Participation de Fairywen
La jeune femme de la forêt.
Dans le village, on la disait un peu bizarre. Excentrique, même. Pour commencer, elle vivait à l’écart, dans une maisonnette toute proche de la forêt. Lorsqu’on lui demandait si elle n’avait pas peur des loups, le nuit, elle se contentait de rire et de dire que les loups avaient mieux à faire que d’assiéger sa chaumière. Et puis elle disait des choses étranges, comme par exemple qu’il ne fallait pas planter les concombres près des melons, parce qu’ils s’aimaient tellement qu’on se retrouvait avec des melons au goût de concombre. Mais jamais des concombres au goût de melon, car le vert l’emportait sur l’orange dans la hiérarchie des couleurs du potager. A d’autres moments, elle s’arrêtait près d’une fleur ou d’un arbre, et penchait la tête de côté comme si elle écoutait un interlocuteur invisible, puis riait ou répondait avec un grave sérieux. Même chose au bord de la rivière, où elle donnait l’impression d’écouter au-delà du murmure de l’onde. Dans sa maison, il y avait toujours une petite soucoupe de lait à côté d’une assiette de gâteaux et de fruits secs. Quand on lui demandait pourquoi, elle souriait d’un air indulgent, l’air de dire ʺc’est évident, voyons ! Comment peux-tu ne pas le savoir ?ʺ mais ne répondait pas. Ceci dit, tout le monde l’aimait bien. Lorsqu’elle venait au marché vendre les objets délicats qu’elle confectionnait avec des brindilles, des graines, des fleurs séchées…, tout le monde se les arrachait, car ils étaient réputés pour porter bonheur.
Et puis un jour elle disparut, comme ça, sans prévenir. Comme la moisson battait son plein, personne ne s’inquiéta vraiment. Et comme elle n’avait pas de famille, personne n’entama de recherche. Mais avec elle un peu de la joie du village s’en était allée. Ceux qui avaient acheté ses petites créations soupiraient parfois en les regardant, le cœur gros, et se disaient que peut-être ils auraient pu abandonner un peu les travaux des champs pour partir à sa recherche. A la surprise générale, l’un des guerriers du village, un beau jeune homme qui faisait se retourner toutes les filles sur son passage, avait pris l’habitude de monter chaque jour vers la chaumière de la forêt. Là, il entretenait le jardin, prenant bien garde de ne pas mélanger les concombres et les melons, et dans la maison, il veillait à remplir la soucoupe de lait et l’assiette de gâteaux. Il aurait été bien en peine d’expliquer pourquoi il agissait ainsi ; simplement, il avait de la peine à l’idée que la jolie maisonnette soit abandonnée. Et puis il sentait bien, là-haut. Il oubliait la guerre, le sang, les combats. Il y passait de plus en plus de temps, car étrangement, il ne s’y sentait jamais seul. Il s’était même mis à parler aux plantes, à la rivière, et parfois, il lui semblait entendre un rire en réponse.
Un soir, épuisé par une journée d’entraînement particulièrement pénible, il s’allongea sur les fourrures devant la cheminée et s’endormit. Et lorsqu’il s’éveilla, au milieu de la nuit, il la vit, assise auprès de lui. Surpris, il se dressa sur un coude, remarqua la présence d’une dizaine d’étranges petits personnages autour d’elle.
« Bonjour, guerrier, fit-elle doucement.
-Je suis en train de rêver, c’est ça ?
-Non. Je suis venue te remercier d’avoir pris soin de ma demeure et de mes petits amis.
-Où étais-tu ?
-J’étais là. Je t’observais.
-Tu n’es pas ce que tu sembles être, n’est-ce pas ?
-Et je semble être quoi ?
-Une jolie fille un peu excentrique qui parle aux fleurs. Mais maintenant, je sais ce qu’il y a dans les fleurs.
-Je suis une fée, guerrier. Comme toutes mes semblables, je suis venue dans ton monde pour chercher un compagnon, quelqu’un qui verrait au-delà des apparences. Lorsque je me suis effacée de la vue des villageois, tu es venu ici. Sans savoir pourquoi, tu as pris soin de mon jardin dans le respect de mes croyances, et tu n’as pas oublié de donner à manger aux petits êtres qui vivent avec moi.
-Moi, un guerrier, je pourrais être le compagnon d’une fée ? Moi qui vit les armes à la main et qui me suis forgé dans la guerre et le sang ?
-Toi qui a gardé un cœur assez grand pour prêter attention à une fille en apparence un peu folle qui raconte qu’il ne faut pas planter les concombres à côté des melons parce qu’ils s’aiment trop, le corrigea-t-elle. »
Le lendemain, la maison avait disparu, de même que le souvenir de la fée et du guerrier. Ne restait que ces petits porte-bonheurs qui se transmirent précieusement de génération en génération, et qui chez les plus sensibles faisaient naître l’image d’une jolie jeune femme un peu étrange qui parlait aux fleurs et aux oiseaux.
Quant au guerrier, il ne regretta jamais d’avoir traversé le voile vers le pays des fées.