le pigeon voyageur (Sergio)
- OH Marcel, viens voir il y a de la lumière chez les Borne
- Qu’est-ce que tu racontes ? ils sont morts depuis au moins cinq années.
- Je sais mais je te dis que j’ai vu……… viens voir !!
- Ah oui tu as raison mais c’est une lanterne. Cela doit être des Roms qui s’installent. Demain avec les copains chasseurs, on les déloge. On va se faire emmerder par ces loqueteux .Viens te coucher.
Marcel j’ai préféré appeler la gendarmerie. Ils arrivent et je préfère cela. Avec ta bande d’excités de la gâchette, vous me faites peur. Vous n’êtes capable que de bêtises que tout le monde regrettera après.
Je regardai caché derrière le vieux Berlingot de chasse de mon oncle. Ils s’étaient tous armés comme pour partir à la guerre. Heureusement les gendarmes étaient arrivés avant & avaient pris les choses en main. Devant la maison, au milieu des ronces, des herbes folles et des arbres renversés était garé un vieux pick-up Toyota jaune sale. Le portail avait été ouvert de force. Derrière les vitres sales, ou du moins ce qu’il en restait après le passage de nos frondes, vacillaient des lueurs tremblantes. Le capitaine Anglada, peu rassuré pris son courage à deux mains et bougea son quintal en direction de la maison. Ses deux collègues en retrait assuraient sa sécurité. Ils semblaient peu rassurés et il est vrai qu’avec ces squatters on ne savait pas trop à quoi s’attendre. Le capitaine de son pas léger mis le pied sur la première marche qui grinça dans le silence épais du petit matin. Aussitôt la lumière à l’intérieur s’éteignit. Plus personne n’osait respirer. De mon observatoire je voyais la sueur dégouliner dans le cou du capitaine. Il s’avança et frappa à la porte .Un bruit métallique de chien de fusil que l’on arme déchira le silence. Tout s’arrêta. Il me semble que même les oiseaux& les insectes se turent. La porte s’ouvrit. Le bruit d’armement n’était que le bruit de la serrure grippée par le temps. Le capitaine avança, salua d’un doigt porté à son képi et entama une discussion avec les occupants tapis dans l’obscurité. Il resalua, serra une main & reparti vers le petit groupe d’hommes qui attendait au bout du chemin.
- Alors capitaine, on les vire ?
- Non
- Mais qu’est ce qui se passe ? on ne va pas se laisser envahir, il faut réagir. Si les pandores ne font rien, nous on y va !!
- Vous n’allez nulle part.
- Et pourquoi ?
- Parce qu’on ne déloge personne, car personne est chez lui. C’est chez lui !!
- Chez lui ?
- Oui c’est le fils Borne. c’est jean.
- Il est revenu. Il est chez lui et on lui fiche la paix. Circulez !!!
Le retour du pigeon voyageur.
J’appris au repas qu’il était parti il y vingt-deux ans le jour de ses dix-huit ans. Cela se passait très mal avec le vieux.il était parti à Orange par le train .il s’était engagé dans la légion étrangère. D’abord le troisième REC à Orange puis le deuxième REP à CALVI Il n’avait jamais donné de nouvelles. Ma mère qui ne parlait jamais à table dit « si il donnait des nouvelles mais uniquement à sa mère en poste-restante »je le sais par Henriette, la postière. C’est une ami d’enfance & elle lui portait les lettres, discrètement après ses tournées. Nous apprîmes qu’il avait été engagé au Liban puis au Tchad et enfin en Afghanistan.il avait été blesse grièvement, démobilisé et n’avait plus donné e signe de vie depuis.sa mère était morte de chagrin et son père l’avait suivi de près. Lui aussi était mort de chagrin mais à l’intérieur, consumé, cramé mais muré derrière son entêtement et son mutisme.
La vie reprit. Il ne parlait à personne, ne jetant même pas un regard. Personne ne lui parlait .Tout le monde l’évitait soigneusement. Tout un chacun avait quelque chose à se reprocher .Tout le monde était allé se servir dans la maison et l’atelier des vieux, une fois qu’ils furent décédés. Certains n’attendirent pas très longtemps. « On n’allait pas s’laisser perdre toutes ces choses, ma bonne dame ! »
Il avait défriché, coupé des arbres, redressé les clôtures en bois et les avait repeint d’un joli vert anglais qui fit beaucoup parler .il avait remis les bardeaux de la toiture en place et replacé tous les carreaux de fenêtre qui avait été cassé par les gamins du quartier.
Sans crier gare il disparaissait des jours, des semaines & un matin en partant à l’école on voyait le pickup décrépi garé dans la cour. Notre imagination allait bon train, suivait des chemins de traverse et nous lui attribuions des histoires épiques, des aventures secrètes et des voyages insolites dans des lieux où nous n’irions jamais pour la plupart d’entre nous. Nous lui bâtissions une légende. Il était notre héros.