Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 050 390
Derniers commentaires
Archives
14 septembre 2008

Eperdument. ( Kloelle)

 

Ils m’ont souvent demandé, avec cet air subtilement condescendant, si j’en rêvais aussi la nuit. Je levais les épaules en souriant gentiment…ça ou autre chose je leur répondais. A quoi bon tenter de leur expliquer : je n’en rêvais pas la nuit, elle était mes nuits.

C’est dans mes rêves d’enfant que je l’ai vue pour la première fois. Elle n’était ni aussi belle, ni aussi aboutie qu’elle l’est maintenant, mais elle avait déjà cette fragilité, cette façon de braver les équilibres naturels, comme suspendue entre terre et nuages.

Ce n’est que plusieurs années après, alors que nous prenions nos premières vacances à la mer, que je l’ai, à la chaleur moite du sable se courbant sous mes doigts, délivrée de son carcan chimérique. Du sable, elle avait bien sûr la beauté instable et passagère, mais elle prenait néanmoins corps avec une intensité étourdissante.

A cette époque, mon père déjà, se moquait des ébauches, des croquis et maquettes qui encombraient ma chambre. Or, je n’étais pas de ces adolescents qui s’affirment, j’étais de ceux qui emprisonnent leurs rêves et qui suivent le droit chemin pointé par leurs aînés sans autres discussions.

C’est devenu comptable chez maître Chifrellan, comme l’avait, en son temps, été mon géniteur, que l’irréfragable envie de poser la première pierre de ce rêve se dessina à nouveau. L’ennui de mes journées passées entre passifs et chiffres noirs ? La fadeur du mur de la cour qui constituait notre seule échappée vers l’extérieur ? Je ne sais ce qui m’y décida, mais je pris, dès lors, l’habitude de consacrer mes poses à l’élaboration des épures et dessins qui, le soir même, guidaient mes mains.

Je ne faisais guère attention aux rires nerveux de mes compagnons, aux gloussements et autres mimiques bouffonnes qui cimentaient leur misérable cohésion à me croire fou ou au mieux farfelu. Tout mon intérêt était dirigé à son endroit. J’élaborais la conception de mon ouvrage, j’organisais le déroulement de mes nuits, entre sommeil, déplacement de matières et érection.

Pourquoi la nuit ?

Mais…Ce qui se jouait en secret au fond de mes vergers, en lisière de bois, dépassait les limites de l’imagination dont mes concitoyens étaient capables. Et puis, je la voulais pour moi, pour moi seul.

Vous dire à quel point j’ai aimé reposer de tout mon long sur sa peau granuleuse, parcourir de mes mains abîmées ses ogives charnues, brûlantes du soleil de midi, bercer mon regard de l’ombre que faisait la lune sur ses courtines fuselées, les mots me manqueraient.

Je l’ai espérée comme on espère un amour unique, et, au soir de ma vie, si je vous écris à vous, qui un jour nous découvrirez, elle et moi, c’est pour que vous compreniez que nul ne doit jamais nous séparer.

Elle

Publicité
Commentaires
V
J'aime vraiment beaucoup la poésie, la sensualité qui affleure tout au long de ce texte ; un bien joli exercice
Répondre
R
j'avoue que la photo m'a soudain<br /> "illuminé" l'esprit.<br /> et là, tout s'est mis en place.<br /> j'aime beaucoup l'utilisation que tu fais des mots pour dépeindre le ressenti du créateur....<br /> tu nous transportes avec toi.<br /> oui, on partage
Répondre
M
Comme c'est beau Kloëlle !!! Je reste sous le charme !<br /> Et je viens de regarder la vidéo que tu nous a recommandée...."Obstinément le rêve" comme le dit Ferdinand Cheval.
Répondre
J
Un beau récit. Je ne m'attendais pas à la photo, mais elle non plus ne m'a pas déplu !
Répondre
K
Tiphaine, oui, heureusement. Je voulais juste préciser qu'il n'y avait aucun élément "historique" dans ce texte. Je ne connais rien de la vie du facteur Cheval...Juste son oeuvre puisqu'elle n'est pas si loin de chez moi.
Répondre
T
Kloelle, tu sais bien que les lectures sont subjectives ! Moi, j'ai eu plaisir à réinterpréter ton texte à la lumière de la photo choisie, ça ne gâche rien, bien au contraire !
Répondre
P
Nous en parlions avec Val, de ce pouvoir des textes de révéler tout ou partie de leur auteur.<br /> Kloelle n'est pas un homme et pourtant ses lecteurs habituels la voient en transparence. Non pas que nous l'imaginions charriant force brouette de béton, sable et galets, mais elle est là...<br /> <br /> Un jour il faudra que je dise en quoi je perçois les artistes (peintres, sculpteurs, architectes...) qui éprouvent l'irrépressible désir de matérialiser leurs rêves, comme des handicapés de l'imagination.<br /> Un jour, un jour...<br /> <br /> Sinon, Kloelle, vous maîtrisez si bien l'écriture qu'on se prendrait à souhaiter que samedi revienne plus souvent ! Eventuellement un dimanche, d'ailleurs !
Répondre
W
Essayez donc aujourd'hui !<br /> L'urbanisme, vous connaissez ? L'ennemi de l'urbanité...
Répondre
K
Mon texte ne parle pas de lui...même si son souffle était là et si l'image que j'ai choisie est une partie de son fantastique palais.<br /> Si vous passez par là, n'hésitez pas...c'est unique !!!<br /> http://www.facteurcheval.com/video.html<br />
Répondre
T
Oh ! Si tu savais comme je l'aime ce facteur moi aussi ! Bravo pour ce texte, un vrai régal.
Répondre
T
Et... un déclic de plus... un !!!<br /> Quand je dis que les grands projets naissent souvent d'un tout petit déclic !!!!
Répondre
W
Et Pygmalion nous murmure au creux de l'oreille !
Répondre
J
Un texte aussi bien travaille que la sculpture dont il est question. Superbe!
Répondre
V
Ah, Kloelle! Comment aurait-on pu se passer de ta participation? <br /> Comme c'est bien!!!!!!!!!<br /> <br /> Bravo pour la sensualité, qui laisse croire qu'il s'agit d'une femme, en effet. Quelle osmose entre lui et ELLE!
Répondre
C
J'avais imaginé un rêve d'enfant, de devenir dessinateur, puis une femme. C'était une construction de l'imaginaire, bien loin des passifs et bilans financiers !
Répondre
C
Mouarf, le HTML est mon grand copain. Je suis un peu moins le sien, mais si je peux aider...<br /> Papistache, passez à l'affichage en html, copiez le tout dans un fichier .txt et envoyez que j'y regarde ?
Répondre
P
Mille excuses à Tous, mais , depuis ce matin, le Titivillus s'ingénie à perturber la mise en page des billets en ajoutant cete marge à gauche dont je ne parviens pas facilement à nous débarrasser.<br /> Lisez donc le texte de Kloelle, je cherche la solution et je reviens... si le Titivillus ne me mange pas !
Répondre
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité