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12 novembre 2011

Albert (Célestine)

                                                              Albert


Fleurs-sur-Berge, 1961. Ah ! Fleurs !... son école enluminée de chants d'enfants, ses commerces frileux autour de l'église, l'ombre des ormeaux résonnant des éclats de voix des joueurs de boules et des ivrognes.

Son lavoir rendez-vous des cancans, où l'on ravive à l'eau claire et au savon de Marseille l'honneur sali des femmes du village. Et sa boulangerie, dont la lumière veille toute la nuit sur le sommeil des habitants comme un fanal dans la brume.

Enfin, me croirez-vous ? On trouve aussi une jolie mignonne gare que les notables inaugurèrent un jour à grand renfort de cuivres, de clairons et de ruban tricolore.

 Et dans cette gare, il y a Albert. Albert règne sur la gare en uniforme, fier et droit comme un roitelet de théâtre chanté.

Albert est chef de gare. Il n'est aucun sot métier, me direz-vous. Chaque jour, deux trains seulement s'arrêtent à Fleurs. Un dans chaque sens. Chaque jour, bien consciencieusement,  Albert sort son sifflet et sa montre à gousset. « On va voir qui est le chef, ici. »

Albert a, comme on dit, une beauté intérieure, très bien cachée. Autrement dit, ses oreilles décollées et son sourire chevalin et béat ont toujours été la risée au village. Certains disent même qu’il est fou. Mais il s'en fout.

Albert est chef de gare. Il s'en fout, car tous les matins que Dieu fait, dans le train 52, il entrevoit le visage angélique de son aimée. Une jolie brune, en robe légère l'été, l'hiver en manteau de fourrure, qui lui a souri un jour, et dont il ne sait rien, sauf qu'il l'aime comme un fou.

Et tous les matins, ça va faire dix ans, Albert attend qu'elle descende du train. Durant deux minutes trente, son cœur bat comme un fou. Il ressent un bonheur divin, il voudrait danser sur le quai, mais il y a l'uniforme, alors, il sourit benoitement.

Il souffle dans son sifflet en rêvant qu'il la serre dans ses bras. Et tous les matins le train redémarre avec elle. Il s'en fout, Albert. Il sait qu'il y a le train du soir et qu'il va la revoir.

Mais la belle reste assise et le soir, le sifflet siffle sans joie et ressemble davantage à un gémissement. Une longue et tragique lamentation. Mais il s'en fout, Albert. Demain, le train 52 reviendra, et son aimée lui sourira. Il est chef de gare, Albert. Un chef de gare amoureux. Et rien ne saurait entacher son bonheur.

 

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Commentaires
C
Merci à tous , vraiment , pour vos commentaires élogieux qui sont la petit sardine de l'otarie, le sucre du toutou, bref, ma récompense suprême de l'apprenti écrivain...
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S
Ce texte est vraiment formidable. Le décor est très bien planté et le portrait est magnifique et touchant malgré l'humour. Énorme bravo !!!
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M
Je découvre aussi !!! Un énorme BRAVO Célestine !!!<br /> Va en "P" ma fille !!!<br /> :-D
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Z
honte sur moi qui n'avais pas remarqué le lipogramme !encore bravo
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J
Immmmmmmmmmmmmmmmmense Bravooooooooooooooo, Célestine.<br /> Je ne l'avais même pas vu. Deux consignes en une c'est fortiche !<br /> Bravissimo !
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C
@ Joe Krapov en fait , ma dédicace, c'était surtout parce que je me suis bien cassé la tête pour toi, pour écrire tout mon texte sans P!...(j'aurais pu aussi le dédicacer à Sempé, du coup...)
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K
balancer sa casquette et son sifflet et courir avec des fleurs auprès d'Angélique ( de visage ANgélique)<br /> super idée ZIGMUND<br /> il faut la refaire avec cette fin Célestine, STP!<br /> katyL
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Z
ce texte m'a rappelé une de mes chansons préférées de ferrat<br /> http://www.youtube.com/watch?v=_ysyW5uK_kg<br /> j'ai bien aimé l'ambiance sixties dommage qu'il n'aie pas le courage de sauter dans le train pour accompagner sa belle et lui déclarer sa flamme <br /> mais les amours rêvées sont parmi les plus marquantes ...
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J
Merci du "spécial dédicace", Célestine ! Ta bien jolie histoire de transport amoureux me fait penser à Charlie Brown et à la petite fille rousse. Les cinquante ans de fidélité de Charles M. Schulz au Peanuts et les éclats de rire que suscitent à la relecture certains gags me donnent des envies !
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K
pauvre Albert le contractuel qui croyait que la vie était belle...il n'a pas sifflé assez fort comme dans les contes de fées car il se serait transformé en "homme d'affaires en costard" l'air aisé,le profil d'aigle, l'oeil brillant, la montre rolex (tant qu'à faire!) et là, la belle au manteau de fourrure aurait fait attention à lui!<br /> j'aime bien ton Albert et le nom du village <br /> ( très joli)<br /> katyL
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V
Jolie tranche de vie entre fiction, rêve et réalité.<br /> Sourire<br /> Vanina
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C
Je dédie ce texte spécialement à Joe Krapov et à Antiblues.J'espère qu'ils comprendront.
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E
Les amours rêvés ne sont-ils pas les plus beaux ? Un très beau texte, plein de tendresse.
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J
J'ai lu ton texte pendant que j'écoutais Roz des Sables par Sonia Rekis (http://youtu.be/D7jNtZpLmp4)(la responsable de ce grand plaisir se reconnaîtra), et ma foi, ça fait un excellent film !
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V
Deux bonheurs divins par jour! Une addiction qui passe l'envie de faire grève...
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W
Tiens, j'ai connu un Albert, lui aussi amoureux, mais il conduisait les tramways, c'est même là qu'il avait rencontré sa femme. Comme quoi pour les rencontres, vaut mieux être dans le véhicule qu'en dehors ;o)
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V
un parfum nostalgique du bon vivre comme il est vrai que la gare et le temps de vivre vont bien en semble joli portrait
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M
Un chef de gare à la "beauté intérieure, très bien cachée" amoureux dans une gare au si joli nom : "Fleurs-sur-Berge!!! On souhaiterait que sa Belle finisse par en descendre de ce train 52 !!!<br /> Un jour peut-être !!!
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