Participation de Pivoine
1972-1973. Agitez avant emploi...
Et osez la couleur !
Rouge et blanc. Et rose. Et bleu. Grenat comme la Renault 12 familiale. Comme la robe du New D, avenue Louise (vous prononcerez New Dee). Ma robe en toile serrée, à ramages rouges et blancs, ceinture assortie. Boucle éteinte et jupe courte. Un printemps cerise comme un tee-shirt échancré, comme mes bracelets tressés, de rouge, de bleu. De scoubidou. Comme la première soirée dansante.
Et comme le premier baiser. Trahison, stupeur d'été. Dans un âge de bonbons.
Phare multicolore! Voilà la musique! Le petit Livre d'Anna-Magdelana Bach. "Sergent Pepper's lonely hearts club Band". La reprise. Couleur de batterie. Le tourne-disques qui chante et tourne... Oscillation du désir, dans la maison. Et les premiers concerts. A Forest-National. Ike and Tina Turner. Le 11 novembre.
Forest-National ! C'est, ce restera toujours Pink Floyd à Bruxelles, le 5 décembre 1972. A 20h00. Avec David Gilmour, remplaçant Syd Barrett. Avec le bassiste, Roger Waters. Nick Mason, à la batterie, et Richard Wright aux claviers.
"Dark side of the moon"
Oseriez-vous seulement évoquer, après ce moment -historique- les chanteurs de charme qui polluaient le Lycée? Les filles dingues de Claude François? Les Patrick Juvet, Alain Chamfort et Gérard Lenormand? La folie Mike Brant, les Vaches rouges blanches et noires, "Podium" ou "Mademoiselle Age Tendre" ?
Une année dorée : "Le Bourgeois gentilhomme" au Théâtre National, par un dimanche d'automne, avec le tram 32... Les "Lettres persanes", que je lus à voix haute, déjà captive du charme. "Tristan et Iseut". La concordance des temps. Et ma poésie, dans les Limbes.
Mais un temps, parfois gris triste, vient me hanter. Avec la fin de la coopérative "L'Union Economique". La fin des cache-poussière gris. Des jus d'orange pressés. Des livres Rouge & Or. De mes "dames blanches" et de leurs Cafés liégeois.
Et des poupées Francie, Twiggy, Skipper, remisées au grenier.
A 1972, pourtant, noire et verte, j'aurai dédié un roman - la poésie, la flamme.
L'esprit adolescent.
Une page noire
Pour peindre la fixité d'une pupille
Un brouillard vert Pour l'iris et l'éclat Qui font rage
Un amour noir, comme le velours
Douleur verte et manière noire
Comme le trouble ingénu Qui vous paralysait
Mais la lumière? Où serait la Lumière intense, irradiante... De ce petit matin glacial de vos quinze ans? La couleur sera-t-elle jamais lumière? Précédera-t-elle jamais toute chose? Car s'il lui échappait le goût des siècles, la grappe de raisins, à la cantine, son joyeux brouhaha, l'heure de grec ancien du jeudi midi, et les retours à la maison, enserrés de migraine... Le contrôle de biologie, la robe du prof de math, l'abandon du solfège, la panne de chauffage, la crise du pétrole et les dimanches sans voiture, le manteau serré contre soi... Et ce regard aigu sur vous, tel une lame... Oui! Encore lui, toujours lui, ce trouble intime du coeur, qui reviendra encore et encore.
Encore, encore! Raconte encore... Supplie l'enfant, affamé...
Dites-moi ! Si tout cela échappait à la couleur, aux mots, vain mode d'emploi de toute année de vie, quelle lecture, et puis quelle écriture?
Devrais-je repenser
Pour figer à jamais
La coupe des splendeurs
De ma seizième année
Pivoine, le 14 novembre 2012.