Hérédité chargée (Adrienne)
Mon grand-père souffrait de coprastasophobie. S’il n’avait pas pu s’alléger d’un grand poids, au plus tard vers les dix heures du matin, il lui fallait quelques cuillerées de graines de psyllium dans sa soupe à midi. En vacances, la première phrase du jour était le rituel « j’ai bien su aller, ce matin, je suis en pleine forme »
Ma grand-mère Adrienne était si cancérophobe qu’elle n’osait même pas prononcer le nom de cette maladie. Mais la vierge Marie qu’elle priait tant s’est montrée bonne et l’a fait mourir du cœur. Comme sa propre mère et tous les frères et sœurs du côté maternel.
Ma mère a toujours été gravement rypophobe.
Il y avait la « loque » pour enlever les poussières des meubles, le
« chiffon » doux pour le marbre rose de Belgique, les peaux de
chamois, les plumeaux, les brosses dures pour récurer la cuisine, les
« raclettes » de deux tailles différentes... Sa rypophobie s’est
augmentée d’une sévère trichophobie depuis ce jour de 1981 où un premier chat
est arrivé chez moi. « Là, là… tu vois là ? Il y a un
poil ! Ramasse-le ! »
Ou serait-ce de l’ailurophobie ?
Mon père était capitellophobe. Avant son anniversaire, la nouvelle année ou la fête des pères, il nous prévenait toujours de ne rien lui offrir. S’il nous arrivait d’outrepasser, nous le mettions dans l’embarras, même si nous étions sûrs que ce cadeau lui plaisait. Il détestait être au centre des regards et ne trouvait pas les mots ou l’attitude qui convenaient pour remercier.
En punition de son alopophobie, mon frère est devenu chauve lui-même avant ses trente ans. Un peu comme cette pognophobe dont je ne dirai pas le nom qui déclarait haut et fort « jamais un barbu ne rentrera dans ma maison ! » jusqu’au jour où son propre petit-fils s’est laissé pousser la barbe.
Ma grand-tante Maria avait toujours peur pour son lustre, ses miroirs ou ses vitres quand on faisait sauter un bouchon de champagne. Heureusement pour nous, sa placomusophobie ne l’empêchait pas de mettre des bouteilles au frais pour le premier janvier, car son amour des bulles était plus fort que sa peur du bouchon.
Etc., vous avez compris, très certainement, sans que je vous parle encore de l’aquaphobie de mon oncle qui s’était pourtant offert un appartement à la mer ou de cette ancêtre couturière qui avait peur des aiguilles (achnophobie).
Oui moi, je le confesse, j’ai du mal à décider ce qui me rend le plus nerveuse, la vue de drapeaux (vexillophobie), trois personnes dans un ascenseur (claustrophobie), le cinquième échelon quand je nettoie les corniches (acrophobie), le soleil sur ma peau même avec un facteur 30 sous un parasol (héliophobie), une visite à la Chapelle Sixtine (ochlophobie), les vipères en Haute-Loire (ophidiophobie), les odeurs corporelles dans le métro parisien en fin de journée (bromidrophobie) ou les décibels quand je vais à une fête organisée par mes élèves (akousticophobie).
Mais je suis très copine
avec les araignées, les poules et les souris, même dans le noir