archives
27 février 2010

Et un bouquet de violettes… (Kloelle)

<p>Défi 95</p>

 

Adrien dépassa la station de taxi et chercha à nouveau le 50 bis de la rue des chapeliers. La soirée était très avancée et il avait hâte d’en finir avec cette livraison. Il n’aimait pas ce quartier, crasseux et rebutant, le « cœur historique » comme aimaient dire les guides touristiques, le ventre débordant aux chairs décrépies d’une ville vieillissante pensa t’il plutôt. Il immobilisa son scooter et fit quelques pas, le regard à hauteur de plaque de rue. Il arrivait quelquefois que les adresses ne correspondent à rien de réel, il lui fallait alors remplir une fiche, retourner dans les locaux de la société qui l’embauchait, perdre un temps infini à établir un rapport complet et à préparer le renvoi vers le destinataire. Il examina une nouvelle fois le colis : M René M, 50 bis rue des chapeliers. C’était un paquet volumineux mais léger, d’une forme assez particulière cependant, une sorte de grosse pipe dont la courbe s’épanouissait avec grâce. Le  bruit d’une porte raclant lourdement le sol le fit soudain  sursauter, quelqu’un titubait sur la contremarche d’une coursive qui s’enfonçait vers ce qui semblait être l’arrière cour du numéro 50. Une arrière-cour, bien sûr, pensa Adrien. L’homme devait avoir dans les 35 ans, le regard vitreux, le verbe fort, ivre sans aucun doute. « Olivier commençait à trouver le temps un peu long » répétait-il sans cesse. Pauvre gars. Adrien ramassa le chapeau du gaillard, un borsalino qui avait vécu, et le  lui rendit avant de s’enfoncer dans l’étroit couloir.

Echoué dans une chaise en rotin un vieil homme  prenait un bain de lune. La petite cour avait du charme. Des vêtements se balançaient sur une corde à linge tirée entre un lampadaire et un porte-manteau perroquet. Adrien esquissa un sourire. C’était une garde robe singulière, queues de pie et autres jaquettes à boutons dorés s’étalaient en alternance avec quelques lampions de couleur qui éloignaient la nuit.

- Vous êtes la nouvelle femme de chambre ?  demanda le vieil homme soudainement tiré de sa rêverie.

- Le livreur, répondit Adrien.

- Il faut épousseter les hauts de forme en les exposant à la clarté de midi, lui ordonna t’il en lui épinglant à la boutonnière un petit bouquet de violettes.

Un doux-dingue pensa Adrien en rentrant dans la maisonnette pour y déposer le colis.

Le tableau fut la première chose qui attira son regard. Une somptueuse robe de taffetas blanche et cette femme sans visage qui semblait attirer à elle toute la lumière du monde. Puis le jeune-homme vit les chapeaux, des dizaines, des centaines, de tous les styles mais invariablement noirs.

Il s’approcha de la table pour poser son encombrant paquet et son regard fut à nouveau attiré par l’adresse. M René M, 50 bis rue des chapeliers fous…des chapeliers fous…un frisson d’angoisse l’empoigna et il se retourna pour bien vite repartir.

Repartir, repartir….voilà que ses jambes semblaient ne plus vouloir repartir. Et que faisait cette rangée de chapeaux melons en dessous de lui….et ses fanfreluches blanches soudainement apparues sur ses bras. La robe blanche, la robe blanche l’enlaçait, le ficelait, l’emprisonnait.

Dans son tableau, Adrien allait trouver le temps un peu long…

Publicité
Commentaires
C
Le Borsalino avait vécu. J'adore. Il avait sans doute rêver de se faire ligoter par une femmme mais...
Répondre
R
qui l'eu crut<br /> un si gentil monsieur<br /> qui " prenait un bain de lune"<br /> ... mais à qui peut-on se fier ?<br /> <br /> bravo, un trés joli récit
Répondre
P
ça tourne décidément pas rond du côté des chapeliers!<br /> j'adore ce fou-là et l'ambiance que tu nous livre dans ce court récit fascinant!
Répondre
W
Je conserve l'adresse, reste à trouver le patelin, j'ai toujours eu le rêve secret d'être une femme (à barbe (bleue)).
Répondre
V
Entre Alice et les mystères de l'ouest...<br /> OKi, ça laisse un vaste champs d'investigation!<br /> Super texte<br /> Sourire<br /> Vanina
Répondre
P
Si Kloelle me tenait la main, je n'aurais pas peur dans la petite rue.
Répondre
Z
j'aime cette histoire qui démarre comme un roman noir et qui nous fait entrer dans le tableau.<br /> "un homme prenait un bain de lune " c'est là que tout bascule. si Magritte avait été écrivain je suppose qu'il aurait écrit qq chose comme ce texte (et qq autres ici) fascinant
Répondre
B
Quelle idée aussi, d'aller à de pareilles adresses.<br /> Rue des chapeliers fous, faut être fou pour y mettre le pied.
Répondre
V
le tableau repose la question du féminin masculin ;C'est presque un cas clinique!!!
Répondre
V
le tableau repose la question du féminin masculin ;C'est presque un cas clinique!!!
Répondre
M
Lewis Caroll, Magritte et Kloëlle réunis pour notre plus grand plaisir !<br /> "La robe blanche, la robe blanche l’enlaçait, le ficelait, l’emprisonnait" : Impressionnant !!!
Répondre
F
chères toutes,<br /> Ravie de faire vos connaissances!<br /> Chers tous,<br /> Merci de m'éclairer de vos corps et esprits!<br /> Le tableau est magnifique, de le consulter là à l'instant après avoir été touché par "Olivier qui trouvait le temps long..." <br /> <br /> C'est suréaliste! n'est-ce pas ?...<br /> <br /> La blogosphère c'est quelque chose... permettre de toucher et d'être touchée...<br /> Je vais continuer à cheminer avec certaines d'entre vous et certains autres à vous lire...<br /> Merci, Kloelle. C'est Marant (j'ai lu la reine blanche juste avant)
Répondre
V
Le métier de livreur est risqué, surtout quand Kloelle se lâche... un récit captivant
Répondre
K
C'est bien celui ci Joe ( quel talent!)...lol<br /> Il y a aussi une petite allusion à une très fameuse pipe qui n'en est pas une.
Répondre
J
J'ai pensé immédiatement à ce tableau-ci de René Magritte, "La grande guerre" :<br /> <br /> http://www.musee-virtuel.com/docs/magritte/The%20Great%20War.jpg<br /> <br /> Un autre bijou à inscrire d'urgence dans la "Grande anthologie du défi du samedi"<br /> <br /> Bravo et merci !
Répondre
K
Il y a deux personnages:<br /> Olivier qui sort titubant de l'impasse et dont on comprend à la fin qu'il vient de s'échapper du tableau.<br /> Et Adrien, le jeune livreur, son "remplaçant"
Répondre
J
Oui, un beau texte, certainement, mais hélas, je n'ai pas compris pourquoi tu dis Adrien et non pas Olivier ?
Répondre
T
encore une pépite ! merci beaucoup kloelle, j'aime beaucoup, beaucoup, des ptits frissons partout, ça trompe pas !
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité