Bric-à-brac (Ondine)
J’adore collectionner de petites boîtes exotiques, les caresser du doigt, penser un instant à la personne qui me les a offertes, au lien qui nous unit. La plupart du temps, je n’y dépose rien, que l’essence d’instants passés en communion avec un autre, qu’il soit amant, ami, alter ego ou même vague connaissance.
J’aime déballer mes boîtes à tendresse – comme je les ai appelées à l’initiative d’un ami – de façon aléatoire, au gré d’associations impromptues. Si je classe mes partitions et mes livres de façon relativement méthodique, j’enfouis les souvenirs pêle-mêle dans une série de boîtes imaginaires aux contours irréguliers qui, par nature, se veulent sans fond. J’y classe aussi bien les grands bonheurs que les petits moments magiques traqués avec le filet du quotidien. J’ouvre une boîte au hasard, dans laquelle, forcément, il reste toujours de la place, et y glisse un mot doux, un sourire tendre, une maxime décantée, une vérité assenée par quelqu’un qui m’aime suffisamment pour oser s’exprimer sans mettre de gants blancs. « Écris, lis, écoute, joue, et sois heureuse » y côtoie ainsi « à ma meilleure prof de piano », des vers de Nelligan, l’émotion ressentie face aux Nymphéas de Monet, les larmes de tendresse qui coulent sur une joue déjà mouillée par la pluie, le moelleux d’un chocolat pris à la terrasse d’un café parisien, le coup au cœur quand Venise s’offre au regard pour la première fois, l’intensité pure d’heures partagées sur un même banc de piano avec un ami.
Les liens improbables se tissent quand j’ouvre ces boîtes et, parfois, des souvenirs profondément enfouis font surface alors que j’y range un nouveau trésor. S’amalgame alors en une curieuse mixture douce-amère la joie pure ressentie quand, enfant, je croisais le facteur; la fébrilité d’un premier concert assumé; la simplicité désarmante d’un trait musical parfaitement maîtrisé, d’une phrase finement ciselée; les mots d’amour devenus surannés, la douleur de la rupture s’étant suffisamment estompée pour ne subsiste que le voile si léger du souvenir; la perturbation à l’état pure sur le corps d’un adolescent efflanqué; les fous rires qui courent d’un oreiller à l’autre le soir; les câlins aux tout-petits mais surtout ceux reçus des presque grands; le plaisir avide quand on laisse glisser sur sa langue un calembour plus savoureux qu’un carambar.
Parfois, j’aime susciter ces réactions en chaîne pour le plaisir, un pas de danse endiablé porté par une pulsation assourdissante, culbutant une randonnée en solitaire, balayant une nuit étoilée en bord de mer en communion avec l’univers, rejetant une séance de baisers fiévreux sur la banquette arrière d’un autobus presque vide. De curieux rendez-vous avec l’histoire, la petite histoire, la mienne, celle qui se détaille en chapitres inégaux, sans lien apparent pour tout autre lecteur que celui qui accepte d’y jeter un regard partial, de s’y inscrire en filigrane, au risque de se retrouver catapulté à toute vitesse au creux d’une de ces boîtes à tendresse, à caresses, à paresse, à allégresse.
(4 juillet 2008)