LES AIGUILLEURS (Joye)
6 h 37. Ce matin-là, le soleil se levait timidement, il faisait froid dehors. Dans l’obscurité grisante, la femme discernait l’autre tête sur l’autre oreiller, le mouvement lent d’une autre poitrine sous le duvet. Tout son corps sentait la chaleur rayonnant de l’autre, elle humait l’odeur épicée de sa peau. Ses doigts, hésitants, connaissaient déjà le grattement des bouts durs des poils sur sa mâchoire, la soie de ses sourcils ayant déjà souvent subi des caresses. Son front était paisible, ses yeux fermés bordés des cils qui restaient noirs pendant que la chambre reprenait doucement ses couleurs. Peu à peu, elle voyait paraître la courbe du nez de l’homme, au dessus des deux lèvres charnues qui savaient, elles, être douces et tendres par moments, insistantes et voraces, par d’autres. Il était encore trop tôt pour voir les couleurs dans cette lumière grisâtre d’un matin d’hiver, mais c’était un plaisir voluptueux d’explorer sans hâte cette topographie. D’ici quelques secondes, ses yeux s’ouvriraient, sa bouche à lui retrouverait avidement sa bouche à elle, ses lèvres, ses joues, son cou, ses épaules, son ventre…ils se rediraient bientôt bonsoir, bonjour, bonheur, et bon, très bon, bonjour… et puis bon retour…7 h 37.