Train-Parc (Thérèse)
Tu avais trouvé un travail dans une entreprise de bâtiment qui œuvrait pour la SNCF. Mais il fallait pour cela sacrifier ta vie (notre vie) de famille, te déplaçant à travers toute la France, puisqu'il s'agissait de restaurer les voies de chemin de fer ou d'en établir de nouvelles pour le passage du TGV.
Tu ne revenais chez nous qu'une fois par semaine et la solitude te pesait. Il t'est même arrivé de passer trois semaines entières sans pouvoir revenir, quand tu étais à Miramas, au fin fond de la France.
Tu logeais dans un wagon aménagé, avec l'un de tes collègues. Mais une fois le travail terminé, celui-ci partait se distraire au dehors jusqu'à des heures avancées, tandis que tu restais seul à broyer du noir. Quand tu me téléphonais pour prendre des nouvelles des enfants et de la famille, inévitablement tu finissais toujours par pleurer ton immense solitude qui te bouffait le moral.
Le ballast, tu connaissais par cœur, la pose des rails, tu savais faire, travail de jour ou travail de nuit, tu t'en moquais, mais tu ne supportais pas cet éloignement forcé. De plus, tu dormais mal à cause des trains qui continuaient de passer, la nuit comme le jour.
Nous avions pris l'habitude de nous retrouver pour les vacances scolaires. Alors tu revenais nous chercher, les enfants et moi, et on partait ensemble jusqu'à ton repaire, ce train-parc établi en logements de fortune.
Chaque wagon était dédié à deux ouvriers. Composé de deux chambres, d'une cuisine équipée, d'une cabine de douche et d'un w.c à la turque, l'aménagement était spartiate.
Dès que tu revenais du travail, nous partions ensemble à la découverte de la ville proche. C'est ainsi que nous avons rencontré Vercingétorix à Alise Sainte Reine et le cyclope de Dôle, visité l'Hôtel-Dieu de Beaune et gravi les marches de la Citadelle de Besançon, marché sur les bords de la Marne et de la Valserine.
De Loon-Plage à Salon de Provence, j'ai accumulé quelques mauvaises photos de rivières et de fortifications que je revisite parfois, nostalgique.
Aujourd'hui encore, j'ai le cœur qui se serre quand, aux abords des gares, je regarde les voies ferrées qui se perdent dans le lointain.