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Le défi du samedi
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12 septembre 2009

L'heure vide (Tiphaine)

Je ne saurai jamais ce qui s'est passé le mardi 7 octobre 2008 entre 14 et 15 heures.

Je suis arrivée dans ma classe à 13H55, comme chaque mardi. J'avais fait rentrer les élèves. Ils étaient douze. Neuf garçons, trois filles. Pendant l'appel, l'un d'entre eux s'est levé puis a pris soudain ses jambes à son cou. Je suis sortie de la salle à sa poursuite.

Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Les gosses de la salle d'en face m'ont vue traînant doucement le gosse par les pieds, dans le plus grand silence, un sourire figé sur le visage. L'enfant s'est caché sous une table, j'ai refermé la porte.

Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Les élèves ont recommencé à chahuter, puis c'est devenu un immense bazar. Il paraît que j'étais comme une automate, je ne réagissais pas, je ne les voyais plus.
Une première bagarre a éclaté. Je me suis précipitée, j'ai séparé les deux ados et je me suis pris un coup. Sans doute qu'il ne m'était pas destiné…

Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Je suis retournée à mon bureau, une deuxième rixe avait déjà recommencé. J'ai marché vers eux sans émotion, j'ai séparé les belligérants avec une violence qu'ils ne me connaissaient pas, j'ai pris un deuxième coup. Une gifle. J'ai gardé la marque sur mon visage. Sans doute qu'elle ne m'était pas destinée…

Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Je suis restée assise un moment. Les insultes continuaient à fuser. Ça criait, ça hurlait autour de moi et je n'avais pas l'air de m'en rendre compte.
Encore une bagarre, plus violente encore que les précédentes. Je me lève, je me jette contre les deux corps, je sépare brutalement. Dernier coup. Une gifle encore. Sans doute encore ne m'était-elle pas destinée…
Je m'assois. Je baisse la tête.

Sonnerie de 15 heures. Je suis seule dans ma salle de classe, les élèves sont partis, je ne les ai pas vus partir… Je n'ai aucun souvenir de l'heure qui vient de se passer. Aucun souvenir. Une heure vide…
Une nouvelle classe arrive. "Vous n'avez pas l'air bien madame…" Je prends mes affaires, et, pour la première fois de ma vie d'enseignante, je quitte les lieux pendant un cours sans rien dire à personne. Question de vie ou de mort.

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Commentaires
P
je pressens que les heures enseignantes sont parfois dures à vivre.
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C
Il y a des heures vidées de trop de violence, oui...
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V
Comment peut-on oublier une seule minute du joyeux babillage de ces chérubins sagement réunis autour de 'maîtresse' et si avides d'apprendre la vie et d'exprimer leurs émotions?<br /> Excuse-moi pour la gifle, Tiphaine, j'l'avais pas fait exprès.
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T
Joye : Oui, c'est sage. Ou pas... Ce serait un moyen radical en même temps !<br /> Teb : J'ai fait pareil, j'ai rendu mon tablier avant que ce ne soit mon tablier qui ne me rende...
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T
J'ai connu ce "vide" une fois... dans ma vie d'instit..<br /> Un jour je me suis rendu compte que je ne "voyais" plus qu'un seul élève à la fois ...<br /> A ce moment là j'ai provisoirement rendu mon tablier !!!<br /> <br /> Pas facile, la vie des profs...
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J
Ah, je comprends, c'est d'une sagesse totale de ne pas armer les profs ! Moi, je dis.<br /> <br /> ;-)
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T
Tiniak : Si tu m'en fiches, alors ça va !<br /> Joye : Y'a pas d'offense ! Le texte est paru plus tard, mes heures sont très longues et passent beaucoup moins vite que les vôtres! Quant à ce que tu dis à propos de "l'instit", c'est dommage qu'elle n'ait pas utilisé de revolver, son manuscrit aurait sans doute plus facilement trouvé "sponsor"!
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J
Tiphaine, je n'ai pas vu ton texte avant maintenant (curieux, je croyais avoir laissé un com' pour tout le monde, c'est mon habitude !) et je te demande pardon !!!<br /> <br /> Le texte est fort, je trouve que la répétition de « Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté  » est particulièrement réussie. Au début, je pensais bien que la pauvre instit' commette un crime, mais ce n'est pas ainsi que l'histoire termine, et j'en suis contente.<br /> <br /> En tout cas, bravo et encore, pardon pour ma lecture et commentaire tardifs.
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T
des blouses grises, des craies pour tout le monde et zou ! je te fiche tout ça dehors voir s'il y aurait pas la vie à s'apprendre.<br /> <br /> qui sait... peut-être après s'apercevra-t-on qu'aux pourtours mous des zoos, des rousses bisent des braies.<br /> <br /> j't'en fiche !
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T
zigmund : La réalité dépasse souvent la fiction...<br /> valérie : Gloups!<br /> Joe Krapov : Ni hors, ni entre. Il faut casser les murs.<br /> Papistache : J'ignore où l'âme se réfugie, dans la déréalité disent les psys, pourquoi pas... En vacance, certainement, les profs ont toujours trop de vacance, c'est bien connu !<br /> MAP : Vide, pleine... pareil. Une heure peut être pleine de vide ou vide de plein.<br /> Virgibri : ;-)<br /> Tilu : Tu le dis bien.
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T
Oui, ce genre d'heure pour moi semble plutôt trop pleine et immensément longue ... mais tout est une question de vocabulaire... le ressenti est le même.... un grand sentiment d'impuissance, d'incompréhension, de lassitude, de découragement et de souffrance...
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V
...ça pique et ça fait mal.<br /> Je sais un petit peu tout cela. Mon poste fixe m'en a sauvé.<br /> Je ne veux pas oublier ces heures vides. J'ai des collègues dont c'est le quotidien. <br /> Je ne veux pas.
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M
Ouh là là !!! Pour une heure vide, elle a été drôlement remplie ! IMPRESSIONNANT !!!
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P
Tiphaine, vous rendez bien comment l'ordinaire des uns peut paraître extraordinaire à l'autre.<br /> Où donc l'âme de cette enseignante s'est-elle réfugiée pendant cette heure ? <br /> Est-ce là ce qu'on nomme la vacance des enseignants. C'est vrai, on dit que les enseignants sont toujours en vacance*.<br /> <br /> <br /> * sans "s", c'est voulu !
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J
Whaoou ! Whouf ! No comment. Si : hors les murs est le salut et non entre.
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V
Ounch!
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Z
impressionnant...j'espère que le plus gros de ce calvaire est une construction imaginaire.
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