La factrice (Thérèse)
Ha ! Harry Potter est passé par ici... S'est-il encore retrouvé coincé dans le monde des moldus ? A t-il de nouveau été empêché de parvenir au fameux collège Poudlard pour sa propre sécurité ? Voldemort aurait-il encore fait des siennes ? Je ne doute pas qu'il trouvera une combine pour arriver à passer le quai 9 3/4 et retrouver Hermione et ses amis...
Ce vélo d'un autre âge, sorti d'une autre dimension, me fait étrangement penser à l'ancien vélo de facteur de Maman. Il lui manque juste un porte-bagage devant le guidon.
En ce temps-là, dans le village, le courrier postal était distribué en bicyclette et non pas en mobylette ou en voiture comme aujourd'hui.
Chaque matin, Maman devait procéder au tri du courrier et ensuite, c'était la tournée en suivant scrupuleusement l'ordre établi à l'avance. Son lourd sac de cuir épais, rempli des précieuses missives, et arrimé sur le devant du vélo, elle en a fait des kilomètres, des allers-retours dans les rues du village… Maison après maison, la sacoche à l'épaule, elle déposait son butin, telle une abeille laborieuse. Et non contente d'exercer sa profession, par tous les temps, qu'il vente, qu'il pleuve, qu'il neige, Maman s'arrêtait parfois un peu plus longtemps pour donner un coup de main à telle ou telle personne en difficulté, comme remonter un seau de charbon de la cave pour alimenter le poêle, ou quelqu'autre menue besogne. Elle connaissait tout le monde et chacun surveillait son passage. Parfois, à son grand désespoir, une roue crevait ou bien c'était la chaîne de vélo qui déraillait. Il fallait alors réparer. Elle continuait donc la tournée à pied en poussant le vélo chargé, elle revenait à la maison et elle prenait le vélo de secours. Le soir, quand Papa rentrerait de sa longue journée de travail, il lui faudrait démonter la roue fautive, enlever le pneu martyrisé, gonfler la chambre à air, trouver la blessure et la colmater avec une rustine.
Parfois, elle devait livrer un courrier à des gens qui habitaient à l'écart du village. Alors, pour soulager notre mère, ma sœur ou moi, on prenait notre vélo pour mener la précieuse lettre à bonne destination. J'aimais beaucoup cette virée, cette occasion de me dérouiller les jambes et de profiter du grand air.
Aujourd'hui les gens ne savent plus l'usage de leurs jambes, ce n'est plus que véhicules motorisés, à grands coups de rendement et de vitesse. On ne prend plus le temps de mettre le nez dehors. D'ailleurs, il n'y a même plus de place pour les vélos sur les routes et c'est devenu tellement dangereux... A tel point qu'ils ont inventé les pistes cyclables, avec force panneaux de signalisation.
Dans mon village, le courrier se distribue encore en vélo même si une voiture banalisée achemine les colis les plus volumineux. Et on a encore la chance d'avoir pu conserver notre bureau de poste. Quant à mon village natal, près de chez moi, il n'y a plus aucun commerce ni bureau de poste. Et le dernier bistrot, qui faisait également épicerie, vient de fermer à son tour. Prémont devient un village fantôme. Ce ne sont plus que marchands ambulants qui se relaient dans les rues à coups de klaxon.
Mais ceci est une autre histoire…
Décidément, j'aime bien cette enseigne-vélo… Mais je crois que je serais presque déçue d'y trouver des vélos rutilants, brillant de mille feux. J'imagine plutôt un vieux monsieur tenant l'échoppe et vendant des tas de pièces pour réparer les vélos. Un expert en la matière qui en connaîtrait toutes les ficelles, du guidon jusqu'au bout des pneus, en passant par les freins et le dérailleur. Je le vois bien au milieu de ses rondelles, de ses écrous et de rayons de roue, de patins de freins et de câbles. Je revois les quincailleries d'antan où l'on pouvait fouiller à loisir à la recherche de trésors enfuis. Ces magasins-là aussi, ils ont disparu.
Vraiment, ce vélo sorti de nulle part m'intrigue. Je vais aller voir de plus près…