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Le défi du samedi
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13 mars 2021

Le transbordement (Pascal)


Pleine mer. Entre les deux escorteurs, côte à côte, la manœuvre du jour, c’était le transbordement de l’aumônier sur l’autre bord. Avec les élingues plus ou moins tendues, selon les mouvements de roulis des deux navires, l’opération était périlleuse. Sur sa chaise sans porteur, je voulais croire que l’homme de Dieu n’en menait pas large.  Pourtant, tel Jésus sur la croix, endurant le martyr du transfert de personnel, s’il se tenait bien accroché aux montants de sa cage, il ne paraissait pas plus inquiet que cela…

Sans filet de protection, imaginez ce délicat transbordement, au milieu de nulle part ; imaginez l’eau s’engouffrant entre les deux coques comme un torrent en furie, et créant des vagues plus hautes que le pont, les ordres précis et les coups de sifflets donnés de part et d’autre des navires pour accomplir avec succès ces acrobatiques manœuvres de haut vol. Fallait-il que son âme et sa foi envers son Seigneur, sa vie qu’il remettait entre les mains des boscos, soient si inébranlables ? Pour arranger mes vérités, je pense qu’il devait prier pour être aussi courageux ; entre nous, sa participation enthousiaste à ce transport valait bien toutes les leçons de catéchisme du monde. Il avait le visage radieux, un peu comme si une auréole sécuritaire baignait de lumière toute sa personne. Était-il insouciant ou bien ne craignait-il pas la mort ? Si, malheureusement, le grand plongeon était inéluctable, allait-il retrouver son Seigneur et batifoler sur le tapis déroulé des Verts Pâturages ? C’était autant de questions qui se bousculaient dans mon incompréhension de minuscule catholique, mal converti à l’athéisme moderne…

Quand ceux des nôtres balancèrent la cage au-dessus de l’eau, il y eut un terrible ballant, capable de faire dégringoler n’importe quel jeune casse-cou de ce fragile piédestal. Mais non, tel un coquillage amoureux de son rocher, le ministre du culte scotché, à ses convictions, tint bon. En face, sur le bateau récepteur, une poignée de gaillards tiraient sur le boute pour amener rapidement le précieux colis vers eux. Il faut dire qu’avec tout son attirail de bondieuseries, il avait emporté avec lui le courrier du bord…
En cas de défaillance du matériel, de chute, le pauvre bonhomme, enfermé dans sa cage, celle-ci retenue par une élingue d’un côté, et frottant contre la coque de l’autre, dans l’enfer, le tumulte et l’eau glacée, même avec Dieu à ses côtés, il n’aurait pas survécu longtemps à son désastre. Son « Plus près de toi, Seigneur… » n’aurait été que ses dernières volontés sur l’autel sans fleur des disparus en mer…

Avez-vous connu cette extraordinaire situation, somme toute infernale, où vous désirez par-dessus tout que rien n’arrive de fâcheux à l’événement, et que vous n’êtes, pourtant, qu’un minuscule spectateur visionnant l’éventualité du tragique fait divers ? Tout à coup, on l’aime, ce héros anonyme, cette marionnette équilibriste entre le ciel et la mer, seulement suspendu par quelques « ficelles » et par l’opération du Saint Esprit. Il y a des choses divines qui supervisent les vies, je crois ; l’emploi du temps de notre existence est régi par un je ne sais quel devoir supérieur d’être présent, celui d’être maître ou seulement pion assujetti aux circonstances, qu’on soit pleutre ou brave, grand ou petit, jeune ou vieux ; d’autres l’appellent l’instinct…

Nous, on serrait les dents ; perdre notre ecclésiaste, ce serait un peu comme perdre la foi. Virtuellement, on tirait sur le boute qui l’amenait sur la plage avant du bateau adverse. Dans les deux camps, sur la passerelle, sur le pont et dans les compartiments machines et chaufferies, tous aux postes de manoeuvre, du manœuvrier à la barre, au chauffeur devant la façade, l’équipage était au réel sacrifice de cette réussite…

Maintenant, écartelé comme un hérétique entre les deux bateaux, il était dans le vide, en plein au milieu de son transfert ; sous lui, c’était l’intense bouillon, la cataracte insupportable, l’enfer aqueux entièrement dévolu à son engloutissement. Devant, des deux étraves, giclaient des myriades d’éclaboussures en confettis, créant des arcs-en-ciel éphémères ; une passerelle pour le paradis, me disais-je. Il n’empêche, suspendu dans le vide, il était spectaculaire, ce fragile héros, entre deux ponts, entre deux fanions, entre deux prières. Rempli d’humidité, mais accumulant les miracles, maintenant, il marchait sur l’eau…

Tout à coup, oscillation perverse ou gîte contondante, le bas de la cage vint heurter violemment la crête des vagues affamées qui tentaient déjà de le happer, comme des langues assidues léchant goulûment la blanche hostie à portée de leurs gueules ! Dans des gerbes d’écume, il ballottait, l’aumônier, comme un ricochet en record de rebonds, comme un roseau pris dans les remous d’un coup de queue de monstrueux brochet ! ! Son Dieu, tout là-haut, le mettait-il à l’épreuve ?... Lavait-il le moindre de ses péchés sous cet orage méditerranéen ?...

Nous, les voyeurs de la plage arrière, avec nos gros mots de basse ville, on sollicitait nos démons à l’apaisement, pour que le futur fait divers se termine en fait de gloire ! Voyez-vous, c’était triste et gigantesque en même temps. Pendant ces secondes de purgatoire, sa vie ne pesait pas le poids d’une plume, elle ne valait pas un bouton de culotte, un fifrelin dans la corbeille du bedeau pendant la quête dominicale, à la représentation de onze heures. Et son épitaphe déjà gravée titillait nos pensées : « Mort en partant en croisade, entre Toulon et les faubourgs de Jérusalem… »  
Pourtant, son aura multicolore le maintint à flot ; un autre coup de roulis le fit s’élever brutalement dans les airs, comme un élastique se détendant d’un coup. Fragile projectile, pierre dans la fronde de David, il aurait pu se faire éjecter tout aussi facilement... Enfin, les boscos du bateau receveur le hissèrent à leur bord ; délivré et debout, un peu chancelant, pas mal frigorifié mais complètement trempé, il salua notre bateau comme s’il lui donnait sa bénédiction. Alléluia ! Il avait fendu la mer ! Il était de l’autre côté ! Cela me fit tout drôle sur les épaules ; c’était un éphémère manteau de frissons aux pouvoirs surnaturels de félicité. Oui, l’aumônier de l’escadre, il avait une sacrée paire de c…

Transbord avec le Picard 76

Transbord avec le Picard 76_1

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Commentaires
B
Un récit impressionnant et magnifiquement écrit j'avais l'impression de vivre cette aventure en lisant tes mots Merci et Bravo Pascal
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T
la foie
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T
La foi quand elle anime un etre
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P
Un transbordement qui nous transporte, de réalisme en suspens. Très belle écriture, comme toujours. ( qui me donnait, en plus, l'impression de regarder un film). Bravo Pascal !
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J
En haleine jusqu’au bout par ton récit pour cet <br /> <br /> homme sous la protection de son dieu , <br /> <br /> mais guidé par de stoïques matelots
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V
J'ai eu l'impression d'être sur un des escorteurs, de vivre l'aventure. Et bien ça remue!<br /> <br /> Chapeau bas à l’aumônier. Sourire
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L
Fantastique et Impressionnant ! <br /> <br /> Il avait peut-être besoin de vivre à l'adrénaline, l'aumonier, pour avoir l'air si joyeux de l'aventure !
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W
La foi transporte bien les montagnes, pourquoi pas un aumônier ? ;-)
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J
Avec quelle ivresse il nous mène en bateau, ce Pascal ! Allumé comme un poète voyant ! Le Rimbaud des mers !
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Y
Il ne semble pas impressionné du tout l'aumonier. Je dirais même en visionnant la photo qu'il jubile. La force de la Foi sans doute: "l'Eternel marchera avec toi."<br /> <br /> Un texte puissant et des photos très réalistes qui l'illustrent parfaitement.
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K
Magistrale évocation et quel plaisir de voir les photos (c'est si rare) et de voir qu'elles correspondent exactement à ce que j'avais compris !
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J
Bon, allons à la croix comme à la croix (c'est bien ça, ta sacrée paire de c....., non ?<br /> <br /> <br /> <br /> ;-)
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