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Le défi du samedi
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25 juin 2009

Le coût de la panne (Poupoune)

Lors d'une panne de courant ma mère, enceinte de sept mois, a chu dans les escaliers et a dévalé cul par-dessus tête soixante-douze marches et deux paliers. Après que trois chirurgiens et six infirmières se sont acharnés sur elles pendant treize heures, j'ai été sauvé mais elle non.

J'ai été placé en couveuse et sous respirateur, lequel a cessé de fonctionner pendant trente-sept minutes en raison d'une nouvelle panne de courant au terme de laquelle les médecins ont déclaré qu'ils ne seraient pas étonnés que j'en garde quelques séquelles.

Mon père, qui m'en a toujours un peu voulu pour le décès de ma mère, m'a néanmoins élevé quasiment de la même façon que mes cinq frères et soeurs, même si j'ai vite remarqué que j'étais de corvée de vaisselle cent-quatre-vingt-trois jours sur trois-cent-soixante-cinq alors que, si on compte bien, ç'aurait dû être beaucoup moins vu qu'on était six.

Un jour que, pour la huitième fois consécutive, c'était mon tour de débarrasser la table, j'ai été surpris par une coupure de courant alors que je m'acheminais, chargé d'une haute pile de quatorze assiettes, vers la cuisine. Le pied d'un de mes frères, à moins que ce ne fût celui de mon père, s'est malencontreusement glissé devant les miens, provoquant ma chute ainsi que celle de mes assiettes sales. Jouant de malchance, il a fallu que je les fasse tomber sur les douze verres posés sur la table et rien ne fut sauvé dans l'accident. Pas même mon oeil gauche.

J'avais espéré que cette nouvelle tare me vaudrait au moins un nouveau sobriquet, mais non. Toute la famille continua de m'appeler « tête d'ampoule » alors que, outre les circonstances amusantes dans lesquelles j'avais perdu une partie de mes facultés mentales, ce surnom me rappelait aussi douloureusement le décès de ma mère.

En revanche, l'incident me valut une nouvelle punition et je fus expédié en pension, à quatre-cent-cinquante kilomètres de la maison. Là, je suis vite devenu la tête de turc des cent-vingt-neuf autres pensionnaires, mais au moins ont-ils eu le bon sens de me surnommer « oeil de lynx ».

J'étais plutôt bien intégré, jusqu'au fameux jour de la boum. J'étais secrètement amoureux de la belle Margot, dont je m'amusais à compter les taches de rousseur en classe et, rien que sur le visage, elle en avait quatre-vingt-onze. A la boum, les copains m'ont dit qu'elle était d'accord pour que je l'embrasse alors, prenant mon courage à deux mains, je me suis dirigé vers elle, quand une panne de courant nous a plongés dans le noir. J'ai voulu profiter de l'obscurité pour mener à bien mon entreprise malgré ma gêne et mon embarras, mais, quand la lumière est revenue, je fus surpris tâtant les miches replètes de Madame Mongerin et je préfère ne pas évoquer l'endroit où ma langue s'agitait en quête d'un baiser de la jolie Margot.

On me surnomma alors « déviant sexuel juvénile » et je fus expédié dans un établissement spécialisé où, au terme de neuf séances avec un docteur, il fut décidé que je resterais enfermé pendant trente-six mois. Au cours du trente-quatrième survint une panne de courant pendant laquelle je voulus aider en brûlant quelques allumettes. Un mauvais courant d'air entraîna l'accident bête et l'ensemble du bâtiment brûla, ainsi qu'une poignée de pensionnaires et médecins, au nombre de vingt-trois. Il fut alors décidé que mon séjour serait prolongé jusqu'à ma majorité.

Il devait également m'être administré un nouveau traitement à base de chocs électriques dans mon cerveau, mais de nombreuses coupures de courant ont mis à mal cette tentative et pour finir je n'en ai bénéficié que seize fois au lieu des quarante-huit prévues initialement et je fus relâché, plus par dépit, je crois, que par bon sens.

A peine dehors je décidai de me prendre en main pour réussir ma vie et j'allai voir le travailleur social qui devait m'aider. Il m'offrit une boisson au distributeur et, alors qu'il attendait la sienne, une panne de courant stoppa net la machine. Désireux de bien faire j'essayai de lui obtenir néanmoins sa boisson et, alors que j'avais une main dans la machine et l'autre en appui sur son bras, le courant fut rétabli et je fus traversé d'une décharge qui ne me fit ni chaud ni froid mais le tua, lui, sur le coup.

J'ai été arrêté et jeté en prison. Mon procès dura vingt-deux jours au terme desquels je fus reconnu coupable à l'unanimité des douze jurés et condamné à mort. Le jour de mon exécution, alors que j'étais ficelé à la chaise électrique, une panne de courant me sauva la vie et j'obtins une grâce exceptionnelle.

Ce jour-là, j'ai décidé de mettre à profit la chance qui m'était donnée et d'apprendre le métier d'électricien.

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Commentaires
C
Quelle vie ! Mais surtout, quelle plume !
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T
Excellent! Un humour noir de panne d'électricité...
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V
Un grand générateur de fou rire!<br /> La vie serait monotone si la fée Electra ne faisait pas des siennes...
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M
Pannes de courant peut-être mais sûreent pas de panne d'inspiration chez toi Poupoune !<br /> Un grand bravo !!!
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T
Poune, où comment se rappeler qu'un jour il faudra bien remettre des fusibles neufs dans la boîte prévue à cet effet (spécial).
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Z
j'ai cherché un comm à la hauteur de votre texte ... je ne trouve pas <br /> c'est un paisir de vous lire tout simplement <br /> bravo
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M
excellent !
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P
Picaresque.<br /> Voilà longtemps que je voulais le placer de commentaire. <br /> Il est bien là, non ?
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B
Mortel ton texte !!! bravo Poupoune.
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J
Expert-comptable eût été bien aussi.<br /> Plus ça va, plus je me dis que j'ai de drôles de fréquentations.<br /> Mais bon, c'est ça, les artistes, hein ?<br /> Alors bravo l'artiste. Mais qu'est-ce qu'il fait noir, d'un coup !
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W
Comme quoi une bonne guillotine à déclenchement manuel...
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P
Vingt dieux l'hécatombe ! Tu n'as pas perdu la main, ANgélique est toute petite.
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V
Mouarf! Ah, Poupoune tu nous gates! Tu te surpasses!!!!<br /> Tu sais quoi? A choisir, je renonces à mon café pour lire un de tes textes.<br /> Marchi :).
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J
Humour noire, riche et délicieuse comme un café de Val.<br /> <br /> Ton texte me rappelle aussi un peu beaucoup Deadeye Dick par Kurt Vonnegut, pas forcément pour les évènements - c'est l'histoire d'un garçon qui flingue accidentellement son voisin - mais certainement pour le ton de la narration. Vonnegut en était un maître de l'insolite juxtaposé au quotidien des personnages uniques.<br /> <br /> Brefle : Bravissima, poupoune !
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R
pour moi, c'est une sage décision,<br /> dommage qu'il n'en ai pas été mis au courant plus tôt.... quelle perte de temps et d'énergie !!!<br /> <br /> bravo poupoune un texte trés bien travaillé !
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V
Electrisant...
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