Une aventure Lambda (Joye)
Mon cher Léopold,
Tu
ne vas jamais deviner ! La semaine dernière ton papa m’a offert un safari
urbain à Charleroi ! Ah, quelle bonne surprise ! Je ne sais pas si tu
es au courant, mais cette ville a récemment été classée première de toute l’Europe
dans un sondage néerlandais ! Tu peux imaginer ma joie que mon Homme m’embarque !
J’adore les excursions. Et elles sont si rares !
Alors,
nous avons mis le réveil pour très tôt samedi, car Papa tenait à partir dès l’aube.
Bien sûr que je me suis levée deux heures avant lui pour assurer le pique-nique
– Papa ne voyage pas sans son jambon-beurre - et puis faire aussi la lessive et le ménage. Tu sais bien que c’est
une erreur de laisser au lendemain ce qu’on doit faire le jour même ! Et
puis, je devais me laver les cheveux, prendre mes gouttes, chauffer l’eau pour
le thé – c’est dingue à quel point c’est facile maintenant que nous avons le
gaz à l’étage, comme Papa l’appelle. Ah,
mais c’est un drôle, ton papa !
Et
puis à la dernière minute, le pauvre
chou n’a pas pu venir ! Oui, son lumbago ! Encore ! Je
voulais bien l’accompagner chez sa jolie infirmière, Miss Couquie, je crois que
Papa a dit que c’était son nom de famille bien qu’il l’appelle Bettie, mais tu
sais moi et ma pudeur, je n’arrive jamais à tutoyer comme sait faire ton père.
Donc, il devait se baigner, se raser, et le tout pour aller la voir, comme d’habitude,
et puis il a pensé en dépit de ses souffrances de me dire de lui laisser notre
pique-nique afin qu’il se restaure s’il sentait des vertiges après le traitement.
Ton papa n’est rien sinon prudent. Il a même pensé à y
mettre une bonne bouteille de vin, mieux pour reprendre ses forces après l’épreuve.
Ah, cet homme, il pense à tout !
Alors,
oui, j’y suis allée seule. Au début, j’avais un peu peur, oui, je n’aime pas me
promener seule dans les grandes villes, mais j’y suis allée par le train, et je
suis arrivée même avec quelques minutes
d’avance et j’ai pu faire la connaissance de la guide, une madame Oupune. Ah,
une femme ravissante, si espiègle, et quelle mémoire pour les détails !
Ah, cette femme, elle a un futur incroyable devant elle, si elle veut bien devenir
raconteuse ou écrivaine ou même…oh, je ne sais pas ! Tout ce qu’elle
voudrait ! Mais pour le moment, elle est guide et quelle chance pour moi !
Lors
de la visite, nous avons vu la Marchienne au Pont, où madame Oupoune nous a
raconté la vie – ou, plutôt la mort – d’une petite fille, fusillée par un
soldat juste quelques jours avant l’Armistice de 1918 ! On lui a érigé un
monument, figure-toi ! Un monument entier pour une petite fille ! Si
ce n’est pas une vie réussie, je ne sais pas ce que ce serait !
Nous
avons aussi vu l’endroit où la mère de Magritte s’est jetée dans le fleuve
Sambre. Pauvre femme ! On comprend que les peintures de son fils auront pu
l’embarrasser, le pauvre type ne savait même pas dessiner des figures ! Tu
sais qu’une fois il a mis une pomme pour la figure d’un homme ? Ah oui !
Non, je ne plaisante pas, mon chéri, je
ne plaisante pas !
J’ai
beaucoup aimé l’usine abandonnée, mais j’avoue que j’aurais préféré visiter le
Bois du Cazier, là où plus de 200 mineurs de charbon ont été tués dans un
accident – oh ! je sais que madame Oupoune aurait su raconter celle-là,
mais nous nous sommes contentés à étudier les terrils pour découvrir leurs
ressemblances avec des œuvres d’art. Il y avait un jeune Rennais dans le car, d’origine
russe, je crois, qui a tout reconnu. C’était
impressionnant ! Il a repéré le Penseur, la Vénus de Milo – bien que l’autre
soit à Paris, il nous a fait remarquer ! et même l’Obélix d’Astérix, comme
celui qui se trouve aussi à Paris ! Oui ! Quel œil ! Surtout
parce qu’il était en train de jouer au harmonica et chanter des chansons à
propos d’une vieille vedette norvégienne, une Ludivine Allah ? Bouddha ?
Quelque chose, je ne me souviens plus exactement de son nom. C’est dommage, il
m’a dit de la gogoler en rentrant. Je ne sais pas ce que c’est gogoler, mais je
voudrais bien l’essayer, ça a l’air amusant !
Mais
avec tous les préparatifs, j’étais bien fatiguée et je crains de m’être un peu endormie
avant de voir la maison d’un monsieur Du…Du…Dutroux ? Ce nom me dit
quelque chose, ce n’était pas lui qui aimait tant -à mourir, disait-on, je crois - les
enfants ? Quelque chose comme ça ?
Comme
tu vois, cela a été une visite extraordinaire ! Et quand madame Oupoune a dit de ne pas oublier la guide à la
fin du voyage, j’ai ri à haute voix, et je lui ai longtemps serré sa main en
partant. J’aurais bien voulu dire au revoir aussi au jeune monsieur astucieux,
mais il était entouré des femmes – sans doute des stagiaires – et j’avais du
mal à le voir repartir en vélo.
Je
suis rentrée à la maison vers minuit, et j’ai vu que ton adorable papa - pour
ne pas me causer tant de soucis - s’est endormi sur le sofa, encore habillé. Le
pauvre avait encore de ces marques rouges et bizarres au front, c’est toujours
ainsi après des piqûres de Miss Couquie. Mais je sais que demain il sera
requinqué et en super bonne humeur.
Peut-être
l’année prochaine me trouvera-t-il un beau safari campagnard à faire – la prochaine
fois en Hiowa – je crois que c’est tout près de Knokke-le-Zoute, Papa m’a dit qu’il y vit en Hiowa une Knokkhoute,
c’est bien le nom des habitants là-bas, non ? Faudra que j’aille consulter
mon Quid !
Je
mets ci-joint l’annonce du safari si tu veux bien te risquer à une aventure, tu
tiens tellement de ton papa en cet aspect.
Bonne
nuit mon beau petit grand !