Douze fois douze (Adrienne)
- Tu n’a pas oublié les raisins ?
Mamá, confortablement installée dans son fauteuil et ses coussins, s’inquiète. C’est Alejandro, le fils aîné, qui a fait les courses.
- Oui, Mamá, ne t’en fais pas, j’y ai pensé. D’ailleurs, c’était sur ma liste.
De tous les préparatifs, c’est la seule chose qui la préoccupe, « las uvas ». Les boissons sont au frais, Eduardo s’en est chargé. Dans le four d’I***, de petits gigots d’agneau de lait cuisent doucement côte à côte sur un lit de pommes de terre, d’herbes aromatiques, d’ail et d’oignons. Ce sera parfait.
- Et tu es sûr d’en avoir pris assez ? Il y en aura bien pour tout le monde ?
- Oui, Mamá, ne t’inquiète pas, je n’ai oublié personne.
- Tu as compté les enfants aussi ? Et notre invitée de Belgique ?
- J’en ai même pris plus qu’il n’en fallait, il en restera. Là, tu es rassurée, maintenant ?
Peu avant minuit, on met la télé et on remonte un peu le son : il ne s’agirait pas de rater « las campanadas ». Dans la cuisine, les frères et la sœur s’affairent, ouvrent des petites boites dont ils vident le contenu sur des soucoupes. Une par convive.
Puis, à minuit, Mamá vérifie si nous sommes tous prêts : chacun tient en main sa soucoupe, les yeux fixés sur la télé où l’on montre en plein écran le haut de la tour « el reloj de la Puerta del Sol » à Madrid . Quand sonnent les cloches, petits et grands mangent consciencieusement un grain de raisin pour chaque coup, un pour chaque « campanada », en espérant que l’année à venir leur sera clémente.
- Vous comptez bien, n’est-ce pas, les enfants ! intime encore la Mamá à ses petits-fils, ne vous trompez pas !
Mais elle s’inquiète pour rien : les grains sont petits, pelés, épépinés, on a largement le temps de bien les mâcher sur chaque coup de minuit en pensant à ce qu’on voudrait pour l’an neuf. Même quand on n’a pas dix ans.
Cette nuit, à Malaga, quand partout ailleurs en Europe les embrassades se terminaient, nous commencions les nôtres.
D’abord « las doce uvas de la suerte »
Feliz año nuevo !