de retour (Poupoune)
Au moment où le réveil a sonné, j'ai regretté d'avoir accepté ce voyage.
Ecrasée de chaleur malgré l'heure matinale, j'étais comme collée au matelas par la sueur. Entre le ronron lancinant du ventilateur qui ne servait qu'à brasser un peu d'air chaud et un moustique tenace que je n'avais pas réussi à tuer, je n'avais pour ainsi dire pas dormi.
Je me suis extirpée du lit avec lenteur, comme dans du coton, le moindre de mes gestes nécessitant un effort dans la moiteur de cette chambre d'hôtel miteux.
J'ai essayé de me rafraîchir sous le fin filet d'eau qu'offrait la douche, mais en vain. A peine sèche, j'étais de nouveau humide de sueur. J'ai enfilé une robe légère, noué mes cheveux sur ma nuque et je suis descendue déjeuner.
Je me suis installée au bout d'une grande tablée de touristes fraîchement débarqués avec qui j'ai échangé quelques mots polis et je me suis forcée à manger un peu de pain sec et de beurre rance, que j'ai fait passer avec du mauvais café.
Je n'arrivais toujours pas à comprendre ce qui m'avait poussée à accepter de venir... Dix ans avaient passé et je m'étais juré de ne jamais remettre les pieds ici. Il avait pourtant suffi d'un coup de fil.
J'ai décliné les offres de chauffeurs de taxi plus ou moins autorisés qui se proposaient de m'emmener à peu près n'importe où et je suis partie à pieds.
Dix ans, mais rien n'avait changé. Les routes poussiéreuses, les trottoirs inexistants ou défoncés, les étals de viandes côtoyant ceux de vis, boulons et autres écrous graisseux, la cahute branlante du coiffeur adossée au maquis où l'on n'est jamais sûr de trouver une boisson fraîche... et le bruit, le monde, l'effervescence, malgré le poids écrasant d'un soleil déjà de plomb.
Dix ans, mais je n'avais pas oublié le chemin du commissariat. Je croyais avoir pourtant réussi à tout oublier de cette histoire, mais à peine avais-je entendu l'écho caractéristique quand j'avais reçu l'appel que tout m'était revenu. Notre décision précipitée de partir, la préparation hâtive du voyage, notre arrivée et nos premiers déboires à la douane, qui n'avaient entamé ni notre bonne humeur ni notre soif d'aventure. Et puis ce fameux jour où on était partie chacune de son coté... on devait se retrouver à l'hôtel. Je ne l'ai jamais revue.
Ça avait duré des semaines. Chaque jour je m'étais rendue au commissariat, j'avais raconté mon histoire des centaines de fois, passé des heures, dégoulinante de sueur dans une pièce où il devait faire cinquante degrés, à ne reconnaître personne sur des centaines de mauvaises photos qu'on me montrait, rien. J'avais cru que je ne rentrerais jamais, mais les flics avaient fini par me laisser repartir, en promettant de me contacter s'ils avaient du nouveau.
Dix ans.
La communication avait été très mauvaise, mais j'avais compris qu'ils voulaient que je revienne.