L'heure vide (Tiphaine)
Je ne saurai jamais ce qui s'est passé le mardi 7 octobre 2008 entre 14 et 15 heures.
Je suis arrivée dans ma classe à 13H55, comme chaque mardi. J'avais fait rentrer les élèves. Ils étaient douze. Neuf garçons, trois filles. Pendant l'appel, l'un d'entre eux s'est levé puis a pris soudain ses jambes à son cou. Je suis sortie de la salle à sa poursuite.
Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Les gosses de la salle d'en face m'ont vue traînant doucement le gosse par les pieds, dans le plus grand silence, un sourire figé sur le visage. L'enfant s'est caché sous une table, j'ai refermé la porte.
Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Les élèves ont recommencé à chahuter, puis c'est devenu un immense bazar. Il paraît que j'étais comme une automate, je ne réagissais pas, je ne les voyais plus.
Une première bagarre a éclaté. Je me suis précipitée, j'ai séparé les deux ados et je me suis pris un coup. Sans doute qu'il ne m'était pas destiné…
Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Je suis retournée à mon bureau, une deuxième rixe avait déjà recommencé. J'ai marché vers eux sans émotion, j'ai séparé les belligérants avec une violence qu'ils ne me connaissaient pas, j'ai pris un deuxième coup. Une gifle. J'ai gardé la marque sur mon visage. Sans doute qu'elle ne m'était pas destinée…
Je ne sais pas ce qui s'est passé ensuite, on me l'a raconté.
Je suis restée assise un moment. Les insultes continuaient à fuser. Ça criait, ça hurlait autour de moi et je n'avais pas l'air de m'en rendre compte.
Encore une bagarre, plus violente encore que les précédentes. Je me lève, je me jette contre les deux corps, je sépare brutalement. Dernier coup. Une gifle encore. Sans doute encore ne m'était-elle pas destinée…
Je m'assois. Je baisse la tête.
Sonnerie de 15 heures. Je suis seule dans ma salle de classe, les élèves sont partis, je ne les ai pas vus partir… Je n'ai aucun souvenir de l'heure qui vient de se passer. Aucun souvenir. Une heure vide…
Une nouvelle classe arrive. "Vous n'avez pas l'air bien madame…" Je prends mes affaires, et, pour la première fois de ma vie d'enseignante, je quitte les lieux pendant un cours sans rien dire à personne. Question de vie ou de mort.