meubler le temps (titisoorts)
Fort, je suis fort , je suis un chêne puissant que rien ne pourra déraciner, je ressens encore, l'énergie de la terre qui par la sève remonte dans mes racines et me revigore. Fier, j'étais fier, j'étais le plus beau chêne de la forêt, je ressentais le vent qui sur le bout de mes feuilles, m'apportant liberté et douceur.
C'était sans compter sur les hommes, qui pour la naissance d'une fille, coupaient le plus beau chêne pour qu'à son mariage le père m'offre en sacrifice, transformé en meuble.
Ils m'ont coupé, je m'en souviens lorsque je suis tombé, le ciel s'est mit à tourner je me suis dis" çà y est, c'est la fin".
C'est la pluie qui m'a réveillé. j'y suis resté longtemps, longtemps, pour que je me lave, pour que je sois lessivé de mon tanin.
Puis, ensuite, j'ai été stocké, oublié sous un hangar.
Les seules moments de bonheurs que j'avais, c'était lorsqu'elle venait, lorsqu'elle courait autour de moi et quelques fois se reposait tout contre moi. Je la voyais grandir, je la voyais s'embellir,s'épanouir, jusqu'au jour où elle rencontra ce jeune homme. J'ai su, que tout allait changer.
Alors je fût transformé, je devenais, au milieu de la salle, face au soleil, important, oui je prônais, là, près de la vulgaire pendule comtoise en sapin.
Pourtant, j'aurais dû me sentir esclave, captif, mais comme je la voyais elle, elle qui vivait tout près de moi. Je ressentais ses moindres frémissements, je savais lorsqu'elle ouvrait ma porte si elle était anxieuse ou bien en colère. Je la préférais bien sûr lorsqu'elle était reposée, détendue, douce et qu'elle chantonnait tout en me cirant, toutes les fibres de mon corps ressentaient sa chaleur, la caresse de ses mains, ma fébrilité. Le temps, lui, passait, inexorablement, je le percevais à ses mains qui devenaient au fil des ans, de plus en plus rugueuses.
Et un jour , beaucoup de monde a défilé devant moi, cela me rappela la dernière naissance dans la famille, mais là quelque chose clochait. Les gens habillés de noirs avaient l'air triste. Je compris plus tard que je ne la reverrais plus jamais, je criais à l'intérieur j'aurais voulu devenir son cercueil, sa dernière demeure, pour finir auprès d'elle. Mais la maison se fit noire pour longtemps et je suis resté, seul, enfermé. La maison était mon cercueil.
Un jour, la lumière fût, et on m'a transbahuté, trimballé d'enchère en enchère. Pour finir où, dans un garage, fini les senteurs de linges propres, place à la peinture et au diluant. Fini la cire sur mes épaules, le temps m'a petit à petit détruit, les portes qui crissent, les gongs qui cassent et c'est fini. Heureusement, lorsque le soleil me réchauffe les fibres, je me souviens...