Miroir aux alouettes (Oulipien)
Il me regardait au nez et à la barbe
A propos, ma barbe était de mauvais poil
Ma peau d'âne me grattait à fleur de peau
J'étais raide comme un passe-lacet, d'un calme olympien et laid comme un pou
Je lui lançai le coup de pied de l'âne : un « Toi même ! »
Regardant son nombril, il me faisait toujours la barbe
Mais maintenant ma barbe avait reprit du poil de la bête
N'ayant pas froid aux yeux, je fis l'âne pour avoir du son
Mais il faisait la fine bouche
Ayant compris que les yeux sont le miroir de l'âne, je fis demi-tour avec abandon
J'avais bon dos
Je me recouchai et ma barbe avait un poil dans la main
Mais on se regardait encore en chien de faïence
Je n'arrêtais pas de le regarder, en enculant les mouches
Je m'endormis alors ensuite sur mes lauriers
Mais voilà qu'il prit enfin mouche : il se moquait de moi en m'imitant
Au taquet, je me retrouvai face à lui d'un bond
Mais il ne bougeait pas d'un iota
La barbe !
Je ne croyais évidemment pas avoir eu la berlue
Je n'y avais vu que du bleu et avais l'air d'un âne bâté
Alors je fondis en larmes et pas lui, car
« le miroir est une glace qui ne fond pas, ce qui fond, c'est qui s'y mire »
(Paul Morand)