Le Pinceau, le Plectre et la Plume (EnlumériA)
Il avait failli s’endormir dans sa soupe. Il sursauta en réalisant que mourir noyé dans une assiette de soupe de poisson ferait désordre dans les annales de la famille. Il avait trop forcé sur le Lexomil et le Bourgogne Passe-tout-grain. Il se leva et d’une démarche approximative, alla dans la cuisine se préparer du café fort. Il avait un problème à régler d’urgence s’il ne voulait pas sombrer dans la démence. À la deuxième tasse, il commença à se réveiller ; à la troisième, il était d’attaque.
Il était un tout jeune sexagénaire, sans le sexe ; ça c’était de l’histoire ancienne. Il avait cependant trois maîtresses exigeantes. Trois sauvageonnes intraitables qui virevoltaient dans sa vie, créant d’ingérables turbulences dans son esprit tripolaire. La peinture, la musique et l’écriture. Tel un chevalier décharné et pathétique, il tentait de dompter trois moulins mus par des vents désordonnés. Le vacarme des grandes ailes de toiles tourbillonnantes s’atténuait parfois dans la ouate des anxiolytiques et des crus de Bourgogne.
C’est alors que la Dame de l’Est se manifesta. Une muse aussi douce que rayonnante qui avait un jour tenté de l’inspirer et de prendre soin de lui. Lui, pétri d’orgueil et de suffisance, il n’avait pas voulu entendre l’appel.
Cette fois-ci, il posa sa question et se jura d’écouter. La blonde égérie donna son avis. Un avis tranché, sans appel.
Lui, apaisé, abandonna sa superbe et ses moulins capricieux. Cette fois, il décida d'écouter la parole de l’oracle. Son choix était fait, l’égérie était fée. Fin du premier acte.