J'ai vu (Gilsoub)
C’était une belle voiture, je pouvais passer des heures à son volant, j’aimais sa carrosserie, les longs voyages fait avec. Combien de tours du monde ? Elle volait s’il le fallait, elle traversait les mers, les forêts, les montagnes, les routes du désert et la neige du pôle Nord. Je l’ai aimé ma voiture quand j’étais petit, les grands, eux n’y voyaient qu’un vulgaire rocher, ce n’est pas marrant les grands…
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Il ne voyait plus qu’une garce, une traînée, une putain, et bien d’autre chose encore, il disait qu’elle était moche, mal fagotée, sans goût. Ce n’était que son ex-femme. Moi je la trouvais très belle, raffinée bien habillée, un brin magique, mais oserais-je lui dire que maintenant c’est ma fiancée ?
Baby blues (Val)
- J’ai peur de ce paquet, posé là, entre mes bras. Il m’effraie. Pourquoi donc m’a-t-on remis cette lourde charge dans les bras, et puis tout cet attirail ? J’en suis embarrassée, je me sens gauche. Que l’on vienne et que l’on me soulage de ce poids qui accable tant mes avants-bras ! Autrement je vais lâcher… Je vous préviens, je vais lâcher…
- Appelez un médecin, elle a de la fièvre ! Diable ! Mais c’est ton enfant !
- Qui donc m’a offert ce joyau dans son écrin de coton rose ? Que ce généreux donateur me reprenne ce présent au plus vite… je ne me sens pas à la hauteur. Recevoir une telle faveur ? Oh non, vraiment… c’est trop. Ce diamant est bien trop beau et trop précieux. Je ne saurais prendre soin d’un bijou d’une telle valeur. Offrez-le plutôt à quelqu’un de meilleur…
- Laissez, elle reprend ses esprits ! Mais si ! Prends… C’est ta fille.
La mienne –de fille- aura trois ans lundi.
Bon anniversaire, ma petite merveille... qui grandit!
CHAINON MANQUANT (Jo Centrifuge)
Trois indiens Aguarunas ricanaient, accroupis à proximité de la toile camouflage d'où sortait une étrange conversation :
-Mais enfin, professeur, vous l'avez vu comme moi!
-Oh non, mais détendez-vous mon petit! Je vous assure : ça n'est qu'un vulgaire piaf!
Les deux scientifiques se débattaient pour sortir de la tente qui leur servait d'affût ce qui provoqua une nouvelle crise de fou rire chez les indiens. Le ventre douloureux et les larmes aux yeux ils vinrent extirper le professeur Banhart, et Vanessa, sa jeune assistante.
-Ces indiens sont adorables, énonça étrangement le professeur. Ils sont toujours joyeux et plein d'attention pour nous.
-C'est ça oui, répliqua Vanessa, vous n'avez pas encore compris qu'ils se foutent de nous?
Un des Aguarunas demanda : Tigwaï? Tigwaï? Le mutisme déconfit du professeur engendra une nouvelle explosion de rires.
-Bon ça suffit, dit-il visiblement vexé, moi j'ai envie d'une bonne mousse bien fraîche! Je rentre au village.
Sur la sente qui courait dans l’épaisse forêt amazonienne, Vanessa revint à la charge :
-Je ne vous comprend pas. Ce bec denté, ce ramage. Ce spécimen correspondait en tout point à la description qu’en font les Aguarunas. C’était bien un Tigwaï ! Le chaînon manquant entre les dinosaures et les oiseaux. C’est un découverte remarquable et…
-Vanessa, mon petit, bouclez la ! Si j'ai accepté de m'encombrer pour une semaine d'une petite thésarde c'est par égard à votre père. Je vous rappelle toutefois que je suis sur site depuis un mois et fort de ce cela je vous assure que cet animal n'existe pas.
-Mais prof…
-Je vais finir pas vous appeler Bernadette si vous vous entêtez à fantasmer sur le premier volatil venue. Je vous dit que ces récits d’oiseau fossile ne sont qu'un folklore local, vous m'en voyez navré! Profitez de ces quelques jours pour photographiez les papillons ou faire un peu de bronzette. Voilà!
Au village hommes, femmes, enfants et vieillards les accueillirent avec de grands éclats de rire:
-Vous avoir trouvé Tigwaï? Pffffffmouahahahaaaaaaaaaaaaahahahah!
Cette mascarade n'avait que trop duré se dit Vanessa hors d'elle. Elle entraîna par le bras le professeur jusque dans leur hutte.
-Maintenant vous allez me dire le fin mot de l'histoire! Je ne suis pas folle, cet oiseau je l'ai bien vu, tout comme vous. Alors quoi? Et pourquoi est-ce que toute l'ethnie Aguarunas doit se payer notre fiole à chaque fois qu'on leur passe devant.
-Croyez moi, mon petit, la recherche scientifique est parfois une tache bien amère et il y a des vérités qu'il vaut mieux taire...
-Non! Vous allez cracher votre pastille ou bien faut-il que j'explique à tout le monde universitaire vos méthodes incompréhensibles!
-Très bien. Je crois qu'il est temps que vous appreniez la vérité.
Il tendit la main pour se saisir de son ordinateur portable. Il l'alluma et montra à Vanessa le résultat d'un mois de travaux : de nombreuses photos de Tigwaïs, de rapports d'observation, un descriptif exhaustif, des estimations de peuplement, des propositions de classement, une nomenclature des échantillons de plumes récoltés, bref un travail scientifique des plus sérieux.
-Mais c'est merveilleux! murmura Vanessa. C'est une découverte fantastique... Oh mais je comprend. Ne vous en faite pas, jamais je ne revendiquerai quoi que ce soit sur votre découverte...
Le Professeur Banhart avait les larmes aux yeux et gémit :
-Non, vous ne comprenez rien, mon petit.
Il lança un lecteur multimédia et passa l'ordinateur à Vanessa avant de s'accroupir comme prostré dans un coin sombre de la hutte.
Dans chacune de ces vidéos on pouvait voir le Tigwaï évoluer naturellement dans son habitat naturel mais bien vite la situation dégénérait. Une vidéo figurait un Tigwaï qui culbutait ridiculement sur une branche en poussant de petits cris pitoyables. Une autre specimen sautillait tranquillement jusqu'à la gueule grande ouverte d'un boa blanc et jaune vif qui s'empressait de le gober dans un claquement de mâchoire. D'autres Tigwaïs plongeaient leur tête dans les pétales d'une orchidée et s'endormait sur cet oreiller, parfois pendant un temps si long qu'un prédateur arrivait tranquillement pour leur dévorer l'arrière-train. Vanessa crut défaillir à la vision d'un Tigwaï qui, prenant son élan pour s'envoler, allait s'écraser lamentablement contre un énorme tronc.
Elle repoussa avec dégoût l'ordinateur.
-Qu'est-ce que... Mais ils sont complètement...cons!
Le professeur se leva brusquement l'écume au lèvre :
-Le voilà votre chaînon manquant, votre survivant, votre merveille scientifique!
-...
-Le Twigaï est une anomalie, une insulte au règne animal! Même Darwin leur aurait donné des coups de pieds au derrière! Et vous voudriez que nous associons nos noms à « ça »? Merci bien, je pense avoir déjà bien assez diverti les Aguarunas...
-Je... Je suis désolée...
-Vanessa, mon petit, croyez-moi, si vous avez une quelconque ambition scientifique il vaut bien mieux laisser cette découverte à d'autres... Heureusement pour le monde, au rythme auquel ils se font bouffer, il ne restera bientôt plus que leurs fossiles pour nous rappeler leur misérable existence...
Avant la sonnerie (Virgibri)
Ohlalala, j’espère que j’vais être dans la classe à Chloé ! Kevin est là. Il est trop beau ! En plus il a bronzé. J’adoooore son t-shirt !
Bon, voyons un peu les gagnants de cette année. Pourvu que je n’aie pas encore Kevin en cours. Il a l’air toujours aussi… kévinesque. Les minettes sont drôles avec leur sac au creux du bras. Tiens, lui, il va arrêter de faire l’amour à son chewing-gum dès que nous serons en classe.
Vas-y, c’est quoi ces profs ? I’ sortent d’où ? Non, mais t’as vu sa tronche à c’ui-là ? Pourquoi elle m’regarde comme ça, la prof ? P’tain, j’la sens mal, c’te année ! Qu’est-ce que j’fous là ?
Je vais faire avec eux l’argumentation, d’abord. En lecture intégrale, Candide. Ou bien Orwell. Cela dépendra de leur niveau. En même temps, la méthode du commentaire composé pour leur faire faire l’Eldorado en lecture analytique personnelle. Plusieurs apologues pour varier les plaisirs, et j’en mettrai quatre sur leur liste de Bac. Après, en lecture complémentaire…
Wouah, l’beau gosse ! Tes darons t’ont acheté les nouvelles Nike ? Trop cool.
Il ne faut pas qu’ils devinent que je suis néo-tit. Ne pas sourire. Oui, c’est ça, je ne vais pas sourire. Et puis faire de la discipline de suite. A l’IUFM, ils ne savent pas ce que c’est, eux, d’être en ZEP. Je crois n’avoir rien oublié ce matin. Je vais vérifier encore mon cartable. Ne pas sourire.
Pffff, ce qu’ils sont nuls ! Ils se la pètent mais c’est tout ce qu’ils savent faire. Moi je veux mon Bac. Mes parents ont raison.
Non seulement je dois gérer la rentrée, mais aussi les profs. Je sens bien qu’ils ne m’ont pas trop écouté hier, à la réunion. Pourtant, je trouvais mes efforts payants. Il y en a déjà trop qui viennent se plaindre. J’en ai pour des heures de boulot à tout refaire…
Si je garde ces heures de cours du vendredi matin, je ne vais pas pouvoir tenir. C’est effroyable. Je n’ai qu’un tiers-temps et ils me mettent tout le matin. Oh, que je suis mal ! Je sens les angoisses revenir. Il faut absolument que j’en reparle au proviseur.
Elle a l’air jeune la prof d’espagnol ! T’as vu ? Tu crois que c’est sa première année ? A ton avis, notre prof principal, il enseigne quelle matière ? Il est trop mignon !
Allez, c’est ma classe maintenant. On va pouvoir monter après l’appel. Ils ont de bonnes têtes. Je vais juste leur faire un peu peur au début. Après, je relâcherai la pression. Quelle angoisse, quand j’avais leur âge…
On m'a appelée ! Chloééééééééééééééé !
Installez-vous dans le calme. Je vais faire l’appel…
Tours d'ivoire (tiniak)
Main fredonnant l'herbe frisée
frissonnants grains de muscadet
chapelure appelée rosée
où j'irai déposer mes lèvres
avant qu'un rêve nous achève
avant qu'il nous ait emportés
perles vives dans la buée
Arrête un peu, dis
tu me chatouilles !
Calmes palmes devant l'or brun
n'en laissant fuir que des rais fins
persiennes fractures du jour
soudain quelque ennui vous tracasse
est-ce l'ouragan qui menace ?
qu'y puis-je faire ? comment sauver
le calme charme de vos ourlets ?
Regarde un peu, voir
j'ai pas une poussière ?
Eclats de forge dans l'atmosphère
brûlant ma gorge dans les enfers
un chameau passe, il est tout sec
un toucan délivre son bec
d'une pastèque
cependant je cherche à étreindre
la source au puits qui sait m'éteindre
T'as pas un peu soif, dis ?
parce que moi oui
Plus immobile qu'un caillou
stoïque tel un fier brisant
le monde roule sur mon cou
indifférent
à l'intérieur le rêve est plein
de jus, de flamme, de chanson
et, oui dame, de vos seins ronds
viens un peu par là, voir
que je t'embrasse
hélas, hélas, moment de grâce,
il est bien tard
sur le grand écheveau du soir
j'ai lacé mon tour d'ivoire.
A l’ombre des balsamines (Tilleul)
A l’ombre des balsamines,
J’ai vu, déposés sur le lit de l’onde,
des pépites d’or…
Elles étincelaient de tout leur éclat
Quelqu’un m’a dit : ce sont des cailloux
Polis par le courant,
Qui brillent sous le soleil…
Moi, j’ai vu des pépites d’or…
Dans le fond de l’étang,
J’ai vu, s’enfonçant dans la vase,
Un coffret d’argent…
Quelqu’un m’a dit : c’est un papier alu
Qui a été jeté par un promeneur
Peu respectueux de l’environnement…
J’ai vu un coffret d’argent.
Or, je ne mens pas et l’autre non plus,
Et chacun raconte ainsi qu’il a vu.
La valise à Scherzos. 52, L’endroit vaut l’envers (Joe Krapov)
Finalement, elle sera allée de surprises en surprises, Philomène Troll, dans cette résidence Kaléïdété. Pour tout dire, elle ne se reconnaît même plus à l’issue de ces quinze jours dans les Landes. Ce séminaire Scherzos qu’elle abordait comme un contrat de travail chiant à effectuer parmi des intellectuels sinistres aura été une partie de rigolade de bout en bout ! Voilà quoi ! C’est clair !
Elle ne sait si le mystérieux commanditaire y retrouvera ses petits, elle n’a toujours pas compris le concept de l’émission et n’est même pas sûre qu’il s’agisse d’une émission. Maintenant elle s’en fiche. Ce qu’elle sait, c’est qu’elle s’est bien marrée à côtoyer l’incroyable Ludivine Dieu, Pee Wee le dépressif et ce taré de Joe Krapov qui n’en a pas foutu lourd jusqu’ici. C’est ce qui fait son charme, un charme différent : il n’est pas comme les autres et c’est bien plus marrant ! Et puis franchement, ce Yannis Scherzos, ses papelards, sa valoche ! La cuisine de Conchita, la gentillesse du major Dom… On approche de la fin du séjour et elle trouve ça dommage.
Pour terminer en beauté, elle a invité tout le monde à un petit jeu autour des dessins du Grec qu’elle a retravaillés sur son ordinateur afin de faire disparaître les petits carreaux.
- Voilà. Je vais vous montrer trois dessins et vous allez me dire ce que vous voyez. Chacun, chacune votre tour. Toi d’abord, Joe Krapov.
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- Le savant Cosinus ? Un jardinier obnubilé par les carrés ?
- Non. Au mieux tu aurais dû répondre Dalton Trumbo mais en fait c’est un éléphant rose du Texas !
- C’est qui Dalton Trumbo ? a demandé Ludivine.
- C’est un scénariste d’Hollywood qui a réalisé le film « Johnny Got his gun » répond Pee Wee/Patrick Wolf.
- Tu as fumé quoi, toi, pour voir un éléphant ?
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- Attendez ! A Ludivine, maintenant pour le dessin n° 2. Que vois-tu là ?
- C’est… Ca me rappelle… C’est Amélie Nothomb enfant qui fait de la corde à sauter !
- Tu n’es pas tombée loin ! Scherzos a écrit « La précieuse ridicule » ! En 1970, Amélie avait trois ans ! Non en fait il s’agit d’une reine scandinave qui fait une grosse colère.
Stupeur et tremblement dans le public du salon blanc.
- A toi Patrick !
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- L’archevêque de Canterbury ? Monseigneur Dupanloup ?
- Pas du tout ! C’est un jockey qui fait pipi contre un arbre ! Voilà, quoi !
Les trois regardent incrédules la punkette écroulée de rire.
- Tu vas te fiche de nous encore longtemps ? s’énerve Ludivine.
- Oh calmos, madame Dieu ! C’est pas moi la responsable ! C’est encore une invention à la con de monsieur Scherzos. Faites le tour de la table et venez de mon côté. Vous verrez si je n’ai pas raison.
Ils contournent la grande table et regardent les trois dessins avec le point de vue de Philomène. Ils voient alors ceci :
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- Un éléphant rose du Texas, une reine scandinave en colère, un jockey qui fait pipi contre un arbre ! Voilà quoi ! Je vous l’avais bien dit ! En plus vous remarquerez, je suis une fille sympa !
- Ah bon ? Première nouvelle ! » raille Krapov (Lemouton).
- Si mon bon monsieur ! J’ai imprimé les dessins espécialement pour vous, même si ça n’est pas très écolo. Sinon, devant l’ordinateur, vous auriez dû faire le poirier ou tourner la tête et, voilà, quoi, attraper un torticolis.
- Ah oui, c’est clair ! plaisante PeeWee. Voilà quoi !
Le soleil a rendez-vous avec la lune ou L'histoire d'un amour qui s'éclipse dès sa naissance (Sebarjo)
Le soleil a rendez-vous avec la lune
ou
L'histoire d'un amour qui s'éclipse dès sa naissance
J'ai vu la lune
Et toi le soleil
Il n'y en avait qu'une
Et toi... pareil.
Pourtant des fesses,
Nous en avons deux
Et je vous le confesse,
Pour s'asseoir, c'est mieux !
Le soleil, lui, est Roi,
Même s'il est parfois inique,
Ce Monarque-là
est absolument unique.
(Couplet à deux voix, en alternance)
Tu es la lune
Et toi le soleil
Tu ne fais qu'une
Et toi... pareil.
Je t'aime tant
Et moi tellement
Brûlons tous deux
D'un même feu.
Mais à vouloir s'embrasser
On s'est soudain éclipsé
Ce fut alors un désastre,
Cette obscurité des astres.
Laissons tomber
Fuis-moi ma mie,
Mieux vaut laisser
l'astre au logis...
Les créatures du soir (Tilu)
La chambre est noire, maman vient d’éteindre la lumière après m’avoir souhaité bonne nuit, puis elle est sortie et a fermé la porte. Je n’ai pas vraiment sommeil, je suis juste consciente que c’est l’heure d’être au lit, mais mes yeux n’ont pas envie de se fermer tout de suite, ils s’habituent doucement à l’obscurité et petit à petit retrouvent leur faculté de discernement .Je m’empresse d’aller rouvrir le double rideau que l’on vient de tirer sur la fenêtre, ainsi je sais qu’il va se passer des tas de choses sur le mur clair qui fait face à mon lit… J’attends. J’aime ce moment.
Alors commence le défilé, l’un après l’autre de grands animaux fantastiques et lumineux viennent me saluer, certains sont pressés et passent en galopant sans un signe pour moi, mais d’autres trainent un peu plus, agitent leurs bras ou leur tête pour me faire rire ou me faire peur avant de disparaître. Certains même s’arrêtent, semblant eux aussi m’observer au creux de mes draps de leurs gros yeux globuleux.
Ils vont tous dans le même sens : ils arrivent de la gauche parcourent tout le mur de façon rectiligne plus ou moins vite selon leur caractère et s’évanouissent en un éclair.
Je les suis du regard, les observe, attend un signe d’eux, écoute leur voix. Ils ont tous une voix différente. Certains crient, d’autres ronronnent, d’autres toussent ou pètent bruyamment, d’autres encore grondent ou simplement soupirent fort.
Je les guette tant que mes yeux arrivent à rester ouverts, je sais que demain matin ils ne seront plus là, et qu’il faudra attendre la nuit pour qu’ils se montrent de nouveau.
La plupart du temps ils sont jaunes mais j’en vois quelquefois des bleus qui clignotent en chantant sur deux notes qui changent de tonalité au fur et à mesure qu’ils avancent sur le mur. Quelquefois je chante avec eux, mais pas trop fort sinon maman revient et me demande si c’est une heure pour chanter toute seule…
Moi je sais que je ne suis pas seule, mais maman ne me croit pas , elle pense que je n’arrive pas à dormir à cause du trafic des voitures sur l’avenue qui passe au bas de l’immeuble. Elle dit souvent qu’il faudrait bien autre chose que ces gros platanes qui nous séparent de la voie pour atténuer ces nuisances sonores et que je puisse m’endormir en paix…
L'écharpe de la Vierge ( Papistache)
Papi Jean s’est noyé voici quatre ans. Il serait bien surpris de découvrir qu’une des petites histoires qu’il aimait raconter se sera finalement déposée au sein des défis du samedi, défis dont il n’eut jamais l’occasion de deviner l’existence, étant mort trop tôt, même si son rêve de gosse —passer l’an 2000 — lui fut accordé.
Dans la campagne vosgienne, entre les deux guerres, vivait une famille. Il devait en vivre quelques autres, Papi Jean ne nous entretint jamais que de celle-ci. Une famille d’autrefois : treize enfants. Papi Jean, lui-même était le douzième de sa famille, le tardillon.
Dans la maisonnée qui nous intéresse c’est également le tardillon qui intriguait. On vivait de la force de ses bras à cette époque, le père tonnelier, la mère fatiguée et les enfants à dure école : les filles occupées à mille tâches, les garçons en apprentissage, mais on s’aimait. Le soir, à la veillée, les langues s'agitaient. Le tardillon délirait. Il voyait de ces choses. On riait de lui, mais on l’aimait bien, il était vigoureux et ne laissait à personne sa part de travail.
Un matin, cependant, le père et la mère prirent une décision. On irait à Épinal. On irait voir le docteur des yeux. Cette fois, il était allé trop loin, le tardillon. La veille, le ciel était sombre, sombre comme jamais. Il pleuvait sur Remiremont. Un rayon du soleil déclinant avait troué le ciel et le gamin s’était mis à genoux en pointant le ciel du doigt. Il s’était extasié un bon gros quart d’heure, appelant sa mère, son père, ses frères et sœurs. « Comme c’est beau, on dirait l’écharpe de la Vierge à l’église du bourg » s’exclamait-il. « L’écharpe de la Vierge de l’Église ? Quelle imagination ! Une écharpe dans le ciel mouillé des Vosges? » se dirent ensemble parents et enfants.
Le docteur fit entrer la petite tribu. Tous étaient venus. Se rendre à Épinal était une fête. On allait en profiter, peut-être acheter un ruban ou des mouchoirs à carreaux... Le docteur examina l’enfant, interrogea, examina le père, la mère et les aînés, rendit son verdict : sur les quinze membres de la famille, quatorze étaient daltoniens, le dernier, seul, avait échappé à l’anomalie congénitale.