La vieille dame et l’oiseau (EnlumériA)
Il était une fois, une très vieille dame, très modeste et très pieuse. Du plus loin, qu’elle s’en souvenait, elle n’avait jamais manqué la messe dominicale. Cette vieille dame avait trois fils qui avaient tous bien réussi dans la vie. Elle les avait élevés seule et ne tarissait pas d’éloges pour sa progéniture.
Or, il arriva que cette dame, un jour, atteignit ses cent ans. Elle-même, n’en revenait pas. Elle répétait souvent que Dieu l’avait oublié et ne manquait pas une occasion de se rappeler à son bon souvenir dans ses prières du soir. Elle culpabilisait, se disait qu’elle avait fait son temps et son devoir. Qu’elle avait enfin droit au paradis.
Ses fils ne l’entendaient pas de cette oreille. Les gaillards n’étaient pas pressés de laisser partir leur petite maman chérie.
Ils décidèrent, d’un commun accord, de fêter l’événement en organisant une petite fête sans prétention et se lancèrent le défi d’offrir le cadeau le plus original qui fut.
L’aîné, qui avait fait fortune dans la joaillerie, offrit une somptueuse parure de diamants agrémentée de rubis et d’émeraudes.
Le cadet, qui devait son succès au marché de l’automobile, fit fabriquer par les meilleurs artisans une merveilleuse reproduction de la voiture qui avait servit pour le mariage de leurs parents, la fameuse Tucker Sedan de 1948, entièrement réalisée à la main.
Le benjamin qui connaissait la ferveur religieuse de sa mère, fit jouer ses relations afin de se mettre en quête d’un cadeau unique au monde et il le trouva. C’était un perroquet de toute beauté capable de réciter la Bible par cœur, et sur commande s’il vous plait. Il pouvait même vous chanter le Cantique des Cantiques ou vous psalmodier les évangiles et l’Apocalypse réunis sans aucune fausse note. Il suffisait de demander et l’oiseau obtempérait d’une belle voix bien posée. Une merveille.
La célébration du centenaire de la vieille dame fut une réussite. Tout le gratin était réuni. On avait même invité Monseigneur Di Calabrio, camerlingue du Sacré Collège qui célébra la messe en personne et le célèbre ténor Luciano Poilderotti, qui avait annulé une date pour venir spécialement interpréter l’Ave Maria de Schubert. Comme vous venez de le deviner, la vieille dame se prénommait Maria.
Quelques jours plus tard, les trois frères reçurent chacun une carte de remerciement accompagnée d’un petit commentaire. L’aîné fut informé que le joyau était beaucoup trop ostentatoire pour une vieille dame toute simple. Elle l’avait donc mis en vente au profit de différentes œuvres caritives. À sa grande surprise, le cadet apprit que la Tucker Sedan avait été offerte à titre de dation à la Cité de l’automobile de Mulhouse. Quant au benjamin, il reçut le petit mot suivant : « Mon cher petit, tu connais ma légendaire humilité et je te confirme que c’est bien toi qui a eu la meilleure idée de cadeau. Bien qu’un peu difficile à plumer, le poulet que tu m’as offert s’est révélé délicieux avec une petite sauce aux morilles et un verre de vin de Toscane. Je me suis régalée. Je t’embrasse très fort. »