Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le défi du samedi
Visiteurs
Depuis la création 1 052 848
Derniers commentaires
Archives
13 février 2016

Un autre souffle (Clémence)


Depuis une année déjà, les dates des deux festivités maritimes étaient retenues.

Jeudi midi, tous les propriétaires des pointus et leurs accompagnants étaient réunis sur le quai. Grande discussion . Il fallait décider de l'heure du départ groupé. C'est un spectacle grandiose quand une armada de pointus, toutes voiles dehors entre dans un petit port méditerranéen.

Nouvelle venue dans cette association, j'allais naviguer avec deux amis sur un pointu de 9 mètres.

15 heures, le départ dans la joie sous un ciel bleu, un vent léger.
Nous devions partir en dernier . Je ne me souviens plus de la raison invoquée.

16 heures, nous étions toujours à quai. Nous attendions un retardataire.
Le ciel se couvrait, le vent se levait. Je voyais les mines soucieuses.
Pierre arriva et largua les amarres. Nous fîmes de même.
A peine installée, je fus prise de nausées, mais je crânais. Je ne voulais pas passer pour une mauviette, même si mes deux amis savaient que j'étais une vraie « terrienne ».

Le ciel était de plus en plus sombre, le vent de plus en plus fort.
Nos regards se portaient tour à tour vers le large et vers les côtes escarpées.
Le pointu de Pierre tanguait et gîtait devant nous. Vagues et houle. Un signe de la main. Tout va bien. Nous tenons bon.

Nous avions les yeux rivés sur les flots, nous ne nous aperçûmes pas immédiatement que Pierre ralentissait.
Quelques minutes plus tard, il fut derrière nous et la distance se mit à croître.

Mes amis, en alerte, l'interpellèrent. Le vent emporta les paroles. Seules les mimiques traduisaient les difficultés.
Les vagues se bousculaient, j'étais accrochée au plat bord, le cœur au bord des lèvres. Je grelottais. Je me fis toute petite car je savais que je serais inutile, voire  une gêne.

Notre bateau changea de cap. Nous virons et partons à la rencontre de Pierre. Notre embarcation tournait autour de la sienne, avec précaution. L'information nous parvenait , hachée par le bruit du vent et de notre  moteur.

Les téléphones portables entrèrent en jeu. Entre les deux bateaux et  entre les Sauveteurs en mer. Les informations  se croisaient et se contredisaient.

Nous continuions de tourner autour du pointu de Pierre. Lui, dérivait dangereusement. Il fallait à tout prix lancer une amarre.

Un de mes amis hurla : « Il va se fracasser sur les rochers ».

Ma panique était au maximum. Mon estomac ne résista plus. Je me penchai par dessus-bord.

Pierre attrapa l'amarre.
Étrangement, le vent retomba.

Je me mis à crier. Un méli-mélo de plastiques et de cordes filait droit vers l'arrière de notre bateau, menaçant l'hélice. La gaffe entra en jeu, à temps.

Publicité
6 février 2016

Le secret brisé (Clémence)


J'étais jeune et je venais de rejoindre la prestigieuse équipe de tournage de Luchino. Et j'éprouvais une fierté sans limite.
Je dus quelque peu déchanter  lorsque nous arrivâmes sur le lieu du tournage après un voyage particulièrement difficile.
Le paysage était d'une beauté à couper le souffle, mais je ressentis une sombre frayeur.
L'équipe très unie, ne voyait pas d'un très bon œil l'intrusion du nouveau que j'étais.

Nous partîmes en repérage dès le matin.
Le site était magnifique et étourdissant à la fois. A la hauteur de la folie de son créateur.
Mon malaise ne parvenait pas à s'effacer pour autant.

Le soir, je proposai à l'équipe de nous retrouver dans une brasserie de la ville la plus proche.
L'idée de « briser la glace » fut accueillie avec une joie discrète.
Au petites heures, j'en fus convaincus, j'étais des leurs.

Le lendemain après-midi, nous étions prêts pour tourner les scènes dans la salle à manger.
Celle-ci était éblouissante par ses rouges et ors, invraisemblable par son rococo délirant.
L'espace était assez restreint et lors d'une manipulation hasardeuse, la perche heurta le miroir.
Une gigantesque étoile le zébra, mais il tint bon dans son cadre d'or.

Les négociations furent interminables et houleuses entre tous les intervenants.
Finalement, il fut décidé de laisser le miroir en état.
Cet incident ferait partie de la légende du château de Linderhof.

* Luchino Visconti. Ludwig, le crépuscule des dieux . 1972.

 

 

30 janvier 2016

A quoi bon? (Clémence)


C'était un petit village tout endormi au coeur des Ardennes. Prêt à tomber dans l'oubli. Le glas sonnait plus souvent que le carillon. Et pourtant, un événement  allait le sortir de sa torpeur.  Le projet d'un amoureux fou de livres.

Le village se réveilla et s'ébroua. Les habitants ouvrirent les portes des granges et des appentis.
Les livres entrèrent dans la danse par milliers, surgissant  des cartons et s'étalant sur d'antiques étagères et des tréteaux.
Je me rendis au village et partis à la conquête des librairies. Je fus vite prise d'un étrange tournis littéraire. Tous les genres  étaient mêlés ! Je tentai une dernière visite. Quelques panneaux de carton incitaient le visiteur à serpenter d'une pièce à l'autre. J'obtempérai puis regagnai la sortie. Sur le comptoir  bancal, un livre attira mon regard.
Couverture beige, titre en lettres rouges, un prix dérisoire sur la première page. Je sortis mon porte-monnaie et fourrai le livre dans mon sac.

Le soir même, je commençai la lecture . Je savourais, je me régalais, je dévorais. A l'instar du héros, parvenu à l'avant dernière ligne, je murmurai : « A quoi bon ? »

Je pris mon crayon et écrivis  rapidement sur la première page: « Je le veux au féminin ». Je ponctuai de trois traits horizontaux, sans réplique.

Trois mois plus tard, j'entrai dans la vie active. Une quinzaine d'années de fonctionnariat en province. Et puis, par le plus grand des hasards, je fus prise dans le tourbillon des missions à l'étranger auquel s'ajoutèrent de grands chambardements sentimentaux.
Ce mode de vie m'amena à réduire mon bagage, à ne garder que l'essentiel. Essentiel dont faisait partie ce livre. Il m'accompagna et réalisa l'exploit d'un tour du monde.
Jusqu'au jour où, ayant atteint le seuil de ma retraite, je l'abandonnai lâchement.

Le temps était venu pour moi de faire ce que je voulais, comme je le voulais, si je le voulais. Je me posai  dans le Midi et fis quelques brocantes pour meubler sobrement le vieux mas.
Le jardin devint une passion dévorante.
Jusqu'au jour où je répondis à l'invitation d'une ancienne connaissance. Une semaine à Porto.

Mon ultime promenade passa par la Rua das Carmelitas où la Livrario Lello ouvrait ses portes et offrait ses splendeurs et curiosités.
Poussé par la mienne, j'y entrai et pris plaisir à muser dans les allées, à me faufiler d'une salle à l'autre, à plonger dans l'atmosphère du haut de l'escalier majestueux. Dans une encoignure, une table minuscule. En équilibre instable, au sommet d'une tour de livres  il attira mon attention. Je m'en saisis : couverture beige, écornée, traversée d'un titre en lettre rouges.

Je l'ouvris et lus sur la première page : « Je le veux au féminin »

Une  autre main compléta, d'une écriture hachée :  « Une folie »

Clémence.


L'Homme pressé – Paul MORAND – Gallimard  38° édition - 1941.

16 janvier 2016

Abracadabra…. (Clémence)

La veille, ils avaient tout vérifié et introduit leur destination dans le GPS de leur voiture. Quelques minutes après minuit, ils fermèrent la porte de l'appartement, casèrent leurs valises dans le coffre et un panier pique-nique sur le siège arrière. La nuit et la route étaient à eux.

Première pause à trois heures.

Le silence régnait dans le véhicule, lui perdu dans les méandres de la conduite responsable, elle dans les ruelles des petits villages escarpés.

Deuxième pause aux petites heures.

Après avoir avalé un café et un croissant, ils étaient dans une forme éblouissante. Ravis de ce qui les attendait. Ils avaient tant espéré ces jours d'évasion !

 

Le bleu nuit avait cédé sa place à l'heure bleue et la lumière dorée ne tarderait plus à illuminer leur route.

 

Tout à coup, elle fronça les sourcils. Il pinça les lèvres.

- On dirait que quelque chose d'étrange se passe, dit-elle doucement.

- Mmm, il me semble aussi.

- Une idée ?

- Pas vraiment….

- J'ai l'impression d'avoir déjà vécu cet instant, dit-elle en croisant ses bras.

- Pas possible, tu le sais bien.

 

Les minutes s'étiraient en développant une impression de torsion. Elle frissonna et jeta un pull sur ses épaules et lui demanda s'il voulait le sien aussi. Il refusa.

 

- Il manque quelque chose, s'écria-t-il brusquement.

- La moitié de la route ?

- Mais non, c'est autre chose. Quelle heure est-il ?

- Huit heures trente , du matin.

- Et alors ? Nous sommes en été, et le soleil se lève à….

- Vers les six heures, dit-elle en terminant sa phrase en point d'interrogation.

- Zut… il est huit heures trente et une, le ciel est d'un bleu d'azur et le soleil n'est nulle part….

- Nulle part, c'est exact, ponctua-t-elle en se retournant. Mince alors. T'as une explication ?

- …..

- T'as une explication, toi ? répéta-t-elle.

- C'est à cause de tous leurs exercices, gronda-t-il en frappant le volant.

- Ah, de qui ? Des scientifiques ?

- Non… les autres ! Bien plus dangereux, bien plus subversifs !

- Tu me fais peur… explique….

- Les intellectuels…

- Mais ils ne s'en prennent pas au soleil, les intellectuels. Ils n'ont que des mots au bout de leurs doigts, dit-elle en souriant.

- Les intellectuels, je confirme. Avec leurs idées. Regarde bien, dit-il en tendant son index vers le pare-brise.

- Je ne vois rien….

- Regarde bien, là, devant toi. Ils ont placé un point d'interrogation. Et comme par hasard, le point du point d'interrogation cache le soleil. Voilà pourquoi il a disparu…

- Ça se peut, cela pourrait être l'explication, mais… Mais pourquoi ils feraient cela ?

- Les intellectuels du samedi sont terribles, je peux te l'affirmer. Ils ont des défis déboussolants…

- Tu veux rire ? Par exemple, imaginer pourquoi le soleil a disparu! Et tu vas leur répondre quoi ?

Il tourna légèrement la tête vers elle, caressa sa joue et continua, très sérieux:

 

- Je vais faire simple ! Je vais leur répondre que le soleil s'est barré car il en avait marre d'entendre :

- Quand est-ce qu'on arrive à la mer ? Je veux faire des châteaux de sable…

- Quand est-ce qu'on arrive à la plage ? Je veux bronzer couleur caramel…

- Quand est-ce qu'on arrive à la montagne ? J'ai hâte de faire du ski…

- Quand est-ce que la pluie va s'arrêter de tomber ? Je voudrais faire sécher le linge au vent...

- Quand est-ce que le soleil va faire blondir les blés ? J'ai besoin d'une bonne récolte...

- Quand est-ce que le soleil a rendez-vous avec la lune ?

- Pourquoi il est jaune, le soleil. Quand est-ce que le soleil sera noir, vert ou rouge ?

 

Alors, je crois que le bonhomme, de temps à autres, il a envie de voir la neige fondre au soleil . Il a envie d'enfiler un bain de soleil, de s'allonger sous un soleil de plomb, quitte à prendre des coups de soleil.

Puis, un cocktail aux fruits exotiques entre ses rayons, admirer enfin son coucher en guettant le rayon vert !

 

 

 

9 janvier 2016

Entrez dans la danse (Clémence)

Elle avait annoncé sa venue tout en douceur. Des frissons, des frémissements, un engourdissement, des grondements, des déchirements et puis tout à coup, une sérénité absolue. Comme en apesanteur. La musique atonales des longues conversations était un bercement paisible, bien que certaines inquiétudes crissaient déjà de leur bémol. Les jours avaient laissé leur place aux semaines, celles-ci s'empressèrent de céder le pas aux mois.

 

Une nuit, l'orage se déchaîna. Arrachements, étouffements et douleurs. Un éclair, un cri.

De longues arabesques bleutées, elle est là, toute menue. C'est le printemps, le printemps du monde, le printemps de sa vie.

 

Mais déjà, elle danse, de bras en bras. Elle danse de ses premiers pas, elle danse de ses premières courses. Elle danse et les autres entrent dans sa danse.

C'est le temps de l'insouciance, c'est le premier temps de sa vie, celui où elle est le centre du monde.

 

Danser puis courir. Sauter à pieds joints dans la cour de récréation. La ronde des comptines et des crayons de couleurs. Les arcs-en-ciel d'aquarelle, les soleils oranges et les lunes bleues.

La course arrive, au galop pour les garçons, en rondes pour les filles. Les ballons de foot et la balle au chasseur.

Les sucres d'orge et les berlingots pointus.

Les premières promesses. Les premières déclarations, les premières déceptions. Les premiers toujours, le premiers jamais.

 

Danser, courir, puis se mesurer !

Les superlatifs, les absolus, les extrêmes. Les défis, les paris.

La tête plus haute que les étoiles, la tête remplie de tous les possibles.

Oui, elle rendra le monde meilleur. Certes, elle ne reproduira pas les mêmes erreurs.

Elle n'est plus le centre du monde, elle est le monde.

La toile est son univers.

 

Elle a des millions d'amis, mais elle se sent si seule. Avec les factures, les premières fractures.

Un bout de rêve s’effiloche, un pan de vie s'effondre.

Retour à la vraie vie.

Pas celle du bonheur absolu, mais celle des petits bonheurs et des petites joies qui se succèdent.

Pas celle du malheur absolu, mais celle des petites peines, des petites douleurs qui s'amassent dangereusement.

Fragile équilibre a reconquérir chaque matin, à consolider chaque soir.

 

Telle une horloge géante, Chronos devient chronophage, dévorant tout sur son passage.

Les il faut remplacent les j'aimerais. Les tu dois remplacent je choisis.

Les impératifs commandent au présent sous la menace d'un futur cataclysmique.

Danser sur un fil.

Courir dans son couloir,

Toujours plus vite.

Le temps aux trousses !

 

Quel rythme d'enfermement. Trouvera-t-elle la faille ? La toute petite faille par laquelle elle glissera, une main, une pointe de pieds, un bras en arabesque.

 

Retrouver les volutes bleues de la lenteur.

Publicité
<< < 1 2
Newsletter
Publicité
Le défi du samedi
Publicité