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Le défi du samedi
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5 février 2022

Poudre d’escampette (Jean-Patrick)

 

02-11-Eukalyptus

Quand le patron nous l’a annoncé, on s’est dit que ça nous faciliterait la tâche. Quand il nous l’a apporté, on a regardé le truc avec des yeux larges comme des soucoupes ; on n’en croyait pas nos yeux ! Le patron nous a dit l’organisation qu’il voulait à partir de ce moment-là : le robot aspirateur fera le couloir pendant que nous, on fera les chambres. Super. Surtout que contrairement à Coco, la petite nouvelle, le patron nous a dit qu’il est pas bruyant : on ne l’entend pas, il aspire la poussière sans raconter sa vie du matin au soir. Pas un bruit. Le collègue comme je les aime.

Après, le patron nous a montré comment ça marche : le matin, on met le robot aspirateur en route et il avance tout seul. Quand il tape sur une plinthe, il fait demi-tour, et de demi-tour en demi-tour, il aspire tout le couloir. Ça de moins à faire pour nous, on a le temps de s’occuper des chambres. Et quand on a fini la journée, on vide le sac, on le branche au compteur et il se recharge toute la nuit. Et pas question de l’emporter chez nous, il ne reconnaît que son branchement de l’hôtel ; chez nous, il tomberait en panne au bout de quelques jours et ne servirait plus à rien.

Coco, elle s’est crue plus maline que tout le monde : elle se vantait qu’elle prendrait bien le robot en main et qu’elle brancherait volontiers sa petite prise chaque soir. Nous, on s’est pas occupé de ses histoires, on est retourné faire notre travail pendant que le robot aspirait le couloir du rez-de-chaussée.

Au bout d’une heure, j’étais dans la 12, la chambre où il y a le couple du mardi, et la gouvernante vient me voir. Elle me fait comme ça :

— Il est où ?

Je savais pas de quoi elle parlait, alors je lui fais :

— Qui ça ?

Avec un signe de tête, elle fait voir le couloir et elle me fait :

— Bah, le robot aspirateur !

On va voir toutes les deux où il est passé… il est nulle part !

— Oh, merde ! que je fais comme ça.

— Attention, que me fait la gouvernante, s’il y a des clients !

On cherche le robot aspirateur partout, dans les coins, les recoins, sous les rideaux, dans les placards du couloir. La folle de la 18 ouvre la porte et demande ce que c’est que ce ramdam. Heureusement que la gouvernante était là pour lui répondre, parce que moi quand la 18 m’engueule et qu’en plus, elle est à poil, ça me met de mauvaise humeur. Surtout que là, on cherchait le robot qui avait disparu sans crier gare.

Bref, pour gagner du temps, je préfère dire qu’il nous en a fait perdre : il était nulle part, l’aspirateur. Le patron venu à la rescousse était de mauvais poil, il piaillait qu’on lui avait perdu son robot, qu’on aurait dû fermer les portes des chambres, que l’appareil pouvait être parti sous un lit, partout :

— Fouillez les chambres, celles où vous êtes passées et celles qui restent.

Et tout seul dans son coin, il parlait encore :

— Sinon c’est un bricoleur qui l’a embarqué, un qui s’y connaît en électronique pour le détourner !

Avec la gouvernante, on lui a pas parlé de la 18 ; il aurait été capable d’aller la fouiller lui-même, avec la nudiste à l’intérieur. On a passé notre temps à chercher l’appareil ; je peux vous dire que notre boulot, il avançait pas.

En fin de journée, macaque ; pas plus de robot dans l’hôtel que de cervelle dans la tête de la 18. C’est l’expression de Coco, le jour qu’elle a vu la 18 pour la première fois :

— Quand elle ouvre le bec pour gueuler, on voit qu’elle a rien dans le ciboulot.

 

Le lendemain, quand je suis arrivée pour mon service, l’histoire du robot qui avait disparu occupait toutes les conversations. Tu parles : une machine qui a dû coûter bonbon et qu’on a piquée au bout de seulement une heure de boulot, y a de quoi être dégoûté. Surtout le patron qui l’a payée.

Au milieu de la matinée, j’étais à faire la 16, le lit, la salle-de-bain, je zieutais dans le placard, les tables de chevet, les tiroirs, au cas où qu’on aurait planqué le robot dedans, quand tout d’un coup, j’entends du raffut dans le jardin. Je regarde, c’était Paulo qui appelait parce qu’il venait de retrouver le robot aspirateur. Incroyable mais vrai : il était dans le jardin, comme qui dirait planté sous un thuya. Le patron avait dit à Paulo d’aller tondre les haies, enfin les tailler, les couper quoi ? Et Paulo, il tombe sur le robot qui était là à attendre, arrêté, moteur éteint. Toutes les filles sont arrivées dans le parc, le cuistot et aussi la réceptionniste. Personne ne comprenait ce que le robot faisait là, même Coco n’avait pas une idée pour éclairer le phénomène. Le patron dit à Paulo de regarder s’il marche encore, tout semble normal, comme le jour où il est arrivé : le robot, pas Paulo ! Et le patron est retourné dans son bureau se renseigner auprès du fabricant pour avoir des explications, parce qu’il y a quand même des questions à se poser : une machine, ça peut pas se planquer sous les thuyas sans que personne l’aide ! S’il faut, il appellerait la police et porterait plainte pour détournement… avec un drone, un bug ou tous ces machins-là.

À la pause, ça continue à discuter sec. Coco avait cogité dans son coin et elle racontait que le robot devait être syndiqué, qu’il voulait fuir les cadences de travail à l’hôtel. On lui a dit qu’elle disait n’importe quoi.

— Si ça se trouve, c’est la bonne femme de la 18 qui en avait marre du bruit et qui l’a foutu dehors !

Alors là, on était tous d’accord ; on se demande parfois si elle fait pas des coups comme ça. Elle est mauvaise après nous depuis que le patron l’a virée de la salle du petit-déjeuner où elle s’est pointée à poil.

— Madame, il avait dit, votre tenue peut choquer. Surtout si des familles qui viennent, avec des enfants…

— Bah justement, y en a pas ! qu’elle a fait.

Le patron a pas lâché le morceau, il l’a habillée avec une de nos blouses, il l’a renvoyée dans sa piaule et il lui a livré le petit-déj à domicile. Depuis ce jour-là, quand elle peut nous faire une entourloupe, elle s’en prive pas.

On lui raconte pas tout au patron, sinon il s’en débarrasserait et elle risquerait de faire du scandale à l’extérieur. Mais je crois qu’il peut pas, parce qu’il paraît que c’est un « cas social ». Presque intouchable. Elle a le maire et l’assistante sociale qui la soutiennent.

Paulo, il a eu une idée qui a fait marrer tout le monde. Il s’imagine que c’est le robot qui s’est enfui à cause d’une chatte à son goût qu’il a repérée dans le parc ; ils ont passé ensemble. Il raconte qu’un jour, en faisant la haie, il retrouvera peut-être une portée. On a rigolé : un petit robot avec une tête de chat qui fera la pelouse en miaulant.

— Non, qu’a fait la gouvernante, le robot, il est pour le ménage, pas pour le jardin !

Oh, les blagues. On a rigolé. Sacré Paulo, va.

En tout cas, on s’est tous demandé ce qui s’était passé pour de vrai : la machine mal réglée, un défaut d’usine ou un programme avec un bug. La seule explication raisonnable, c’est le patron qui l’a trouvée dans la documentation. Il explique que le robot vient de l’étranger et qu’il a peut-être pas ses papiers. À la télé, on voit des émigrants qui viennent et qui se cachent dans les terrains vagues, c’est bien connu. Pourquoi pas celui-là, sous la haie ? Après, il a fait remarquer que les robots sont pas équipés de passe sanitaire ; pourtant ils bossent comme nous, qui doivent en avoir un. Alors, l’aspirateur a sans doute eu peur et il a préféré prendre la poudre d’escampette, en plus de celle du couloir.

La gouvernante, elle le croit pas. Elle dit que le patron est un pince-sans-rire. C’est vrai qu’on le voit pas souvent se marrer, mais je l’ai jamais vu pincer quelqu’un, pas moi en tout cas. D’un autre côté, même si je comprends pas tout aux explications du patron, je serais pas étonnée que son histoire de robot, il a raison quand même !

 

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Commentaires
L
il pass<br /> <br /> era<br /> <br /> par là
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M
Une belle idée pour une pièce de théâtre cette histoire ! Rebondissements et drôleries à foison !
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Y
Et si le robot-aspirateur était un prude qui n'aime pas les femmes nues ? Les thuyas du jardin : au poil pour se cacher !
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J
Autrefois, grand-père soulevait le coin du tapis quand grand-mère le chargeait du ménage avant qu'on arrive. Les robots savent-ils le faire ? J'en doute.
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W
Ma fille a un robot promeneur comme celui-là. Quand il passe près de moi, je glisse mon pied devant, il lui faut des plombes pour se retrouver, c'est pas si malin que ça ces machins !
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P
Humour percutant, "pince-sans-rire". Un régal. Et quelle chute !...
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K
Mais l'imagination n'a pas pris la poudre d'escampette, elle est arrivée au galop pour une histoire à plusieurs facettes ! 👏🤖
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L
Je parle aussi chez moi de la robotisation aujourd'hui
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J
Sans papiers, sans passe, le robot est-il au moins smicard syndiqué ?
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