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Le défi du samedi
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10 décembre 2011

Saturday night fever (Célestine)

Juin rougeoyait à l'horizon. C'était l'été. Les vacances s'annonçaient radieuses. Il était dix heures du soir. Les martinets vrillaient le ciel de leurs cris suraigus. L'air embaumait le chèvrefeuille.

J'habitais encore chez mes parents, et pour bien comprendre ce qui va suivre, il faut vous imaginer le typique appartement des années 70 : une porte d'entrée en chêne clair, munie d'un judas cylindrique fermé par un petit opercule pivotant. L'entrée, minuscule, carrée, cuisine à gauche, salon- salle- à- manger à droite, et devant, un long couloir tout droit desservant les autres pièces.

Quand les trois portes étaient closes en même temps, le carré formait comme un sas étanche phoniquement.

Ce soir là, les trois portes étaient fermées, justement. Le détail a son importance.

Mes parents regardaient sans doute Maritie et Gilbert Carpentier au salon, mes frères jouaient ou plus vraisemblablement, glandaient dans leurs chambres. Ma petite sœur dormait. Je rêvassais sur mon lit, la porte-fenêtre ouverte sur l'été et le balcon, les voilages frémissant de la brise du soir.

Mes années d’École Normale venaient de se terminer. Mes camarades de promo et moi nous étions partagé les postes vacants pour la rentrée prochaine. J'avais obtenu une école à R., une petite ville à une vingtaine de kilomètres de chez mes parents.

Je devais être en train de confier à mon journal mes états d'âme du moment, les yeux lointains, en écoutant à la radio les Bee Gees chanter « More than a woman » avec leurs voix de haute-contre.

Vous saisissez la scène : personne, à ce moment précis, et dans cette configuration topographique et circonstancielle, n'était en mesure d'entendre de petits coups discrets à la porte en chêne. Des petits coups frappés par ma copine Rachel qui n'osait pas sonner, parce qu'il se faisait tard, et qu'elle était polie. Personne...sauf mon deuxième frère, qui, comme tout bon adolescent qui se respecte, venait de ressentir au fond de son estomac l'appel pressant et langoureux du sandwich au poulet vespéral dans le frigo, celui-là même qui faisait à chaque fois hurler ma mère : «  Quoi, encore ? On est sorti de table il y a à peine deux heures ! »

Par une conjonction astrale extraordinaire, mon frère traversa le sas de l'entrée juste au moment où Rachel grattait à la porte comme une souris. Trente secondes plus tard, elle serait partie bredouille, ce qui aurait considérablement changé la face du monde. Enfin, de mon monde à moi.

Car Rachel , prise d'une inextinguible crise de doute et de panique, car elle n'avait pas de voiture, venait tenter sa chance pour échanger son poste contre le mien. Ses larmes m'émurent au point que j'acceptai la ville de M. contre celle de R. Celle-là était plus loin mais plus au sud. De toutes façons, j'étais décidée à couper le cordon, alors, là ou ailleurs... Elle partit en me bénissant.

Trente-trois ans ont passé. Je suis toujours à M. J'y ai construit ma vie. Je n'ai jamais eu envie d'en partir. Je regarde souvent mon mari, mes enfants, ma maison, mes amis, mon école, mes collègues, mes élèves en me demandant quelle aurait été ma vie si un soir de juin, par le plus grand des hasards, mon frangin n'avait pas eu tout à coup une irrépressible envie de poulet...

   

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Commentaires
C
Merci à tous pour vos commentaires qui me ravissent chaque semaine, même si j'oublie parfois de vous le dire!<br /> ♥ ♥ ♥
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V
Très belle histoire! Encore un heureux concours de circonstances, quelques probabilités positives!<br /> Sourire<br /> Vanina
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Z
hasard heureux certes ! le frangin était il trop jeune pour consoler Rachel devant un double sandwich au poulet ? plus sérieusement nous avons chacun dans nos vies un ou qq petits coups de pouce du hasard qui modifient d'un coup la trajectoire
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L
Les coïncidences sont les trains de la vie et nous avons parfois l'impression de monter en marche lorqu'elle frappe à notre porte..tant l'enchaînement appartient plus au monde sensible qu'à l'univers rationnel.<br /> Merci de ce souvenir.
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T
OUpssss pardon, j'ai mis dans les pieds dans le plat:-)
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C
Non TRAIN MUSICAL, comme je le disais à Katyl, j'ai voulu faire de l'humour en lui disant que c'était mon "non-anniversaire" (comme Alice au pays des merveilles) mais elle a lu trop vite!<br /> Pour mon (vrai) anniversaire il faudra attendre avril!En tous cas c'est gentil à toi quand même!<br /> <br /> à tous merci beaucoup c'est toujours un réel plaisir de lire les commentaires des uns et des autres, comme d'ailleurs il est délicieux d'aller poser les miens chez chacun de vous!
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T
Un heureux hasard.<br /> Et autre hasard, c'est que comme Katyl, c'est un jour particulier pour toi.<br /> Alors JOYEUX ANNIVERSAIRE Célestine:-)
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T
Très jolie histoire !
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T
Le bonheur tient à peiu de choses : une envie de poulet :-)
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E
Comme c'est joli ! Une curiosité toutefois, pour l'amie Rachel le hasard a-t-il été aussi généreux ? :)
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J
Le hasard utilise tous les moyens pour parvenir à ses fins. Moralité : les moyens justifient la faim ! <br /> J'aime bien cette histoire et le fait que Paris peut tenir dans une bouteille (pourvu qu'on ait l'ivresse et que le flacon soit suffisamment grand) ! <br /> Bon week-end, Célestine !
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V
le doigt de Dieu peut être!!
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W
La question ne se pose pas, ça ne pouvait être autrement : un ado a toujours la dalle i
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M
J'espère que ton amie Rachel a été aussi comblée que toi !!! Quelle belle histoire vraie !!!
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T
Belle histoire d une vie, et si et si et si.Beau coup de pattes (de poulets) merci Célestine
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V
Certains gagnent au tirage, d'autres au grattage... c'est le hasard et il t'a bien servie, Célestine !
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A
oh quelle magnifique histoire de hasard!<br /> je suis émue :-)
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J
Quelle coïncidence, le disque dans ma voiture en ce moment est "The Bee Gees Greatest Hits". Sans blague !!<br /> <br /> :-)
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