Le trésor (Célestine)
Je marcherais vers toi sur un trottoir mouillé de noirs et blancs pavés, jupe de satin doux et caraco turquoise. Les mèches de mes cheveux fous porteraient à leur bout des perles de pluie fraîches, et mes lèvres entrouvertes attendraient, frémissantes et buvant l’air aigri de cet automne froid, que tu viennes vers moi. Et le flot des Pontiacs bruisserait sur l’asphalte,je ne verrais que toi dans mes yeux d’amour flou. Je courrais, je courrais, j’attraperais la mort à courir comme ça sous la pluie de novembre, mais je n’écouterais pas la voix de la raison, et je courrais encore.
Tu serais sur le port, fier et lointain paysage, et le regard perdu dans la brume étouffée. La main serrant le bastingage d’un quelconque café, ténébreux et sauvage, tu ne regarderais pas dans ma direction, mais vers un point cruel de l’horizon blafard qui ne serait pas moi.
J’arriverais fourbue, éperdue, et perdue noyant dans tes yeux clairs le chagrin de mes yeux, serrant mes poings de peur que tu ne me repousses, et pourtant, au milieu d’une foule inconsistante et fade ignorant les tourments qui agitent mon âme, tu placerais soudain tes bras comme un rempart, tout autour de mon corps telle une forteresse, la chaleur d’un baiser allumerait en moi un incendie hagard.
Elle regarde sa montre et remonte son col. Il est tard, elle sort dans le soir ordinaire. La pluie a allumé le trottoir de diamants.
Elle est seule, elle a froid. Elle a encore rêvé d'un improbable amant au carrefour des songes. C’est sa seule richesse, rêver, c'est son trésor. La vie l’a oubliée une nuit de janvier où ses beaux yeux sont morts.
illustration:Joël Guenoun ®