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Le défi du samedi
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15 juillet 2023

Au temps des sépultures (TOKYO)

 

J’habite, un grand cimetière. Je suis une tombe qui date de 1810, entourée d’un grand jardin et de majestueux peupliers.

Certainement, l’une des plus belles tombes, que la commune a en son sein.

 Les propriétaires tous défunts à ce jour n’ont pas lésiné à la dépense. Une grosse gargouille sur le fronton , le marbre noir, venu tout droit du sud de l’Italie, recouvre la dalle centrale.

Au-dessus de l’édifice, trône, un chapeau ornementé de volutes. Cette mise en scène est, je crois, le geste le plus savoureux de cette famille. Il met en relief mon esprit souverain face à toutes ses petites morts, et ces destins invisibles. Cela peut sembler prétentieux, mais étant la tombe la plus haute, chapeautant toutes les autres, je revendique cette

Prédominance intellectuelle. Outre cette position élevée et cette autorité naturelle, je

Suis aussi la mémoire du lieu de par les nombreux objets entreposés au fil des ans sur ma tombe.

Certaines tombes dans mon dos murmurent que j’ai fait mon temps et que la Révolution française étant passée par là je devrai avoir moins d’arrogance.

Elles ne supportent pas ces vas et viens, ces commémorations et ses couronnes de fleurs qui devraient leur être destinées et qui atterrissent toujours sur la mienne.

Inutile de s’attarder sur ces mesquineries, je préfère me concentrer sur la réunion de ce soir.

J’ai en effet convoqué en urgence tous les esprits du cimetière, y compris les plus insignifiants, comme ceux des basses extractions.

Leur basse fonction, leur quotidien honteux, le bruit et les odeurs subies tout au long de leur vie ne leur ont jamais permis de prendre la moindre hauteur dans un débat, mais bon, comme la démocratie prévaut chez nous, il est donc normal qu’ils soient de la réunion. J’entends que l’on frappe à ma trappe d’accès, les esprits sont donc là.

Un à un, ils prennent place et comme à leur habitude les mauvais esprits des tombes oubliées ne peuvent s’empêcher de cancaner, médire et ricaner sottement.

Leur centre d’intérêt s’élève rarement au-dessus de la ceinture, et les petites habitudes

Sexuelles des visiteurs du soir restent leur grand sujet de conversation. J’apprends.

Que certains viennent se tripoter tous les soirs sur leur tombe. Ce qui fait glousser d’un rire

Crétin la tombe du préfet. Je finis par demander le silence, heureusement aidée par

 Une sépulture d’une vieille dame inconnue qui déteste le brouhaha, et préfère les conversations censées et si possible de bon ton.

 

— Bien, je vous ai réuni pour vous annoncer un événement aussi décisif que le

Jour où notre maison est passée des lampes à pétrole à l’électricité, du charbon au

Gaz et j’en passe. Un événement d'importance va chambouler notre quotidien.

 Après un bref silence qui scotche leur attention, je leur annonce que   le cimetière va être déplacé et qu’il faut s’attendre à un grand chamboulement et qu’il va falloir se mettre d’accord sur ceux qui acceptent cette deuxième mort, , s’ils veulent faire acte de candidature, ou s’y opposer avec radicalité.

 

Leur surprise est totale et j’ai un mal fou à mettre un peu d’ordre dans la rumeur qui s’ensuit.

 — Alors, il s’agit d’une destruction dit la tombe de la famille Vidal. Mais cela va être affreux, cela va détruire toute l’harmonie du cimetière.

 — C’est en effet une transformation totale. Mais à quel endroit doit-on aller, crient certaines.

 Les intéressés restent bouche bée. Après deux siècles de tranquillités et de cohabitation !

C’est une fantaisie de ces nouveaux riches qui disent certaines. Mais enfin crie l’une d’elles, les gens aimaient se retrouver ici, y  bavarder . Ce changement va nous faire bien du tort.

 Une petite tombe ne semble pas concernée et a un fou rire qui tombe mal. Elle rit et dit enfin quoi ? ne me dites pas que vous avez peur d’un déclassement !! . Ignorez-vous que vous êtes quelconques. Parle pour toi dit la tombe art déco qui cherche à rivaliser avec moi depuis le début de la réunion. Devant tant de parti pris, j’essaye de faire diversion en interpellant, les tombes qui regardent la mer. Je sais qu’elles ont tout à perdre dans cette réurbanisation. Les vivants n’ont qu’à prendre leur responsabilité, disent-elles d’une seule voix. D’ailleurs nous n’y croyons pas une seconde et elles se défilent dans un silence de tombe contrariée comme à leur habitude.

 C’est désolant ce côté prout prout dit la tombe du maréchal ferrant déjà de leurs vivants c’était des dissidentes. Jamais concernées. Certaines rient aux larmes. Ces fous rires sont déplacés et tombent mal, dis-je. Je ressens un malaise face à la tombe de Monsieur le Curé. Je me rappelle très bien le jour où sa tombe déclara toute en dédain, réjouie qu’elle était quelque part notre inconscient et qu’il ne faudrait pas trop la chatouiller.

Alors pour qu’elle ne déballe sur les uns et les autres quelques révélations bien croustillantes je ne lui donne pas la parole. Du coup d’une voix doucereuse, je propose qu’on puisse s’entendre sur un accord pour échapper à cette aberration.

On dirait que cette proposition d’alliance les tétanise. Je ne comprends pas cette hostilité. Tes raisons sont faciles à deviner, dit une vieille tombe ; Tu vas avoir une deuxième chance quant à moi je peux dire adieu à ma présence parmi vous. Tu te trompes petite tombe, notre union fera la

Force. Il nous sera facile de nous opposer à ces travaux. C’est scandaleux, crient certaines veux-tu que nous devenions un cimetière hanté ? Jamais je ne m’associerai à cette secte crie la tombe du préfet.

À ce moment-là personne ne sait encore qu’elles viennent de signer leur arrêt de mort.

 Notre désaccord nous a perdus. Nous avons été destituées par le conseil municipal. Nous ne sommes plus dans la ville, le cerveau et la mémoire des vivants. L’incinération a suppléé nos insuffisances à nous rassembler. J’ai été abasourdie, j’ai longtemps balbutié que ce n’était pas dans l’ordre des choses. Même morts les hommes sont seuls et n’en rajoutez pas vous lecteurs vos fous rires tomberaient mal aujourd’hui. Notre cimetière a disparu.

 

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Commentaires
J
Mais alors ? Où les Boris Vian de demain iront-ils pour cracher sur nos tombes, que demande celle de l'Amélie ! ;-)
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K
Une belle inspiration pour un thème pas du tout évident !
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L
On repense avec toi le royaume des morts, <br /> <br /> mais j'adore celles qui prennent le fou-rire
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J
J'adore.<br /> <br /> <br /> <br /> Si tu étais un homme, je t'appelerais Père Fection.
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W
Un billet qui tombe à pic !
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