Oh ! Non ! Voilà qu’elle remet ça ! (Val)
Mesdames, Messieurs les jurés,
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Je vous demande de tourner la tête, et de regarder quelques instants la mine déconfite de ma cliente. Regardez ses yeux embués, ses lèvres tremblantes, sa figure désolée…
Observez-la attentivement, et demandez-vous !
Est-elle cette abominable ravisseuse que nous dépeignent les médias et les associations de parents mécontents ? Je vous le demande !
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Son crime n’est certes pas excusable. Néanmoins, ma jeune cliente a des circonstances atténuantes.
Je vous prie, Mesdames, Messieurs les jurés, de faire preuve d’un peu d’empathie, et de revivre avec elle la journée qui a précédé ses actes odieux.
Le crime qu’elle a commis n’est pas un acte motivé par une malveillance malsaine, mais plutôt le résultat de l’accumulation de petits déboires qui ont fait déborder le vase, trop plein, de ma cliente.
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- Ce vingt-quatre décembre, elle devait le passer dans la maison familiale de son époux, comme les sept Noël qui avaient précédés celui-ci.
- Son époux, bien décidé à l’épargner cette année de cette corvée, était finalement revenu sur sa parole, repoussant encore d’une année la délivrance tant attendue.
- Son beau-frère, qu’elle aimait tant, et avec qui elle avait partagé ses pauses cigarettes les années précédentes, avait cette année, pour la première fois, été remplacé par un autre. Ce nouveau beau-frère, au contraire de l’ancien, n’était pas du genre de ceux à qui elle avait envie de planter une fourchette dans le derrière.
- Les deux tantes de son époux, celles qu’elle considère comme ses amies, étaient aux abonnés absents cette année parce qu’elles allaient au bout de leurs envies, ELLES !
- La grand-mère de son époux, qui la distrayait beaucoup également, avait préféré suivre ses deux filles « rebelles » et ne serait pas là non plus.
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Vous vous demandez ou je veux en venir et je le comprends tout à fait.
Ma jeune cliente, qui avait rêvé d’un Noël en « famille », se résignait à passer un réveillon entourée certes de son époux et de ses enfants, mais également :
- d’un beau-père chasseur, et fier, de surcroit, d’avoir voté pour qui-nous-savons.
- d’une belle-mère très attentionnée, qui ne songeait qu’à la faire arrêter de fumer pour la nouvelle année.
- d’un nouveau beau-frère qu’elle se refuse à comparer avec le répudié qu’elle aimait tant et pour qui elle éprouve une profonde empathie mêlée de tristesse.
- d’une belle-sœur, qui passerait probablement sa soirée à faire le procès de ce dernier –sans qu’il puisse se défendre- et ce, dans l’indifférence générale, voire dans l’unanimité de l’auditoire.
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Le décor est planté, Mesdames, Messieurs les jurés.
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Certes, le crime épouvantable qu’elle a commis était prémédité.
MAIS !
Songez qu’elle n’a jamais imaginé -ne serait-ce qu’un quart de seconde- gâcher la fête de Noel de cette famille dont elle faisait partie. Jamais !
Elle aurait pu ! Elle n’y a tout simplement pas pensé, Mesdames, Messieurs, parce que son cœur est trop doux pour commettre pareil délit.
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Notez, par ailleurs, que la victime n’a subi aucun traumatisme majeur, et qu’aucune plainte pour coups et blessures n’a été déposée.
Evidement, vous allez objecter :
« Le pauvre homme a été enlevé, bâillonné, attaché, enfermé dans le coffre d’une automobile, puis séquestré dans une chambre, le soir de Noël, alors qu’il avait tant de travail…Et que ce kidnapping –le terme est juste- a mis en péril la distribution des cadeaux »
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Je ne vous contredirai pas. Les faits sont là, et ils sont impardonnables.
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Maintenant, je vous implore !
Laissez de côté les faits -gravissimes- survenus avant, et concentrez-vous quelques instants sur la libération de l’otage, si vous le voulez bien.
Ma cliente, consciente d’avoir mal agi, prise de remords terribles a, d’elle-même, délivré Monsieur Noel à minuit.
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Contre cet homme –la victime- qui pourtant l’avait toujours plus ou moins ignorée, même lorsqu’elle était enfant, elle n’éprouvait aucune rancœur. Elle avait simplement souhaité l’avoir pour elle durant quelques heures…
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Notez bien, Mesdames, Messieurs les jurés, que ce crime, aussi atroce soit-il, était dépourvu de toute autre motivation que cette envie désintéressée. A aucun moment ma cliente n’a soutiré de l’argent à Monsieur Noël. Elle n’a d’ailleurs exigé aucune rançon. Elle l’a juste voulu pour elle, tout simplement…
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C’est un crime passionnel, Mesdames Messieurs les jurés ! Je vous l’affirme !
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La victime, elle-même, a certifié, dans sa déclaration, que sa ravisseuse l’avait détaché de son plein gré, sans compensation. Elle lui aurait même indiqué une porte de sortie avant de lui demander pardon.
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Le préjudice est énorme, effectivement. Monsieur Noël, évidemment, a pris un retard considérable sur sa tournée et beaucoup de parents ont dû le relayer pour la distribution (Parents qui, d’ailleurs, sont les seuls à demander des dommages et intérêts, Monsieur Noël n’ayant pas déposé plainte, entre parenthèses).
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L’acte est irréparable, mais ma cliente est dans le repenti. Elle affirme –et je la crois- que c’est avec son cœur qu’elle a libéré sa victime. Elle a songé à tous ces enfants qui attendaient Monsieur Noël. Elle a pensé surtout à l’inquiétude intolérable de Madame Noël.
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A aucun moment elle n’a pensé le relâcher par crainte des représailles. Elle s’y est résolue, tout simplement, parce qu’elle aimait assez cet homme, pour comprendre -et surtout accepter- que sa vie soit ailleurs qu’auprès d’elle.
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Pour toutes ces raisons, Mesdames, Messieurs les jurés, je vous demande – ni plus, ni moins- l’acquittement.
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