Le corbeau (Fairywen)
Le corbeau.
Il enrageait. Des jours maintenant qu’il avait envoyé sa lettre, des jours qu’il attendait, épiait, des jours qu’il guettait derrière les rideaux telle une vilaine araignée tapie dans un coin sombre. Mais rien, toujours rien… Le couple en face était toujours là, toujours heureux… Pas une dispute, pas un nuage dans leur histoire d’amour. Ils continuaient à rire de tout et de rien, à s’embrasser à perdre haleine, à rester dehors la nuit pour regarder les étoiles, serrés l’un contre l’autre. En bref, ils continuaient à être heureux.
Pourtant il l’avait bien préparée, sa lettre… Les insinuations mensongères qu’elle contenait étaient suffisamment vagues pour ne pas être vérifiables, et suffisamment précises pour faire naître le poison du doute dans leur couple si parfait, et finir par tuer leur amour, dans les cris et les larmes. Il les détestait tellement, eux qui osaient s’afficher comme ça devant lui…
Et rien, rien, toujours rien… C’était pourtant impossible qu’il ne fasse pas mouche… ! Des décennies maintenant qu’il rédigeait ce genre de courrier, des décennies qu’il empoisonnait la vie des gens, par pure méchanceté, pour le plaisir de faire le mal. Son premier échec se profilait-il… ? Il n’en mangeait plus, n’en dormait plus, et la nuit où, à l’aide de son télescope, il les surprit en train de faire l’amour dans leur chambre, c’en fut trop. Il ne put supporter leurs gestes de tendresse, leurs baisers, leurs caresses, leurs soupirs de plaisir et leurs mots d’amour qu’il devinait… Son cœur noir s’arrêta d’un coup, et il s’effondra sur le sol, une grimace de douleur figeant son visage.
Lorsque le corps fut évacué, le couple d’en face le regarda s’en aller sans émotion apparente. On ne pouvait pas dire que l’homme les avait bien accueillis lorsqu’ils étaient venus s’installer dans cette petite maison à la campagne, et à vrai dire, ils étaient soulagés d’être débarrassés de sa présence malfaisante. Brendan passa un bras autour de la taille d’Anthony et posa un baiser sur le coin des lèvres de son compagnon :
« Ça te dit, une petite promenade dans les bois ?
-Avec toi, toujours. »
Ils fermèrent leur porte et s’engagèrent sans hâte sur le chemin. Inconsciemment, ils sentaient qu’ils avaient échappé à une catastrophe, et éprouvaient le besoin de se rapprocher l’un de l’autre.
Trop occupés l’un par l’autre, ils ne prirent pas garde au nid de pie sous lequel ils passèrent en entrant dans la forêt, et ne virent pas l’oiseau noir et blanc à l’œil vif et malicieux qui déchiquetait soigneusement une lettre pour en tapisser le fond de son logis.
La lettre du corbeau avait fini par être retrouvée…