A Trip to the Country (Walrus)
La cambrouse (ou cambrousse) avec sa connotation péjorative et son orthographe double comme l’agent du même nom, m’était apparue comme l’endroit idéal pour mon projet, d’autant que je ne comptais pas entrer dans la grande famille des producteurs industriels.
Avec ces stupéfiants matériaux d’aujourd’hui, dont la fibre de carbone et le Kevlar, j’y avais construit une sorte de pavillon de jardin ultraléger mais ultrarésistant, soigneusement haubané (ou haubanné si cela vous chante, j’adore ces mots à l’épellation incertaine) et j’y avais installé la petite culture que vous devinez aisément, bien à l’abri sous ces dehors anodins, des regards des limiers de l’antidrogue, ces gaillards dont la devise devenue célèbre est, très logiquement, “Quand j’entends le mot culture, je dégaine mon pistolet vaporisateur”.
Un jour que j’étais assis à l’entrée de mon pavillon, jouissant en toute sérénité pour ne pas dire béatitude du fruit de mon industrieuse et verte activité et que tout semblait baigner dans l’huile (oui, je sais, l’huile, c’est un peu concentré pour la pratique du Français moyen, mais je ne suis pas français et en digne représentant de la belgitude surréaliste, je puis plus facilement évoquer face aux pandores l’argument magrittesque : “Ceci n’est pas une pipe”), mon attention fut attirée par un léger tressaillement d’une des tiges de chanvre. J’y concentrai mon regard et, horreur, je vis apparaître, sous mes yeux hébétés, une tête émergeant de l’écorce éclatée. Puis, progressivement, tout le corps de l’animal fit surface.
Je pensai que tout comme une hirondelle ne fait pas le printemps, une larve d’œdeméridé ne fait pas le ravage d’une plantation. Grossière erreur ! Se prenant sans doute pour une chenille, ce futur coléoptère aux reflets métalliques se mit à grimper avec vigueur vers les feuilles et commença à les grignoter avec entrain. Au fur et à mesure qu’il les mangeait, il se mettait à grossir, et plus il grossissait, plus il en boulotait. Sa taille qui au moment de son apparition ne dépassait pas quelques millimètres avait largement dépassé celle d’une énorme limace et continuait de croître et embellir au fil de l’insatiable appétit du monstre.
Avant qu’il ne vienne à bout de ma plantation, je l’expédiai au sol d’un revers de pelle à rempoter. La bestiole se traîna au dehors et se mit à brouter l’herbe, l’appétit et la taille toujours croissants. Fait nouveau, elle faisait maintenant des rots retentissants dont je ne sais s’ils étaient dûs à la satisfaction où à une fermentation des divers végétaux enfournés.
Pour s’attaquer à la végétation et aux feuillages des arbres bordant le terrain, le monstre fit demi-tour et s’empêtra les pseudopodes dans les haubans du pavillon et les arracha du sol.
La méthanisation galopante de tous ces végétaux qu’il continuait d’engloutir finit par le gonfler comme un de ces ballons-saucisses que les observateurs militaires utilisaient lors de la première guerre mondiale, si bien qu’il commença à s’élever dans les airs, entraînant, telle une nacelle, mon joli petit pavillon et son occupant, en l’occurrence moi-même, que l’étrangeté et la rapidité du phénomène avaient cloué sur place.
Le cliché pris quelques instants plus tard par une photographe errant dans ce bled à la recherche de scènes originales à déposer dans sa galerie Flickr ne rend pas justice à l’énormité de la chose puisque la majorité de l’animal est hors cadre et qu’on n’y voit qu’une partie de son abdomen et quelques pseudopodes, toujours reliés à ma pauvre construction.
Si jamais cette petite curieuse pense à vendre son œuvre à une quelconque gazette locale et qu’un journaleux de province y joint sa prose grandguignolesque, ça va faire un de ces pétards !