Orage de printemps (Fairywen)
Orage de printemps.
Un éclair blanc et violet zébra soudain le ciel tandis que le roulement du tonnerre faisait taire les chants des oiseaux. Une pluie drue commença à tomber, trempant les deux pique-niqueurs assis au bord du lac. Les deux chatons qui les accompagnaient, un noir et un blanc, poussèrent de concert un “miaou !” indigné et sautèrent dans le panier en osier, dont elle rabattit le couvercle pour les protéger, tandis qu’il saisissait vivement son blouson pour le lui poser sur la tête.
« Viens, cria-t-elle en se relevant, il y a un abri, là-bas ! »
Il attrapa le panier tandis qu’elle lui prenait la main et l’entraînait en courant vers ce qui se révéla être une grotte ouvrant sur le lac. Ils s’y engouffrèrent en riant et se laissèrent tomber sur le sol, haletants. Elle ouvrit le couvercle du panier, et les chatons pointèrent le bout de leur nez. Constatant qu’ils étaient à l’abri de la pluie, ils daignèrent sortir, s’installèrent sur le blouson qu’elle avait posé par terre, se roulèrent en boule et s’endormirent l’un contre l’autre.
« En voilà deux qui ne s’en font pas beaucoup ! rit-il en enlevant son tee-shirt trempé et en le tordant avant de le poser sur un rocher.
-Pourquoi s’en feraient-ils ? Ils sont à l’abri et en sécurité.
-Nous sommes près de Loch Ness ; qui sait si Nessie n’est pas friand de petits chats pour son déjeuner… ? »
A ces mots, le chaton noir ouvrit un œil pour lui jeter un regard peu amène avant de lui tourner le dos avec ostentation et de se rendormir, le nez dans les pattes.
« Regarde ça ! s’esclaffa-t-il, on dirait que ce petit démon m’a compris…
-C’est peut-être le cas…
-Mais ce n’est qu’un chat…
-Un chat qui est avec nous depuis des mois et qui n’a pas grandi. Ne me dis pas que tu ne l’as pas remarqué… »
Il ne répondit pas, se contentant de caresser d’une main affectueuse les deux petites boules de poils. Bien sûr qu’il l’avait remarqué, mais il avait tenté de se convaincre que c’est parce qu’il s’agissait d’une race de chats de petite taille, et qu’ils gardaient les yeux bleus parce que ça arrive. Pourtant depuis le jour où il avait franchi le seuil de la boutique de magie, il avait assisté à bon nombre de phénomènes étranges, auxquels il avait à chaque fois cherché une explication rationnelle qu’il s’était efforcé de croire.
Mais tout au fond de lui-même, il savait bien qu’il ne faisait que nier l’évidence…
« Ça m’est égal qu’ils ne grandissent pas, fit-il en continuant à les caresser, je les aime comme ça. Et si Nessie s’avise de vouloir les croquer, je lui ferai son affaire. »
Elle éclata de ce rire cristallin qu’il aimait tant et se dirigea vers l’entrée de la grotte avant de se tourner vers lui, les joues roses d’excitation et le regard brillant :
« Tu veux le voir ?
-Voir qui ?
-Nessie, voyons !
-Mais…
-Regarde… »
D’un geste gracieux, elle désigna le lac, et soudain il aperçut le dos rond et le long cou le plus célèbre du monde. Abasourdi, il se leva d’un bond et se précipita au bord de l’eau, insoucieux de la pluie qui continuait à tomber. Un long moment, il observa la fantastique apparition, puis lorsqu’elle disparut sous les eaux sombres du lac, revint dans la grotte à pas lents :
« Alors il existe vraiment… ?
-Qui, Nessie ? Bien sûr qu’il existe. Enfin, si une fée est là pour le faire exister…
-Une… fée ?
-Regarde… »
Elle bougea légèrement les doigts, et des filaments de lumière allèrent frapper les parois de la grotte, qui s’illuminèrent de mille couleurs chatoyantes. Un autre geste, et des étoiles scintillantes se mirent à briller sur le plafond de saphir, tandis qu’une douce chaleur les enveloppait et séchait leurs vêtements trempés.
« Tu vois, murmura-t-elle en souriant, j’ai vraiment un sortilège pour les habits mouillés… »
Il tressaillit lorsqu’elle s’approcha et posa les mains sur son torse nu :
« Et maintenant, tu crois à la magie… ? »
Il regarda autour de lui, dans l’abri de lumière qu’était devenue la modeste grotte au bord du lac, regarda les deux chatons assis sur son blouson et qui… oui, qui lui souriaient, puis la regarda, elle, vit les étoiles dans ses yeux violets, et lui sourit tendrement :
« Oui, oui, j’y crois, et je crois aussi que si tu le veux bien, j’aimerais beaucoup, beaucoup épouser une fée, si elle peut se contenter d’un simple mortel comme moi.
-Oh, mais tu es loin d’être un simple mortel, puisque je t’aime…
-Alors c’est oui ?
-C’est oui.
-Enfin ! miaulèrent deux petites voix, il était temps que tu t’aperçoives que la magie existe ! Tu as été drôlement dur à convaincre, tu sais !
-Ah parce qu’en plus vous parlez, tous les deux ?
-Nous sommes des chatons-fées…
-Des… Après tout, au point où j’en suis…
-Il ne pleut plus ! On va jouer dehors ! »
Désarçonné par le changement de conversation, il les suivit du regard tandis qu’elle riait doucement :
« Ce sont aussi des chatons tout court…
-Qu’ils prennent leur temps, alors… »
Se retournant, il la prit dans ses bras et posa ses lèvres impatientes sur les siennes, chaudes et accueillantes. Ses mains fines se refermèrent sur son torse puissant tandis qu’il l’emprisonnait entre ses bras, bien décidé à ne jamais laisser s’envoler sa petite fée. Il eut le temps de penser que décidément, il adorait les orages, puis la passion l’emporta et il ne pensa plus qu’à la dévorer de ses baisers.
Lorsque les chatons revinrent, ils les trouvèrent endormis sur leurs vêtements, au milieu des lumières à présent tamisées de la grotte magique. D’un geste, ils tissèrent une chaude couverture de lune et d’étoiles pour les recouvrir et se blottirent entre eux en ronronnant, petites boules de tendresse au milieu d’un océan d’amour.
Où retrouver une année d'orage.