Après
la magie fantomatique des rues de Tombouctou, l'ambiance de Djenné est
moins déroutante, mais tout aussi envoûtante. Par contre j'ai toujours
autant la drie.
Inde, novembre 2002
Je
ne sais pas si on peut mourir de manger trop épicé... Ils doivent avoir
l'estomac en titane, c'est pas possible autrement. Sans déconner.
Jordanie, avril 2003
Qu'ils
essaient seulement de me faire dormir à la belle étoile, tiens. Avec
tout ce qui doit traîner comme bestioles la nuit... Hors de question.
Et j'ai pas envie de bouffer du sable toute la nuit.
Mongolie, septembre 2003
C'est
chouette, ces grands espaces. Bizarrement, on se recentre beaucoup sur
soi-même. Pour autant, c'est pas une mince affaire de faire pipi dans
la steppe, quand on est une fille. Les autres peuvent bien dire
« vas-y, c'est bon, on regarde pas » je connais pas une nana qui ira
s'accroupir à l'abri de rien au milieu de nulle-part.
Cap Vert, mars 2004
Oh
la la... Où on est là? Ils sont tous consanguins, ou quoi? Pas possible
autrement. Et puis avec toute ce noir... les scories, la lave... je
vais flipper toute la nuit, moi. Vais pas être en forme pour la
crapahute de demain.
Turquie, Mai 2005
C'est sympa le muezzin... juste faudrait pas qu'il chante, quoi. Ou alors pas avant 10-11 heures.
Paris, mai 2009
Plus loin demain
Des pistes ensablées aux mystères envoûtants des ruelles de Djenné j’ai aimé goulument le rire des enfants les sourires des femmes la gaieté de leurs chants le rythme des tam-tams
Aux mille couleurs soleil des saris j’ai gâté mes yeux à vos merveilles somptueuses beautés mes papilles ont brûlé d’explosives saveurs et mon âme s’est gorgée de divines douceurs
J’ai soufflé ma chanson au vent chaud du désert perdu mon horizon dans la steppe aux grands airs des volcans du Cap Vert aux mosquées d’Istanbul j’ai foulé bien des terres à en perdre la boule
Mais il n’est nul voyage qui m’ait menée plus loin que le bien doux présage de tes yeux au matin lorsque j’y vois demain dans ta vie dans tes bras je connais le chemin où inscrire mon pas
Paris, juin 2009
Ah le con. Il est pas venu. 12H45, TGV 1612, voiture 16, il y était pas. Ah le con.
On ne s’est pas rendu compte tout de suite que
le disque était rayé. C’est parce qu’on était occupé à tirer sur le joint et à
faire mine de planer. Et puis aussi, c’est parce que Jeanjean écrivait et que
moi j’étais occupé à lire les élucubrations incompréhensibles de William
Burroughs. Cette littérature-ci était à la mode, mais ça ne me plaisait pas
trop. Je préférais m’en tenir à Kerouac. Ça me plaisait bien d’être sur la
route, je m’y sentais bien.
Pour en revenir à la galette de vinyle rayée,
c’était un disque de Ravi Shankar, une musique assez lancinante pour donner le
change quand la tête de lecture de l’électrophone se prend les pieds dans le
tapis. Jeanjean a quand même fini par se rendre compte que son disque était
bousillé alors il a relevé le bras du tourne disque assez brutalement, ce qui
fait qu’on a entendu une espèce de raclement fatal, et ceci explique cela,
n’est-ce pas. Quand on n’est pas soigneux, voilà ce qui arrive.
Personnellement, je n’étais pas trop désolé pour Ravi Shankar, mais Jeanjean
était dans une période baba, envisageant vaguement d’aller faire un tour du
côté du Népal, et moi je lui souhaitais bon vent, si on peut dire, n’ayant que
peu de goût pour l’exotisme bariolé. Je luis avais quand même fait remarquer
que Shankar n’était pas népalais.
Après avoir remisé le roi du sitar dans sa
pochette, il a ajouté quelques mots à sa prose avant de me dire, écoute ça, et
il s’est mis à me lire sa production, qui n’était pas mal ficelée, même si ça
n’était qu’un début et qu’on restait sur sa faim. Il y avait là l’histoire
assez banale et naturelle d’un garçon qui s’immisce dans une fille, et Jeanjean
y avait ajouté une trouvaille assez saugrenue quant au vacarme produit par les
poils des protagonistes qui s’entrechoquent. J’étais bizarrement émerveillé par
ce trait d’esprit, quoi qu’un peu jaloux aussi, parce que c’était moi
l’écrivain, là-dedans, bon sang de bonsoir.
Jeanjean a fait mine de vouloir mettre un
autre disque, c’était Bob Marley, alors je me suis écrié qu’on n’allait pas
faire le tour du monde, merde, même si comme dit le poète, « qu’est-ce
qu’on peut voyager, dans une petite carrée », tsoin, tsoin, tsoin.***
J’ai dit, et si on faisait un voyage,
plutôt ?
Jeanjean m’a pris au mot, il a entassé des
trucs dans une sacoche de l’armée, on est passé chez moi pour prendre la tente
et les duvets, et mes trucs à moi dans une autre sacoche de l’armée (décorée
d’une croix languedocienne au feutre indélébile, j’étais dans ma période
occitane). On a dit au revoir à nos mères respectives. J’ai pris place au
volant de ma vieille 4L à trois vitesses, et nous avons mis le cap sur l’ouest.
Tu parles d’un voyage, disait Jeanjean, la mer est à même pas deux cent bornes,
et après, y a rien (il faisait abstraction de l’Amérique et même de l’Angleterre).
On a planté la guitoune à côté d’une chapelle,
face à la mer. Et puis on est allé faire un tour sur la falaise. J’ai toujours
été fasciné par les falaises d’Etretat, elles sont vachement impressionnantes.
Evidemment, pour être fasciné, il faut les avoir vues de ses yeux vu au moins
une fois.
Jeanjean a fouillé dans sa sacoche et en a
sorti une boîte d’allumettes, et dans la boîte je voyais des petits grains
noirâtres qui ressemblaient à des cachous. C’est de l’acide, a dit Jeanjean. Et
sans se poser trop de questions, on a gobé les cachous.
Du haut
des falaises, nous nous abîmions dans un paysage irréel, je voyais jaillir des
rayons d'un vert cru à l'horizon, les rayons du soleil à travers de gros nuages
annonciateurs de pluie, mais qui s'en souciait, lentement du rouge puis du
pourpre ensanglantaient l'espace, on se serait cru dans un tableau
expressionniste, sauf qu'à ce moment là, je n’avais encore jamais entendu
parler d'expressionnisme ni même d'impressionnisme, j’étais encore en friche de
ce côté, je voyais le paysage vibrer comme s’il avait été peint sur de la tôle,
kitsch en diable, et il y avait plein de goélands qui planaient autour de nous
et qui venaient nous narguer tout près.
Alors
Jeanjean s’approchait du bord, il me flanquait les flubes, mon ami, il disait regarde,
je suis une mouette je suis un goéland je vais voler planer sur l'eau rejoindre
l'horizon
cet
horizon que je voyais métallique clinquant pas vrai merdique
kitsch
fais pas
le con mon ami, t'es pas un GOELAND
reste avec
nous
me laisse
pas tout seul
(me
débarrasser de ces miasmes acides ces rideaux artificiels et multicolores dans
lesquels je m’étais empêtré, je sentais bien confusément que ce voyage était un
bad trip)
longtemps
après, ou pas longtemps après, je ne savais plus, difficile à savoir, je
m’étais absenté, j’avais un trou noir en moi, après toutes ces couleurs, tous
ces flashes,
j’entendais
un cri bizarre, un long hurlement ou ululement, un cri qui me terrifiait en
tous cas
j’étais
planté là au bord de cette falaise, Jeanjean n’était plus là, j’étais seul sur
la falaise, assis dans l’herbe rase, et un goéland était tout près, qui me
regardait de son petit œil cruel,
j’étais
seul,
j’étais
seul,
j’étais
seul,
j’étais
terrifié,
et putain,
j’ai toujours détesté les goélands.
***
celui qui rappellera le chanteur de ces mots là aura droit à ma gratitude.
Toute recherche sur gougueule ou autre est évidemment proscrite.
Mon avion part dans trois heures de Point-à-Pitre. Je regagne la métropole sans l'assurance de pouvoir revenir sous ces tropiques avant longtemps. Je vais retrouver le temps qui court et les gens qui courent après lui. Je vais retrouver cette part de ma vie qui me définit davantage par ce que je fais que pour qui je suis... les "Bonjour, tu fais quoi dans la vie ?", ces passe-ports d'avant le passe-port, qui rassure les tribus, leurs propos "convenus", leurs sourires "entendus" et leurs idées reçues. Je vais retrouver les arbres encerclés, les gazons crottés, les rives bétonnées, les nuages fatigués d'avoir couru le monde, venus se regrouper pour pleurer sur les toits la peine qu'ils ont d'avoir soudain si froid.
Alors, avant de partir, pour finir, je laisserai sur la table de chevet de cet hôtel propret, quelques signes, quelques lignes, pour ce qu'il me faut quitter.
__________________________________________________ jamais quittes
Crête où la terre se fait la dent mollement contre le ciel gourmand de flasques firmaments mon pays dans le vent un pied en mer, l'autre dans l'océan je viens oublier le temps
si ta bouche parle bruyamment et crache du soufre incandescent c'est pour qu'un sable blanc et rose et noir courant tes rives alanguies dessous le vent flatte et caresse tes flancs
Parfois dans la nuit s'élève un chant groka, guitare et le pied dansant l'âme et le rhum aidant un rire éblouissant moque le coq et le counyamaman d'un égal et vif allant
Noirs sont les hommes dans l'ouragan Verte la palme au lent mouvement Rouges sont tous les sangs sous la peau se mêlant qui sous le madras ou le lin flottant marche d'un pas nonchalant
Mon pays tu me prends et, par toi je l'apprends on ne se quitte jamais vraiment.
Cette semaine, nous partirons en vacances avant l'heure. Nous vous invitons à nous offrir une page de votre carnet de voyage.
Partagez avec nous le récit de votre tour du monde en stop, les images de votre traversée sur désert, ou vos déboires au camping des flots bleus à Royan. Parlez-nous donc de votre périple dans la foret amazonienne, de votre tour de la Creuse en solex, de la grande muraille de Chine ou encore de la cathédrale de Chartres ou de votre croisière à bord d'un vaisseau spatial.
Vous l'avez compris, vous êtes tout à fait libres d'inventer (ou pas!) tant que vous nous donnez à lire une ou plusieurs pages de votre carnet de voyage.