Aux endimanchés du coeur (Pascal)
Du point à la ligne au point trop n’en faut, du point sur les i au check point, du point de côté au point de compression, du mal-en-point au point de rupture en passant par les points de suture, du point de mire au point culminant, sans oublier le point de chute, des points cardinaux aux points de croix, ceux qui ont ma préférence, ce sont les points de suspension… Si un point c’est tout, trois points, c’est beaucoup plus… C’est l’ouverture à toutes les suggestions grandioses. Ecoutez-les, là, entre deux chapitres, à la fin d’une phrase mystérieuse, entre deux respirations. Ils sont les extraordinaires cliquetis de la serrure de l’Imaginaire…
Aux points de suspension, on reprend notre souffle, on rattache le wagon de notre compréhension à ce qu’on lit, on suppute l’instant, on le peint à nos couleurs, on l’envisage dans nos décors, on l’enjolive de nos espoirs. Mais on peut tout entreprendre derrière ces trois petits points !On peut rêver de tout, on peut enfin croire à l’impossible, on peut divaguer, on peut s’enfuir jusqu’à nos propres aspirations, on peut tisser des conclusions réellement utopiques au profil de notre enthousiasme du moment.
Les points de suspension sont tout aussi bien des acquiescements magnifiques, des réponses complices, des interrogations muettes, des déductions sensationnelles, des repos apaisants. Ils sont les trois petits coups sur la sonnette prévenante de nos sens exacerbés. Des points de suspension, au bout d’une recette de cuisine, et nous avons déjà le goût du plat, le parfum de la cuisson, la salive en appétit ! Des points de suspension, après un « je t’aime », n’augurent-ils pas des pensées d’alcôve, des caresses d’amants, des chapelets de mots d’Amour en véritables tourments ?... Des points de suspension, après un accident de paragraphe, et j’entends déjà les sirènes de l’ambulance ! Quand le héros court, je transpire ! Quand il allume sa clope, je tousse le parfum du tabac qui sort d’entre les pages de mon livre ! Quand il est triste, je suis rempli de vague à l’âme mais quand il déborde d’humour, je m’esclaffe entre ces points de suspension !
Du titreau point final, la ponctuation est le code de la route de l’Ecriture et les points de suspension en sont le paysage. L’emphase révérencieuse de la majuscule donne le tempo, le point d’exclamation a sa traduction cartésienne de l’épiphonème, le point d’interrogation réclame franchement une réponse, le point virgule temporise la phrase, les deux points sont l’invite d’une confirmation et le point en est la conclusion. Mais les points de suspension sont des silences éloquents, des trames de données aux traductions sibyllines, des subrogations conniventes, des compromis mirobolants, des aires d’envol à nos extravagances de voyeurs.
Cette ponctuation appartient à l’auteur, avec ses points, ses virgules, ses majuscules, ses deux points, ses guillemets, etc, et les points de suspension sont une offrande faite au lecteur. Ils sont les points d’entrée dans la confidence, ils nous lient en confession avec l’aventure, le héros, le roman, la lecture. D’une manière insidieuse, ils nous rapprochent de l’auteur. Trois par trois, ils servent à digérer ses confidences ténues qui deviennent les nôtres. Au bout des mots, ils offrent la sublime continuité de nos hallucinations. Nous en construisons un chapitre personnel à l’allant de notre trouble démesuré.
Ces errances programmées, ces flottements équivoques, sont des traces licites que l’auteur dépose derrière son écriture, comme des petits cailloux blancs, et nous les suivons avec nos intimes convictions optimistes. Ils sont les non-dits savants de l’écrivain, ils sont le prolongement proposé de sa pensée qu’il nous assène avec une grande douceur plumitive. Ils sont les frissons de l’âme du poète quand il déborde d’émotions…
Ecoutez ! Ils sont les trois coups de notre pièce de théâtre. Ils colorient les métaphores, ils donnent des formes aux chimères, ils autorisent des fabuleux costumes, des parfums déconcertants, ils fleurissent les illusions d’impressions réelles, ils accaparent l’ambiance d’une aura superbement mystérieuse.
Les points de suspension sont une invite de dialogue tacite avec l’auteur ; il a fait naître des sentiments puissants aux endimanchés du coeur, il les a fait grandir, il les entretient ; c’est un échange spirituel, une connivence réciproque. Passionnés, surpris, idolâtres, nous gravitons entre ses points, nous traînons dans l’euphorie, nous finissons ses partitions ! Ils sont les grands soupirs du musicien !
Ces blancs d’accointance, ces pointillés de fin de phrase, ces pétillements secrets, c’est nous qui les remplissons au soleil de notre moi en effervescence ! Ils débordent mais ils supportent notre fantaisie ; maintenant, ils saupoudrent l’intrigue aux sels épiques de nos évocations profondes, ils enflamment nos exaltations d’anagnostes, ils subjuguent notre émoi profond et nos traductions en sont de fabuleuses interprétations.
Les points de suspension semés au bout des phrases sont les futures fleurs de notre Imaginaire ; ils l’excitent, ils le parfument, ils l’alimentent. Je sais des livres plus parlants par ce qui est sous-entendu que par les péripéties qui les habitent.
Oui, du point de vue au point d’orgue, du point d’impact au point mort, du point du jour au point de repère, ceux qui ont ma préférence, ce sont les points de suspension…