« Allo ?... Allo ?... C’est Monique ?... Monique ?... Ha, bonjour Monique !... J’avais reconnu ta voix !... Oui, je vais bien !... Tu sais, avec Maurice, on est toujours sur le pont, à courir par monts et par vaux ! Nous sommes partout à la fois ! Tu sais, la retraite, ça ne dure qu’une fois ; alors on profite de tout, et à fond !... Comment ? Comment ? Si je suis disponible le, le ?... Attends, je prends mon agenda !... Je vais essayer de te caser au mieux !...
Le premier ?... C’est franchement impossible ! Le 1 de chaque mois, on va à Paris, faire les grands magasins ! C’est le jour de paie de sa retraite ! C’est les Champs-Élysées, le Faubourg Saint-Honoré et tout le tremblement ! C’est journée portes ouvertes sur la carte bleue de mon Maurice ! Pour peu qu’il soit bien luné, il m’emmène déjeuner jusqu’au Fouquet’s !... Après, on prend un bateau-mouche et on remonte la Seine ! Après, comme à chaque fois, il m’explique Notre Dame de Paris, Victor Hugo et Quasimodo ! Je fais semblant de regarder si je vois Esméralda, tout là-haut, entre les gargouilles ! Après, il s’endort de sa digestion, mon pépère !...
Le 2, attends, le 2… Maurice ?... Maurice ?... Qu’est-ce qu’on fait le 2 ?... Le 2 du mois prochain ?... Je n’ai rien d’encore inscrit sur mon agenda !... Ha oui !... Nous allons à la Bibliothèque Municipale ; on rend les livres qu’on a loués le mois dernier. Moi, je prends les plus gros, les plus difficiles à lire ! Quand je les rapporte à la préposée, je fais comme si j’étais intelligente !... Ça fait sourire mon Maurice, toute cette érudition d’hypocrite…
Le 3, c’est ma journée macramé ! Je retrouve Janine ! Tu sais, Janine ?! Je t’en ai déjà parlé ! C’est celle qui a perdu son mari et qui n’a jamais cherché à le retrouver ! Ha, ha !... Si tu savais comme on papote ! Elle est impayable ! Elle a plein d’idées pour comment devenir veuve !... Heureusement, je n’en parle pas à Maurice, il refuserait de manger ma soupe…
Le 4, nous allons au cimetière. Nous allons sur la tombe des parents de Maurice ; oui, une centaine de kilomètres, en voiture. Chaque mois, il va porter des fleurs sur leur tombe ; on se gèle au milieu des courants d’air et, lui, ça lui plaît de rester au garde-à-vous devant des souvenirs qui ne me concernent pas. C’est un égoïste !...
Le 5, le 19, le 26, c’est jours de marché ; Maurice est tellement difficile avec ses intestins fragiles ! Monsieur ne supporte plus que les légumes frais et les fruits de saison ! Il « flatule », mon bonhomme ! C’est une vraie batterie d’artillerie quand ses boyaux se dérèglent !... Ne ris pas, Monique, il faut aérer toute la maison ou porter un masque à gaz !...
Le 6, je vais récupérer nos vêtements au pressing ! Eux seuls savent faire le pli aux pantalons de Maurice ; moi, j’ai essayé, jamais je n’y suis arrivée. Va savoir pourquoi…
Le 8, c’est mon épilation ; oui, l’intégrale ! C’est pour faire plaisir à Maurice ! Tu vas rire : si je te disais que pendant deux jours, je n’arrive plus à m’asseoir !...
Le 9, je fais encore ma BA. Comme chaque mois, nous allons déjeuner à l’Amicale des Anciens de la Marine. C’est pour faire plaisir à Maurice. Ils se retrouvent, les vieux matafs ; ils s’embrassent, ils pleurent leurs souvenirs de jeunesse en belle chorale. Si je suis jalouse ?... Même pas !... Tous ces cheveux blancs attablés, en train de sucer leurs dentiers après le dessert, c’est comme l’écume d’une vague mourante…
Le 10, j’ai rendez-vous chez mon ostéopathe ! Si tu savais comme j’en ai besoin ! Il n’y a que lui pour me remettre tout en place ! Je te dis qu’il fait des miracles ! Si tu veux, je te donne son téléphone, vas-y de ma part !...
Le 11, c’est notre journée tendresse. On va au bord de la Seine, du côté de Giverny. Il a encore des élans de poète, mon Maurice. Il loue une petite barque et il me balade sous les frondaisons. Il me raconte les grands arbres, les berges, le clapot et les rayons du soleil, avec des mots qu’on n’utilise plus. Tu vois, il me charme encore, mon vieux bonhomme. Bien sûr, il s’essouffle un peu, à cause du courant, et je crois qu’il supervise des coins pour aller à la pêche…
Le 12, j’ai mon rendez-vous au salon de coiffure ! Il n’y a que le beau Guillaume qui sait bien me coiffer ! Si tu voyais son joli petit cul se tortiller dans son jean moulant !.... Mais oui, Maurice est sorti chercher le journal… Dommage, c’est Pierre qui en profite…
Le 13, on a les petits-enfants. Ce n’est pas qu’ils dérangent mais ils mettent tout sens dessus dessous dans la maison ! Des vrais petits monstres égoïstes, je n’arrive plus à les supporter ! Ha, les gosses, c’est pour les parents ; ce n’est plus pour les grands-parents !...
Le 14, on range la maison ; ben oui, avec l’ouragan de la veille, et on prépare nos bagages !...
La semaine du 15 au 22, on fait notre voyage annuel ! Ça devient de plus en plus difficile de sortir mon Maurice hors de nos frontières ! On était à Rio de Janeiro, l’année dernière, il rechignait à porter nos valises ! Et toutes ces favelas, on se demande comment ils arrivent à vivre dedans… Cette année, nous allons en Egypte ! Oui ! Les pyramides, les chameaux, les kebab, c’est tout compris dans le prix des billets ! A l’agence de voyages, ils disent de prendre un chapeau ; tu crois que je dois prendre aussi des chaussettes pour Maurice ?... Sais-tu qu’il devient frileux avec le temps ? Pas plus tard que la semaine dernière, en plein magasin, il m’a fait un malaise vagal, l’animal !... Pourtant, je surveille sa ligne, je l’ai mis au régime !...
Le 23, c’est le jour du toilettage de ma Mirza !... Elle a treize ans, tu te rends compte ?... Elle ne perd pas un poil ! Si tu voyais comme ils s’appliquent avec ses bouclettes !... Ce n’est pas comme Maurice qui laisse ses cheveux un peu partout !...
Le 24, les installateurs viennent nous poser la parabole sur le toit ! Enfin, tu te rends compte ? On va pouvoir regarder des films même si on ne comprend pas la langue ! C’est beau le progrès, hein ?... Maurice dit que c’est pour regarder les matchs de foot mais il a pris le bouquet des films x, ce coquin ! C’est peut-être pour se donner un peu de motivation à la manoeuvre car il n’est plus tellement virulent, mon vieux pépère !... Moi, ça m’arrange !... Mais oui, il n’est pas dans la pièce…
Le 25 ?... Ce n’est pas possible. On a une compétition de belote avec les autres propriétaires, dans notre immeuble. Tu sais comment cela se passe ; c’est petits gâteaux, cafés et papotages sans fin…
Le 26, on va au cinéma du quartier ! On va assister à la première « remixé » du film : « Autant en emporte l’Evian » ou quelque chose comme ça…
Le 27, on porte la voiture au contrôle technique… L’année dernière, le mécanicien m’a dit que j’avais un problème de rotule ! J’espère que cette année, il ne va pas me trouver des problèmes de cœur !...
Le 28, c’est initiation peinture ! Mon Maurice, à cause de Giverny et des impressionnistes, s’est mis aux pinceaux ! Il faut voir comme il s’applique sur son tréteau ! Encore une dizaine de séances et je lui demanderai de repeindre notre salon !...
Le 29, je vais voir tata Lucie à l’hôpital. Tu te rends compte ?... Se faire opérer des amygdales à soixante-quinze ans ; je me demande si ce n’est pas juste pour qu’on lui apporte le cadeau de notre visite, avec quelques bonbons à sucer, si possible !... Je n’amènerai pas mon Maurice, il est tellement fragile qu’il pourrait tourner de l’œil rien qu’en voyant une infirmière…
Le 30, ce sont les congés de la bonne et c’est moi qui me tape la poussière qu’elle ne voit pas !... Heureusement, le 31, on va à la salle de sport. Avec mon Maurice, c’est hammam, jacuzzi, sauna, massages à tous les étages… Ben non ; Monique, rappelle-moi, le mois prochain !
Le 7 ?... Attends ! Il était resté collé entre deux pages ! C’est la journée ménagerie ! On va chez l’Ecureuil, chez Mammouth, chez l’Eléphant, laver la voiture ; s’il reste du temps, on ira voir la Belette ! C’est ma cartomancienne !... Avec cinquante euros, elle me prédit l’avenir aussi bien que mon agenda !...
Quoi ?... Comment ?... C’était une invitation pour ton anniversaire ?... Hé bien, rappelle-moi à l’avance, l’année prochaine ; peut-être que j’arriverai à te trouver un créneau… Et bien, si t’es fâchée, tu n’as qu’à plus appeler ; c’est qu’on est très occupés, mon Maurice et moi… »