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Le défi du samedi
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15 mai 2021

Œillades (Pascal)


De l’œillade affectueuse de l’une, à l’œillade provocante de l’autre, j’évoluais sur un nuage. Il semblait que mes pieds ne touchaient plus terre ; non, ils l’effleuraient, et j’avais des milliers d’étincelles dans les yeux. Telles des fleurs épanouies, accueillant les chalands en naufrages libidineux, en détresse de tendresse, les dames à la vertu toujours neuve s’alanguissaient sur les trottoirs, en leur promettant monts et merveilles. Était-ce un mirage ?... Vous savez, ce genre de cadeau si près et si virtuel à la fois ?... Celui qui, comme un papillon, quand on approche la main, se dérobe et s’en va se poser plus loin ?... Moi, tel un amoureux transi, bercé d’illusions, je comptais les pétales, et c’est « passionnément » qui revenait toujours à la loterie des mots enchanteurs…

De l’œillade orchestrée de l’une, à l’œillade complice de l’autre, à la lumière des réverbères, peintes en couleurs de guerre, chacune d’elles était un spectacle, et ce sont elles qui lançaient leurs SOS. Si l’une vantait son travail soigné, l’autre récitait son dépliant, l’autre encore réclamait l’attention des passants en dévoilant des parties de sa chair… pas si chère. « Touche, gamin, touche !... C’est pas tous les jours que t’apprécieras cette qualité !... », criait Paula-de-Béthune ; « Qui veut son billet pour le septième ciel ?... », tentait Lucie-les-belles-cuisses, en arraisonnant les tafs en goguette ; « T’as envie de tenter ta fusée, bonhomme ?... », « Qui veut faire un p’tit tour dans mon salon privé ?... », haranguait Lucie-de-Sisteron. Telles des sardinières réparant leurs filets, le pied posé haut, quand elles retendaient leurs bas résilles jusqu’au blanc des cuisses, c’était comme pour s’assurer une bonne pêche. Appâtés par la chair, les voyeurs tout autour, tels des poissons fascinés, empêtrés dans cette nasse aux carreaux si laiteux, gobaient l’air par tous leurs sens excités. Moi, je comptais tous ces carrés blancs sur l’écran des indiscrétions…  

De l’œillade amicale de l’une, à l’œillade furtive de l’autre, je tentais de comprendre ces sémaphores ensorceleurs aux mille interprétations ostensiblement secrètes ; malgré leur lascivité professionnelle, elles flottaient dans la rue, plus bariolées que le grand pavois d’un bateau, le jour de son entrée triomphale dans un port.
Je ne comprenais rien à leur jargon, bien plus compliqué que les termes les plus techniques de la chaufferie du bord. Élevant la voix, balançant une salve de jurons à l’importun égrillard, hélant un passant solitaire, en claquant des talons, elles pétaradaient sur le trottoir pour ramener l’attention générale sur elles. Naufrageuses, elles allumaient des feux de joie dans mes pupilles ; moi, mélange de peur et d’attrait, j’étais pris dans leurs miroirs affolants et multicolores, et je comptais leurs éblouissements apostropheurs m’appelant à chaque clameur de lumière…

De l’œillade salace de l’une, à l’œillade entremetteuse de l’autre, j’avais l’assurance du passant prince, le regard du roi, l’aisance de l’empereur ; pourtant, je restais sagement derrière les autres, les plus affriandés. Il me fallait tout admettre sans rien comprendre. Pourquoi était-elle sous ce porche et s’en allait-elle avec son client dans une autre ruelle ?... Pourquoi avait-elle l’air de s’enfuir comme si elle était pressée de revenir ?... Pourquoi toquait-elle à une porte en montant les escaliers ?... Y avait-il quelqu’un derrière qui nombrait ses passages ?...
D’une petite affaire à l’autre, elles revenaient sur leur lopin de trottoir, toujours aussi maquillées, toujours aussi brillantes ; appliquées, elles allumaient une cigarette, comme après l’Amour, mais les ronds de leurs exhalaisons lancés au ciel n’étaient que la fumée de leur usine ; même la manière de tenir leur clope, façon starlette, était une invite à partir s’user dans cette fameuse usine. Moi, je comptais ces arabesques, ces effets de lasso qui m’emprisonnait inexorablement…

« Tu montes, chéri ?... »

De l’œillade convenue, à l’œillade partenaire, l’Amour à petit prix, l’Amour en dix minutes chrono, l’Amour « Garde tes chaussettes », l’Amour païen sur la paille, l’Amour œdipien, la tentation irrépressible d’entrer dans ce corps de femelle, de s’y installer, de croire retrouver sa chambre prénatale, tripoter ces gros seins, renifler cette sueur, admettre ce ventre, tirer sur les élastiques, et penser à maman sans le faire exprès, s’activer parce qu’il y a la queue (qui attend dehors). Dans l’extase, laisser un peu de sa signature, et le rouge au front, se promettre de revenir encore et encore limer dans cette usine. Moi, au coin de la rue, je comptais ce qui me restait dans mon porte-monnaie, ne sachant plus vraiment si j’avais fait un bon placement ou si j’avais perdu au jeu de… l’Amour…

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Commentaires
J
Amour et argent riment-ils ?<br /> <br /> en tout cas voici un beau clin d'oeil au thème de l'amour monnayé
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V
Désir et regret, question sans solution... Blues du trottoir. Sourire
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V
Un thème choisi pour le Pascal des trottoirs ! C'est bien vu, peut-être même du vécu
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L
une drôle d'école que ces jeux là
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Y
Je me suis toujours demandé pourquoi on parlait d'amour pour une partie de jambes en l'air tarifée. <br /> <br /> Comme toujours superbement raconté Pascal. ;-) On plaindrait presque le pauvre "puceau" qui se demande à quoi il a joué.
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W
Brel et Pascal, Amsterdam et Toulon, même combat !
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L
les jeux de l'amour et du hasard
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A
donc, ça existe vraiment?<br /> <br /> ;-)
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K
D'oeillade en oeillade, apprendre que l'Amour et l'usine n'ont rien à voir l'une avec l'autre... quel talent !
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J
Quel tourbillon, cette histoire de Juliette et Jim, Catherine ! ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> https://youtu.be/kjJqHF0mb_k
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