Carnet de voyage (Djoe l'Indien)
Le problème, lorsqu'on désire chercher le bout du monde, est : dans quel coin commencer les recherches ?
Problème dont on appréhende toute l'étendue lorsqu'on se souvient qu'un certain, il y a de cela déjà quelques temps, a décidé que le monde était rond...
J'avais décidé de commencer mes recherches dans le grenier. Avec tous ces coins et recoins, il y avait certainement matière à découvrir le pot aux roses ! Du moins l'espérais-je.
De toute façon, dehors, il pleuvait à seaux, alors autant commencer au sec, n'est-ce-pas ?
J'aurais tort de dire que je ne connaissais pas le grenier; depuis quelques années j'en avais fait mon terrain de jeux des jours pluvieux, mes parents n'y trouvant rien à redire puisque je leur laissais la paix.
Ce grenier donc, je le connaissais presque par coeur. Mais ce jour-là j'avais décidé de vraiment le fouiller de fond en comble (sans jeu de mots, bien sûr). Moult générations d'enfants avaient dû faire de même, moult générations d'adultes s'en était servi pour faire en sorte que la génération d'enfants suivante ait un peu plus de chance de se perdre ou de se noyer sous ce fatras d'objets plus ou moins insolites; et sûrement tous aussi inutiles les uns que les autres. En tout cas, une fois arrivés ici, ils n'ont plus jamais servi à personne !
D'ailleurs, est-ce que quelqu'un en connaissait le contenu, de ce grenier ? Même approximatif ?
J'en doute fortement mais m'en moquait éperdument à l'époque où se situe ce récit, et continu à faire de même.
Je me suis assis au beau milieu du fouillis ambiant, pour étudier un peu la situation et choisir le bout par lequel j'allais entamer mon aventure du jour. Au vu du défi posé, il ne fallait pas se lancer tête baissée dans le premier mur venu.
De toute façon, inutile d'essayer de les traverser, les murs, c'était du costaud ! Et je pouvais affirmer qu'aucun ne sonnait creux, j'avais déjà testé chaque pierre les unes après les autres. J'avais d'ailleurs été fort déçu du résultat...
Tiens tiens... J'avais fait sonner toutes les pierres, mais je n'avais pas sondé tous les placards, armoires ou secrétaires qui se tassaient ici et là !
Va pour les armoires, alors, me suggérais-je avec un petit sourire et des yeux pétillants !
Le première était si pleine de tout un tas de trucs plus ou moins contondants que j'ai pris peur et en ai délicatement refermé les portes. Si besoin est, je me donnais la possibilité d'y revenir par la suite. La suivante fût sans grand intérêt, mais je la conservais en mémoire pour un jour de carnaval. Je ne sais plus combien j'en ai fouillé, observé. Pas disséqué, même si l'envie était bien là, car je pense que j'aurais eu un peu de mal à justifier la chose auprès de ces personnes qui ont autorité sur les enfant et qu'on nomme communément "adultes".
Toujours est-il qu'il en est une dont le fond attira un peu plus mon attention. Les planches en étaient un peu plus disjointes que la normale, et un peu abimées sur les bords, comme si on avait glissé un outil... Pour les soulever ! En trouver un moi-même ne fut pas très compliqué, et bientôt une latte se soulevait, laissant apparaître ce qui semblait être un cahier. Peut-être le carnet de voyage d'un capitaine au long cours ? Un explorateur oublié ? Allais-je découvrir une carte pour aller au bout du monde ?
Je le sortais délicatement et constatais qu'il avait plutôt bien échappé aux ravages du temps. Il n'était pas tout neuf mais se tenait encore, sentait bon le vieux papier un peu poussiéreux et les souris avaient oublié de le grignoter. Je m'assis en tailleur et dépliais la couverture doucement. Il s'agissait d'un manuscrit, écrit d'une belle écriture soignée, à l'encre noire encore très nette, à peine légèrement passée par endroits. Le titre me ravit ! "Mon voyage au bout du monde".
Je commençais ma lecture et très vite fut plongé de cette épopée merveilleusement écrite. J'ai tout lu d'une traite ! L'auteur racontait un "voyage" dont le souvenir remontait à sa petite enfance, aux environs de sa cinquième année.
Il habitait alors une petite maison, mais dotée d'un jardin immense, un jardin parcouru de haies qui formaient comme un labyrinthe, orné de quelques arbres fruitiers et de lourds massifs de fleurs. Il avait décidé d'en chercher le bout et cela lui avait semblé une extraordinaire aventure. Les haies étaient basses mais il n'était pas très grand lui-même, et il se retournait fréquemment pour apercevoir la maison, ce qui le rassurait (et accessoirement lui donnait la direction puisqu'il allait à l'opposé). Il se sentait tout à fait capable de se perdre, et il n'était pas certains qu'on l'entendrait crier, puisque tout le monde était à l'intérieur de la bâtisse.
Oh, certes, il ne rencontra pas de monstre inimaginable, n'essuya pas de tempête surnaturelle et n'eut même pas à vaincre de dragon pour arriver jusqu'au mur qui délimitait la propriété ! Mais lorsqu'il l'escalada pour s'assoir dessus, il s'imagina être arrivé au bout du monde et cette pensée le remplit de fierté. Il avait vaincu le jardin et cela lui donnait un large sourire.
Bien sûr, j'aurais sans doute préféré découvrir une carte au trésor qui m'eut réellement emmenée jusqu'au bout du monde !
Mais j'ai surtout compris ce jour-là que le bout du monde se trouvait juste au delà de la limite qu'on donnait à notre monde. Et que l'atteindre ne serait jamais possible puisqu'il reculait chaque fois un peu plus.
Ce qui n'empêche nullement de le chercher, bien entendu ! Et c'est pourquoi je suis devenu explorateur...