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Le défi du samedi
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14 janvier 2017

LE MUR (EnlumériA)

 

     Il y avait ce mur. Les anciens l’avaient baptisé le mur d’Adrien, sans le H, juste parce que le maçon qui l’avait bâti se prénommait Adrien. C’était un mur de granit rose, avec de petites pierres disposées en quinconce qui surgissaient du mur comme des excroissances osseuses. Un jour que je posai la question de l’utilité de ces épines de pierre, un vieux bonhomme à la moustache de morse me répondit qu’elles servaient à y poser un litron. Chaque mètre bâti valait un litre de vin en prime. Un litron. Ça encourageait le maçon et ça l’empêchait de renâcler les jours de chaleur. Il était comme ça, Adrien, qu’on appelé aussi Gueulesèche ou tout aussi bien Dalenpente. Le bonhomme ne brillait pas par sa tempérance, mais son savoir-faire et sa jovialité en faisait un aimable compagnon.

     Le grand mystère, c’était de savoir ce qui se tramait derrière ce mur. La grande énigme du pourquoi et du comment. Pourquoi diable avait-on décidé de construire ce mur ? Qui en avait pris la décision ? Personne ne savait plus ; comme si l’information s’était égarée dans la nuit des temps. Le seul qui aurait pu fournir ne serait-ce que les prémisses d’une explication reposait six pieds sous terre… des suites d’une collision avec le litron de trop. 

     Toutes sortes de rumeurs couraient çà et là, se faufilant et virevoltant d’une bouche entendue à une oreille avide. Des érudits de comptoir rivalisaient d’importance avec des sommités de comices agricoles. On lançait sans trop y réfléchir des hypothèses de fond de bouteilles, on échafaudait des postulats de campagnes électorales.

     Les commères se perdaient en conjectures. Parfois, les soirs d’hiver, on chuchotait des histoires à grelotter dans une fournaise. Par un estival crépuscule, on se laissé aller à raconter – à voix feutrée – qu’un monde étrange et funeste déroulait ses sombres manigances au-delà du mur. Certains avaient cru entendre, par nuit de pleine lune, de sinistres conciliabules, de curieux va-et-vient de tapinois en catimini, voire des lamentations insensées proférées par des voix d’outre-tombe.

     Celui-là affirmait qu’une fleur fantastique poussait comme un lierre fou, juste derrière le mur, exhalant des vapeurs entêtantes promptes à susciter de fatales rêveries. Celle-ci, haussant les épaules, certifiait à qui voulait l’entendre que des sectes impies y célébraient d’indicibles cérémonies. Certains soirs, des grattements sarclaient le cœur de la pierre comme les griffes d’une abomination rampante.

     Les anciens se lançaient des regards entendus, les femmes serraient contre elles leurs rejetons tremblants. Même l’instituteur et le curé avait renoncé à leurs incessantes diatribes pour se lancer dans de stupéfiantes supputations.

     Il aurait suffi d’un audacieux équipé d’un escabeau pour jeter un coup d’œil par-dessus. L’on aurait été fixé et l’affaire en serait restée là, vouée aux oubliettes puis au néant.

     Mais la légende, par là même, aurait disparue, éradiquée par la raison. Et aussi loin qu’on s’en souvienne, la raison n’a jamais fait rêver personne.

     Alors, on se dit qu’on regardera demain, ou peut-être après demain.

     Mais que diable avons-nous fait de l’escabeau ? 

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Commentaires
B
superbement bien écrit une histoire dont le mystère reste entier <br /> <br /> Merci eet Bravo EnlumeriA
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E
Merci beaucoup pour vos commentaires, mais n'empêche, je ne retrouve toujours pas ce fichu escabeau.
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T
Un conte passionnant et mystérieux à souhait, j'aime beaucoup
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P
J'aime comme tu racontes, d'une très belle plume, les mystères que nous dorlotons et que nous ne voulons surtout pas éclaircir.
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M
Fort bien conté comme toujours!
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J
Cela me fait penser aux jolis contes où il était défendu d’ouvrir la porte pour regarder ce qu'il y avait derrière. L'interdiction....<br /> <br /> Mais finalement ne vaut-il pas mieux ne jamais savoir ?
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J
Un mur qui fait penser à deux chansons :<br /> <br /> <br /> <br /> "Aujourd'hui peut-être... ou alors demain !"<br /> <br /> <br /> <br /> et "L'incendie à Rio" de Sacha Distel : "Qu'est-ce qu'on a fait des tuyaux ? Où est passée la grande échelle ?". ;-)<br /> <br /> <br /> <br /> Ils font bien de ne pas regarder : peut-être y a-t-il chez le voisin de l'herbe plus verte que la leur. De le constater les mettrait en rage !
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W
Faut appeler Bubka, il n'a pas besoin d'escabeau pour franchir le mur, lui !<br /> <br /> Et si derrière poussent des touffes d'ajoncs, on sera au courant tout de suite.
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V
Ne pas savoir ce qu'il y a derrière, ce qu'il y a dessous, ce qu'il y a dedans c'est la plus grande des voluptés pour les rêveurs
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J
Le mur qui faisait murmurer les murmureurs.
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