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Le défi du samedi
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22 mai 2010

Archéo-bidule (Poupoune)

Une histoire de dingue.

 

J’avais à peu près tout envisagé, mais ça… Bien ma veine, tiens ! Ce con de clébard qui m’avait jamais servi à rien pendant toutes ces années, et voilà qu’à ça de crever enfin, il avait fallu qu’il fasse le premier effort de sa vie et aille déterrer cette saloperie d’os au fond du jardin ! Et tu crois qu’c’est à moi qu’il l’aurait rapporté ? Douze ans que j’le remplis d’pâtée et d’croquettes et ça a même pas la reconnaissance du ventre, ces foutues bestioles ! Il est allé direct chez l’voisin poser sa trouvaille sur son paillasson. En échange d’un sucre. Un sucre ! Douze ans d’croquettes, UN sucre. Pis il est pas allé chez l’voisin que j’suis pote avec, hein, non… il est allé chez l’nouveau, çui qui m’regarde de haut derrière ses lunettes, avec son foulard… Quand il est arrivé, avec mon pote on l’a invité au premier match de n’importe quoi qu’y a eu à la télé, pour descendre des bières et manger des pizzas, mais il est venu avec un genre de gâteau de fiotte pour le dessert et une bouteille de pinard… du blanc ! Un gâteau d’tarlouze et du jaja d’gonzesse ! Pis il est pas resté longtemps parce que soi-disant que j’sais pas quoi, mais j’crois surtout qu’il voulait pas trop s’mélanger, quoi… Alors on y a fait un peu la conversation quand même, mais surtout pour se foutre de sa gueule. Le mec, on y d’mande son métier, et v’là qu’il nous sort de l’archéo-j’sais pas quoi et qu’avant qu’on ait l’temps d’se moquer il nous balance du « comme Indiana Jones ! », comme si on savait pas c’que c’était un archéo-truc ! Alors on l’a plus invité, hein…

 

Et ce connard de clebs qu’est allé poser l’os de MON jardin sur SON paillasson ! J’ai pas eu l’temps d’réagir que l’archéo-chose avait d’jà fait main basse sur mon os. C’te poisse, quand même ! Un vrai putain d’os de dinosaure dans MON jardin, tu l’crois, ça ? De quoi plus que largement rembourser douze ans d’boîtes de ce satané clébard, et lui il a fallu qu’il aille le coller sur le paillasson d’la chochotte archéo-mon cul ! J’te raconte pas l’bordel qu’ça a été… Une colonie d’scientifiques et d’journaleux prêts à prendre mon pauvre bout d’jardin d’assaut ! J’ai dû batailler ferme pour les maintenir à l’écart le temps d’m’arranger… Pas une mince affaire ! L’a fallu faire intervenir des avocats, rapport à mon jardin qu’est à moi et que j’voulais pas qu’ils me l’mettent en vrac pour un putain d’dino mort ! Pis c’était surtout histoire de gagner du temps et de tirer un aussi bon prix que possible de mon jardinet avant d’mettre les bouts. J’ai trouvé un genre d’allumé d’la préhistoire qui m’a filé une vraie fortune et zou, je m’suis carapaté, sans c’putain d’cabot qu’était venu foutre la merde dans mon train-train.

 

La suite, je l’ai suivie de loin, depuis mon bungalow sur la plage… ça, des os, on peut dire qu’ils en ont trouvés. Pas un seul autre du soi-disant dinosaure, mon archéo-trouduc de voisin était apparemment pas un crack, mais tous les autres. Ils ont pas identifiés encore tous les corps. J’leur enverrais bien une carte pour leur dire, mais je voudrais pas risquer qu’ils me retrouvent ici… Je m’y suis bien habitué, finalement, à ma vie de glandeur de plage.

 

Le sable, c’est un peu pourri pour enterrer mes victimes, mais la mer, avec les courants qu’y a dans l’coin, c’est nickel ! J’bazarde les corps un peu au large et y en a encore pas un dont j’ai entendu reparler.

 

Des fois, j’culpabilise un peu d’avoir laissé l’clebs à l’archéo-raté, parce que finalement, tout ça, c’est quand même bien un peu grâce à lui.

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15 mai 2010

Où l'on ose et abonde (Poupoune)

 

Bon sang ! C’est donc pour ça que ce crétin pue des pieds ? Mais alors… alors… la mauvaise haleine de sa mère… n’était-ce pas qu’elle lui léchait les pieds ? Etait-ce vraiment à cause de ce foutu frometon ? Damned… et moi qui l’ai répudiée avant de condamner son benêt de fils à l’exil !

8 mai 2010

tri angulaire (Poupoune)

Trois, dans une histoire d’amour, c’est forcément un de trop. Et il est hors de question que je m’efface cette fois-ci, j’ai droit moi aussi à ma grande histoire. Alors j’ai éliminé le plus faible. Il sera toujours bien temps d’en refaire un, de gosse.

Y

Trois, dans une fratrie, ça implique un enfant du milieu. Cet enfant qui ne fait rien en premier et qui n’est pas le petit dernier. Un mal-aimé par essence. Alors dès que je suis enceinte du troisième, je noie le second, pour pas risquer d’être une mauvaise mère.

YY

Trois, dans le cas de ta mère, toi et moi, c’est même pas une question de choix entre elle et moi. Tu restes avec qui tu veux, mais de toute façon à trois je lâche l’allumette sur ses fringues imbibées d’essence.

YYY

24 avril 2010

au train où vont les choses… (Poupoune)

C’est pitié d’voir ces rails à l’abandon. Vrai, ça m’crève le cœur… j’suis pas réfractaire au progrès, hein, faut pas croire, mais quand même, une bonne vieille micheline, ça t’avait une autre allure que leurs foutus TGV qu’on sait même pas par où ils passent vu qu’on n’en a jamais vu un par ici… Non, sûr, c’est plus pareil. Et puis avant, on a beau dire, le métier tenait un peu de l’art, de la science même… Fallait pas s’louper ! Déjà il en passait pas tous les quarts d’heures, des trains, alors fallait bien choisir son moment. Et puis c’était pas l’tout : fallait encore positionner, surveiller… Non, parce que si tu faisais pas gaffe, tu pouvais te r’trouver à courir après ton paquet sur des kilomètres sans qu’il s’passe rien ! Si t’avais la chance de l’récupérer, t’avais plus qu’à tout recommencer, mais sinon t’avais gagné des semaines de planque en attendant qu’ça s’tasse. Non, y a pas à dire, c’était autrement plus compliqué… et puis au moins t’avais le plaisir du travail bien fait, quand une fois ficelée et positionnée soigneusement sur les rails ton affaire se réglait bien comme il faut… On était des artisans, de mon temps ! Alors que de nos jours, ils se posent plus de questions : un gus qui prend un TGV dans la gueule, tu peux l’retrouver répandu sur des kilomètres, mais vivant, jamais, aucun risque ! Non, c’est sûr, ça dévalorise le métier…

17 avril 2010

selles de crime (Poupoune)

Contrairement à d’habitude, les curieux ne semblaient pas vouloir plus que ça saloper la scène de crime pour voir le macchabée. Et par « curieux », je veux aussi bien dire les badauds et le voisinage que toute la ribambelle d’agents et officiels de tous poils qui ne manquent jamais de venir coller leurs empreintes de pieds et leurs cendres de cigarettes partout, quand c’est pas pire… A l’heure des tests ADN, des fichiers automatisés d’empreintes et des analyses infaillibles de poils de cul et crottes de nez, on croit qu’une enquête se résume à ramasser de la poussière sur les scènes de crime, la mettre dans des tubes à essai et tapoter sur un ordinateur, mais on oublie toujours qu’avant tout sur une scène de crime, y a des gens qu’ont rien à y faire. Bien souvent, le temps que les gars du labo fassent le tri et arrivent à isoler les saloperies qui éventuellement pourraient être en lien avec le crime et pas avec les pollueurs de passage, l’enquête est bouclée. Un jour, comme ça, croyez-moi si vous voulez, il a été retrouvé sur une scène de crime de « la matière fécale », comme ils disent, qui appartenait, tenez-vous bien, à l’épouse du premier inspecteur arrivé sur les lieux. Et elle a été très vite innocentée. Elle avait simplement laissé traîner par mégarde un peu de merde sur son mari qui l’avait malencontreusement déposée près d’un cadavre. Allez comprendre…
Mais là, pas d’agitation à proximité des rubans, pas de foule qui passait et repassait dessous et tout le monde se tenait bien sagement à l’écart. Assez inédit. Une bonne surprise. J’ai senti en approchant que ce serait sans doute la seule. Je l’ai vraiment senti, au sens propre. Ça ne sent jamais bon, un cadavre, sauf exception – comme cette fois où le corps avait été camouflé sous des pétales de roses tout frais, camouflage pour le moins saugrenu et surtout raté au fond d’une ruelle pavée – mais là l’odeur était particulièrement âcre et agressive. Et on était encore relativement loin du corps – on ne l’avait même pas encore en visuel. Je suis allée vers l’agent qui semblait surveiller l’entrée, tout en snifant du baume du tigre par pur snobisme. Il était d’usage d’avoir une quelconque solution mentholée dans les poches pour qui bossait en contact fréquent avec la mort, mais le baume du tigre, c’était juste pour me la péter un peu. J’en avais ramené un stock d’un voyage en Thaïlande des années plus tôt, mais je me contentais de le sniffer alors mon stock était intact et les gens pensaient que j’arrêtais pas de voyager en Asie… ou chez les frères Tang.
J’ai demandé à l’agent – qui s’était carrément rempli les narines de coton imbibé de menthol – de me briefer rapidement avant d’entrer :
- Ben… c’est assez… euh… enfin…
- Oui ?
- Cradingue.
- Ah ?
- Oui.
- Mort depuis longtemps ?
- Ben c’est dur à dire, en fait j’ai pas bien vu le corps et…
- Ouais mais bon, à l’odeur…
- Oui, alors en fait, l’odeur…
- Quoi ?
- Ben quelqu’un a… euh… déféqué, en quelque sorte.
- « déféqué en quelque sorte » ?
- Voilà.
- Où ça ?
- Ah, ben… sur la scène de crime.
- Quelqu’un a fait caca ?
- Voilà.
- Rassurez-moi : quelqu’un qui n’a rien à voir avec la police ?
- Ah non ! Quelqu’un qu’a fait avant qu’on arrive !
- Ah…
- Oui.
- Bon. Rien d’autre ?
- Comme ? Pipi ?
- Ou comme « le corps a été découvert par untel », ou « le légiste a été appelé » ou des trucs comme on dit quand on découvre un corps, voyez le genre ?
- Ah oui, pardon… alors personne a découvert le corps, en fait, on a été appelés à cause de l’odeur… et je me renseigne pour le légiste.
- Bien… merci.
J’ai passé les rubans pour accéder à la scène de crime proprement dite. Je me suis refait une sniffette de baume du tigre, ça refoulait vraiment sévère… et effectivement, ça sentait la merde plus que la mort. Maintenant je me rendais bien compte. J’ai poussé la porte…
Quelle chierie ! De la merde par-tout ! Du sol au plafond, étalée sur les murs, en tas de-ci de-là et en quantité autour, sur et sous le corps. Au moins on aurait de l’ADN et probablement une idée assez précise de tout ce que le chieur aurait mangé ces… combien ? huit ? dix ? quinze derniers jours ? En tout cas, notre assassin avait une sacrée chiasse. Ou alors il avait préparé longuement sa mise en scène… à moins qu’on ait affaire à toute une bande de tueurs chiatiques. Le légiste, en arrivant pendant que je replongeais le nez dans mon baume du tigre, a très bien résumé le fond de ma pensée :
- Et ben… on n’est pas dans la merde !
J’ai commencé à ricaner bêtement et je comptais répondre par une réplique au moins aussi fine, mais quelque chose m’a attiré l’œil et mon bon mot est resté à l’état de bonne intention. Un coup d’œil au légiste a confirmé que j’avais bien vu ce que je croyais avoir vu. Son expression s’était figée entre le sourire et l’étonnement.
- Il est… ?
- Ouais.
Notre cadavre respirait.
Perspicace, l’agent qui avait alerté la Crim’ et le légiste. J’ai sorti mon téléphone pour appeler l’ambulance en invitant d’un geste le légiste à s’approcher du merdeux. Après tout, c’était lui le médecin, hein. Je me suis approchée aussi, il fallait bien le questionner s’il était conscient, et il a semblé se réveiller… je lui ai demandé ce qui s’était passé et il a répondu :
- Y a plus de papier.
Une affaire vite torchée, en somme.

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10 avril 2010

craqueuse d’hommes (Poupoune)

Les hommes ont cette amusante habitude de sortir de ma vie sans dire au revoir. Et comme ils ont été très peu nombreux à se donner la peine d’y entrer, je peux m’autoriser la généralité.

On ne peut pourtant pas dire que je garde la porte jalousement fermée ou que je sois particulièrement regardante sur les droits d’entrée, mais du hall de gare je n’ai gardé que les pas perdus : ni la foule, ni les adieux larmoyants et encore moins ce fameux train qui serait le seul à ne pas m’être passé… bref.

Les hommes de ma vie sont là un jour, très présents, aimants, enivrants, envahissants même, parfois, mais j’aime ça, quand on n’a pas la quantité on cherche l’intensité, et le jour d’après, pfffuit, plus personne. Et démerde-toi avec le courant d’air.

Les sorcières changent les princes en crapauds, les fées leur bricolent des princesses avec une souillon, deux rats et une citrouille et moi, je les fais disparaître… pfffuit.

 

2 avril 2010

Centé (poupoune)

Cent. T’rends compte, Gégé ? CENT ! Et combien d’arrosés ? Hein ? Combien, à ton avis ?... Dis un chiffre… Combien tu dirais ? Allez, combien ?... Tu vois, t’en sais rien. Moi non plus… J’dirais quelques-uns mais j’suis sûr d’en oublier. Si ce n’est plus. Non, c’est pas respectueux… Cent, quand même… du coup, tu vois, y a pas moyen, c’est obligé. O-bli-gé. Faut arroser. Les cent d’un coup. Obligé sinon c’est manquer de respect… et moi vivant il sera pas dit que j’aurai pas arrosé le centième défi comme il se doit. Foie de MacDermott.

29 mars 2010

sans ? (poupoune)

Cent mots, sans maux ? Cent mots sans sang, donc… ou cent maux sans mots ? Cent maux sans sang avec cent mots, peut-être ? Ou cent sangs sans maux en cent mots ? Cent mots de sang sans maux, plutôt. A moins que le sang des maux sans mots ne sente l’essence… Non, je sens cent maux et mon sang s’enfièvre en pensant à ce sang innocent de cent maux qu’encensent cent mots. Je pressens cent maux puissants pour cent mots absents. Mais cent mots sans sang et sans maux doivent-ils censément avoir un sens ?

27 mars 2010

tombée sur un os (Poupoune)

Pour enrichir la collection merveilleuse des trésors du musée imaginaire, j’ai voulu vous offrir, sans les dénaturer, les plus beaux rêves et les plus belles images que j’ai stockés dans cette case de mon cerveau où le fantasme rejoint la réalité pour créer le monde mirifique dans lequel je me plais à faire semblant de vivre.

Je voulais vous faire partager mes souvenirs les plus intenses que le temps ne manque jamais d’embellir à mesure que la vie s’enlaidit. Je voulais vous décrire ces amours passionnées autant que solides qui emplissent mes espoirs et mes désirs et se font d’autant plus exaltantes que le cœur s’assèche. Je voulais vous donner à voir toute la beauté que mon esprit peut produire avec des morceaux de réalité agrémentés de chimères d’autant plus extraordinaires que l’existence s’affadit.

Je voulais…

Je voulais vraiment… contribuer à ce… beau… musée imaginaire.

Vraiment.

J’ai cherché comment faire… pendant…

Mais il ne faut pas…

Il ne faut jamais…

jamais...

...

pratiquer…

à domicile…

la trépanation.

 

20 mars 2010

l’égreneur a un grain ? (Poupoune)

Quand je l’ai rencontré je l’ai pris pour un farfelu, un doux dingue inoffensif. Il était assis, emmailloté dans une dizaine d’épaisseurs de gros pulls en laine qui s’effilochaient tous plus ou moins et, de ses gros doigts aux ongles noirs qui dépassaient d’épaisses mitaines, il transvasait, grain par grain, un petit tas de sable d’un pot à un autre. J’ai posé une pièce dans un de ses pots en lui souhaitant bonne soirée et il a gueulé :
- Eh ! Oh ! Ça va pas ?
- Pardon ?
- Ben virez-moi ça d’là !
- Ah… vous ne faites pas la manche ?
- Non ! Enfin… un peu, mais faut pas m’mettre des trucs dans mes bols !
Il continuait avec son sable, comme s’il comptait les grains. J’ai repris ma pièce.
- Vous ne la voulez pas alors ?
- Si, si… donnez. Merci.
Il a fourré ma pièce au fond de sa poche, tout en continuant à passer ses grains de sable d’un bol à l’autre de son autre main. Il était tellement absorbé par sa tâche, tellement minutieux et précautionneux dans ses gestes, que je n’ai pas pu m’empêcher de le questionner :
- Je peux vous demander ce que vous faites ?
- Ben ça s’voit pas ?
- Euh… vous comptez les grains de sable ?
Il est parti d’un grand rire étonnamment clair avant de me répondre :
- N’importe quoi ! Z’avez idée du nombre qu’il y a ?
- Euh… non. Beaucoup, j’imagine. Mais alors… que faites-vous ?
- J’égrène.
- Vous égrenez ?
- J’égrène.
- …
- Le temps, M’dame ! J’égrène le temps ! J’suis l’égreneur du temps !
- Ah... Je croyais que c’était du sable.
- Evidemment qu’c’en est ! Le sablier, le marchand de sable… Qu’est-ce que vous auriez voulu qu’ça soit d’autre ?
Ah ben oui. Forcément. Implacable. Il me plaisait bien, le bonhomme. Et il continuait de transvaser ses grains avec une régularité de… d’horloge.
- Et ça fait longtemps que vous faites ça ?
- J’en sais rien. J’vous ai dit, j’compte pas.
- Ah oui. Mais… vous n’arrêtez jamais ?
- Ah ben surtout pas !
- Qu’est-ce que ça ferait ?
- Ben ça arrêterait le temps !
Ben oui…
- Mais c’est un peu monotone, non ?
- C’est l’but !
- Pardon ?
- Ben c’est comme ça qu’ça doit être ! Régulier… monotone !
- Ah ?
- Ben oui, sinon le temps passerait n’importe comment ! Alors faut trouver l’bon rythme et surtout pas l’perdre, sinon c’est l’bordel.
- Et ben… pas simple, hein ?
- Ben non.
- C’est une grosse responsabilité.
- Ben oui.
Il me plaisait de plus en plus.
- Mais comment vous vous êtes retrouvé avec ce… euh… boulot ?
- Le destin, pardi, le destin !
- Ah oui. Le destin.
- …
- …
- Ecoutez, M’dame, j’veux pas vous désobliger, mais là, faudrait qu’j’puisse vidanger.
- Vidan… ah ! oh ! oui, bien sûr… euh… vous voulez que je vous remplace un moment ?
- Me remplacer ?
- Oui, le temps que vous alliez… vidanger.
- Ah… ben… j’sais pas trop, hein. Vous croyez qu’vous saurez faire ?
- Oh, peut-être pas si bien que vous, mais si c’est juste pour un moment…
- Hm… Ben r’marquez c’est pas d’refus, hein. J’pourrai m’dégourdir un peu en même temps, comme ça…
D’un coup je me suis dit que si ça se trouve, il faisait ça, presque immobile, depuis des jours. Pauvre gars ! Il prenait tout ça avec un tel sérieux ! Il m’a fait longuement observer son mouvement, puis m’a observée longuement pour s’assurer que je le faisais « à peu près correctement » et enfin il s’est éloigné, en se retournant plusieurs fois pour vérifier que je le faisais toujours bien. J’ai continué jusqu’à ce qu’il disparaisse au coin et je guettais son retour pour reprendre dès qu’il réapparaitrait.
Il prenait son temps.
Il prenait tout son temps.
Je commençais à me dire que je voulais bien être gentille, mais que je n’allais pas l’attendre des heures pour autant. Et puis… je ne sais pas. Tout ça m’avait semblé rigolo, mais là, ça ne m’amusait plus. C’était… bizarre. Je n’aurais absolument pas su dire depuis combien de temps il était parti, mais ça me paraissait… je ne sais pas. Long. Et quelque chose clochait. Comme si… je ne sais pas. Je me suis secouée et, pour faire passer le temps et la mauvaise impression, j’ai pris un grain de sable que j’ai changé de bol et… non. Impossible. J’ai recommencé… Merde. Comme si la rumeur du vent dans les arbres et des voitures au loin s’était tue et reprenait quand je prenais un grain et… Merde. Et l’autre qui ne revenait pas ! J’ai repris un grain, puis un autre, puis… Pas possible, merde ! Une feuille qui tombait a semblé ralentir sa chute quand j’ai cessé. Elle restait là, comme suspendue dans l’air dans ce silence irréel… j’ai repris un grain, puis… Dingue ! La feuille est remontée ! J’avais pas pris le grain dans le bon bol ! Ah ben merde !
J’ai recommencé dans le bon sens et la feuille a tranquillement repris sa descente. Incroyable. J’ai pensé qu’il fallait que je continue pour donner à l’autre le temps de revenir.
Je saurais pas dire depuis combien de temps il est parti.
C’est que je compte pas, moi. J’égrène.

13 mars 2010

tes dix beers (Poupoune)

Quand le patron nous a renvoyés là-bas pour essayer de comprendre ce qui avait pu se passer, on n’avait pas pensé à ça. Quand on a compris, on est tombés d’accord sans hésiter avec Lucien : on n’avait pas intérêt à le dire. Mais on ne pouvait pas non plus ne pas le dire. Alors j’ai eu l’idée de la lettre, et comme c’est Lucien qu’a merdé c’est lui qui l’a faite.

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6 mars 2010

une et indivisible (Poupoune)

On n’imagine jamais à quel point on est capable d’aimer. Jusqu’au jour où on aime. Sans s’y attendre, presque par mégarde. Et soudain on aime plus qu’on n’a jamais rêvé d’être aimé soi-même. Au point qu’on pourrait donner ses deux bras, ses deux jambes, son cœur, sa vie, son âme. Au point de s’oublier soi-même dans l’amour de l’autre. Au point de ne plus vivre, penser, sentir, espérer, frémir, rêver que par et pour l’autre.

Et c’est comme ça que je l’aime.

Tant et tellement que j’ai même fini par aimer le rose des nœuds dans ses cheveux. Et le rose de ses jupettes à fleurs. Et le rose qu’elle a réussi à me faire mettre sur les murs de sa chambre. Et le rose de ses joues, par-dessus tout. Ses jolies joues rondes que je pourrais passer mes nuits à embrasser, pendant que mes doigts joueraient avec ses petits cheveux fins sur sa nuque. Les yeux clos, je me laisserais bercer par la douceur de son souffle ensommeillé et j’oublierais tout ce qui n’est pas elle en attendant le jour.

Mais il est l’heure. Je dépose sur son front une touche de rouge du bout des lèvres et je quitte sa chambre sur la pointe des pieds pour ne pas faire claquer mes hauts talons. J’ajuste ma jupe pour qu’elle cache la dentelle de la culotte, pas celle de la jarretelle. Je tire sur mon débardeur minimaliste pour laisser apparaître le cœur tatoué sur mon sein. Un coup d’œil au miroir pour retoucher le maquillage… J’ai une sale tête. Mais qui s’en soucie ? C’est pas pour mes jolis yeux qu’ils paient.  

J’adresse une prière muette à la nuit pour qu’on se retrouve toutes les deux vivantes au matin.

Je suis la femme de tous les hommes, mon cul est à tout le monde, mais mon cœur est tout entier à la petite merveille improbable née de mes tristes amours éparpillées.

 

27 février 2010

botte de cuistre (Poupoune)

- Chef ! Chef ! Chef !
- Hm… ?
- Un nouveau macchabée !
- Ah ! Enfin !
- …
- Oui, non… enfin… c’est que je commençais à trouver le temps un peu long, quoi…
- …
- Non… c’que j’veux dire… comment… c’est que…
- …
- Ouais. Bon. On patauge, de toute façon, dans cette saloperie d’enquête… alors un mort de plus ce sera peut-être des indices nouveaux, une piste… et bon, d’un certain point de vue, si on réfléchit bien, c’est pas QUE une mauvaise nouvelle. Enfin pas pour tout le monde, disons. Enfin… vous voyez, quoi… Non ?
- Non.
- …
- …
- OK. Bon, allons-y.
Je m’appelle Olivier. Commissaire Octave Olivier. Tout le monde croit qu’Octave c’est mon nom de famille, mais en fait non. J’enquête depuis deux mois maintenant sur celui que la presse nomme déjà « le tueur au chapeau melon ». Putain d’journaleux… Je leur avais bien dit, de pas le répéter, le truc du chapeau… c’était le « détail secret » qui devait nous permettre de trier le bon grain et l’ivraie, les torchons et les serviettes, les confitures et les cochons, les affabulateurs et le tueur… Mais fort heureusement j’avais pas mis tous mes œufs dans le même panier et j’avais encore des cordes à mon arc ! Et cette fois, c’est pas avec un coup à boire et une promesse de rancard avec la fille de la météo que j’allais leur redonner du grain à moudre, à ses charognes !
C’est que notre meurtrier se contentait pas de poser un chapeau melon sur le sexe de ses victimes préalablement dénudées… Ah ça, non… un vrai détraqué ! Il leur coupait une main, qu’il remettait ensuite soigneusement en place. Tellement soigneusement, d’ailleurs, que la première fois on n’avait pas remarqué… C’est sur la table d’autopsie que le légiste s’est aperçu qu’il manquait un bout à son cadavre. Pour pas avoir d’emmerdes on a prétendu que notre tueur avait dû l’emporter comme trophée, mais du coup les criminologues se sont arrachés les cheveux sur leur profil quand on a fait gaffe et signalé la bizarrerie de la main « recollée » dès la deuxième victime.
Bref. Un drôle de gars, notre tueur… Ah, oui ! Et aussi il éventrait ses victimes. Un détail qui a son importance, si l’on considère que contrairement à la main, qu’il remettait précautionneusement à sa place, il laissait les poitrails de ses victimes grand ouverts et tout en vrac dedans.
Ce nouveau corps qui venait d’être découvert serait sa cinquième victime. En arrivant sur les lieux, un de mes inspecteurs est venu à ma rencontre :
- Ah, commissaire… c’est pas joli-joli !
- C’est jamais joli-joli, la mort, Truche.
J’aime bien faire ce genre de réponses sur un ton un peu sombre, qui pose bien le personnage : j’en ai vu d’autres, je suis blindé, mais pour autant pas indifférent… Bon, bien sûr, ce con de Truche aurait pu choisir mieux que « joli-joli », mais que peut-on vraiment attendre d’un gars qui s’appelle Milo Truche, hm ?
- C’est encore un coup du tueur au chapon rond.
- Melon.
- Hein ?
- Deux…
- Quoi ?
- Rien. C’est pas « rond » mais « melon », le chapeau.
- Ah, pardonnez-moi commissaire, mais mon beau-frère est chapelier à Rennes et il m’a très bien expliqué la différence entre le chapeau rond et le chapeau melon et là…
Pendant ce temps on était arrivés près du corps. Nu, éventré, main coupée et repositionnée, sexe recouvert d’un…
- Merde ! C’est un chapeau rond !
- Oui, vous voyez commissaire, c’est…
- Truche, pourquoi vous m’avez fait venir ?
- Hein ?
- Deux…
- Quoi ?
J’ai pas pris la peine de répondre. J’ai tourné les talons et quitté cette scène de crime sur laquelle je n’avais rien à faire. Cette affaire ne dépendait pas de moi : il s’agissait de toute évidence d’un nouveau meurtre du tueur breton, pas de mon tueur au chapeau melon.

20 février 2010

chromat’hic (Poupoune)

J’ai plutôt le vin gai d’habitude, je rouge joie. Mais ce soir, je suis verte, c’est la honte, j’ai posé une gerbe lie-de-vin sur le trottoir, quel désespoir ! Peut-être dois-je reconnaître humblement avoir bu trop de blanc ? Pourtant le vin de paille, à la paille, m’encanaille et me fait l’âme légère… A croire que mes cheveux gris, plus que de souci, sont signe du temps et que je n’ai plus 20 ans. Qu’à cela ne tienne, fini la vinasse, je repars en chasse : sus aux coups d’cafard, sers-moi un p’tit noir !

13 février 2010

chocolat amer (Poupoune)

Le temps a changé brusquement. Le ciel s’est couvert, on se serait subitement cru en pleine nuit et les premières grosses gouttes ont commencé à tomber.

Les rires des enfants se sont changés en pleurs inquiets et mêlés aux cris des mamans. Le parc s’est vidé en un rien de temps. A l’abri du feuillage dense de l’arbre sous lequel j’avais trouvé refuge, j’observais l’aire de jeu désormais vide et sombre, la balançoire qui grinçait au rythme du vent et le bac à sable qui devenait gadoueux.

J’ai mécaniquement serré la main qui s’est glissée dans la mienne, sans détourner mon attention du spectacle de quasi-désolation qui s’offrait à moi. Au premier coup de tonnerre j’ai resserré ma prise et je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé ainsi, cette main dans la mienne sous un ciel noir et déchaîné. J’ai pris conscience de l’incongruité de la situation quand une petite voix que je ne connaissais pas a dit dans mon dos : « J’ai faim maintenant. »

Je me suis retournée pour découvrir, au bout du bras qui prolongeait la main que je serrais depuis un temps incertain, une toute jeune enfant suçotant un doudou.

Pas d’autre adulte en vue, du moins pas dans le mince rayon que le lourd rideau de pluie permettait de voir. La petite ne semblait pas perturbée, mais elle avait faim et me le fit savoir une nouvelle fois. Je lui ai cédé ma barre de chocolat et, n’écoutant que mon courage et les gargouillis de mon ventre, j’ai couvert sa petite tête de mon blouson, l’ai prise dans mes bras et, bravant la tempête, me suis lancée à la recherche du ou des parents qui l’avaient perdue. Il n’a pas fallu cinq minutes avant que je sois trempée jusqu’à l’os. Il m’a fallu en revanche près de deux heures et un paquet de biscuits au chocolat pour me débarrasser enfin de l’enfant affamée et la remettre à une maman déconfite et reconnaissante. Une demi-heure de plus pour assurer que non, vraiment, ce n’était rien, que ça arrivait à tout le monde et que tout allait bien. Un quart d’heure encore pour enfin regagner mon appartement, me débarrasser de mes fringues détrempées et me préparer un chocolat chaud pour me réchauffer.

C’est en sortant les deux bols pour y verser le breuvage que ça m’est venu d’un coup : qu’est-ce que j’avais bien pu faire de la mienne, de môme ?

6 février 2010

Paul Le Mariol (Poupoune)

Paul Le Mariol était de l’école l’enfant le plus énervant.

Il faisait le malin du soir au matin et voulait impressionner ses copains par tous les moyens.

Un jour qu’il faisait beau, les enfants faisaient du vélo et des jeux rigolos. Arriva Paul Le Mariol, qui fit sa crâne sur sa bécane et dit « moi la forêt épaisse, à fond la caisse, je peux la traverser, les doigts dans le nez ! »

Il pédala à fond, zigzagua entre les troncs et se vautra comme un étron.

Il fut retrouvé blanc comme marbre encastré dans un arbre. On le retira avec force et son visage resta gravé dans l’écorce. A partir de ce jour Paul Le Mariol devint Paulo L’Idiot et son sourire mauvais devint sourire benêt. Dans les bois il ne fait plus de vélo, mais souvent on l’y voit parler aux oiseaux.

On dit qu’encore aujourd’hui, quand ses promenades l’emmènent jusqu’à l’arbre qui lui fit la cervelle en panade, son visage de bois verse une larme en le voyant.

30 janvier 2010

Si me taire... (Poupoune)

Pour la première fois, j’allais enfin pouvoir visiter le fameux cimetière fictif. Le principe ? Un vrai cimetière, avec de vraies tombes et de vraies pierres tombales, de vraies cérémonies, même, pour les jusqu’au-boutistes, mais pas de vrais morts. Le but ? Que les gens tuent fictivement et non plus réellement. Et bien croyez-le ou non, ça a marché.
Comme l’endroit est immense, je commence par une halte auprès du gardien qui me propose un plan et semble tout disposé à me faire la conversation, alors je m’attarde.
- Chaque allée correspond à une catégorie, vous voyez ?
- Comment ça ?
- Ben là par exemple, Allée des belles-mères, c’est là qu’on enterre…
- Les belles-mères je suppose ?
- Bien sûr. Allée des petits chefs, pour ?
- Ben les petits chefs !
- Et les grands patrons. C’était deux faciles, mais vous verrez, y en a des marrantes.
- Allée des anges ?
- Ah… j’aime pas celle-là. C’est pour les enfants.
- Ah.
- Hm. D’un autre coté, hein…
- Oui, sûr. C’est toujours mieux ici… Et Allée du roi des Heaulme ?
- Ah ! Elle est super celle-là ! Vous voyez pas ?
- Euh… non… Ah ! Pour les tueurs en série ?
- Ah ah ! Vous êtes fortiche ! Et celle-là : Allée de Mandragore.
- Hm… ’tendez, hein, me dites pas… euh… mandragore… mandrag… Oui ! Les crimes sexuels ?
- Vous êtes déjà venue !
- Non ! Promis ! Mais la mort, les criminels, tout ça… j’aime bien.
- Ah ?
- Oui, enfin… Bref. Mais c’est pas un peu ennuyeux, un cimetière comme ça ? Pour vous, je veux dire ? Doit quand même pas y avoir souvent des cortèges, par exemple. Des grandes cérémonies, tout ça…. ça doit être plus sympa dans un vrai cimetière, non ?
- Ah ça, je peux pas dire, j’y ai jamais bossé.
- Non ?
- Non. J’étais gardien de prison avant. C’est chez nous qu’ils recrutent les gardiens pour ces cimetières, vu qu’on a moins de boulot dans les prisons, du coup. C’est un genre de compensation, vous voyez ?
- Ah ouais… C’est bien, ça.
- Sûr ! Et puis franchement, les tueurs, je préfère les voir ici qu’en prison.
Plan en main, j’ai commencé mon exploration. L’endroit paraissait un peu foutraque, il y avait des tombes de toutes les formes et de toutes les tailles, même chose pour les pierres tombales, mais l’ensemble répondait néanmoins à une logique et une organisation remarquables.
Je suis arrivée Allée des frivoles. Au moins une stèle sur deux portait la mention « salope ». La poésie du cocu. Allée des coureurs, c’était infiniment plus original ! Déjà les épitaphes étaient beaucoup moins laconiques, plus cyniques aussi, et il y avait des tas de photos de types aux yeux crevés, des poupées transpercées de clous ou d’épingles, des figurines démembrées… Amusant. Un petit groupe de gens en train de cracher et pisser sur une tombe a attiré mon attention. Je suis allée voir. Allée Sarko. Ben tiens.
Il y avait aussi Allée des voisins, Allée loup y a (pour les crimes religieux), Allée les bleus (pour les footeux), Allée Papas, Allée Mamans, Allée… merde ! Allée Poupoune ! Ben ça… Evidemment, à ma façon, j’en avais tué, du monde, mais de là à ce que le monde se venge au point que j’aie toute une allée à mon nom… et les épitaphes… certaines m’évoquaient bien vaguement quelque chose, d’autres pas du tout. Il y avait « Gaffe, je bande encore ». Plusieurs « Poupoune m’a tuer ». Et « Je suis PAS roumain ! », « Même pas mal », « javé pa fé espré ». Et ça : « Alors, on la ramène moins ? » Hé hé… et OH ! Oh c’est trop mignon, ça ! Oooooh... « moi aussi je t’aime, ma petite maman chérie ».

23 janvier 2010

même pas pied (Poupoune)

Depuis le temps qu’on attendait une vraie occasion de se racheter aux yeux du patron et de pouvoir être à nouveau dans ses petits papiers, on n’avait pas l’intention de se louper, sur ce coup, avec Lucien. C’était pas trop compliqué a priori : le gus à dessouder était ficelé dans un entrepôt sous la surveillance d’une petite nouvelle qui ne « devait pas se salir les mains », pour reprendre les mots du patron. On n’appréciait qu’à moitié l’idée de finir le boulot d’un autre – a fortiori le boulot d’une autre – mais on n’était pas en position de faire les difficiles.

La poule donnait dans le trafic de faux-papiers et, pour ce qu’on en savait, le gus était une balance qu’elle avait réussi à piéger. Pourquoi c’est pas elle qui s’en débarrassait, ça, mystère ! Une poule mouillée, sans doute. Quand on est arrivés, la donzelle nous a fait un accueil musclé qu’on se serait cru dans un film. Elle nous a fouillés et c’est tout juste si elle nous a pas demandé nos papiers. Jusque là je m’étais demandé pourquoi une des grues au patron était dans les affaires et pas dans un claque, mais elle devait peser un quintal et ceci expliquait cela. Lucien en menait pas large. Moi non plus, mais c’est lui qu’était entré le premier et je me planquais un peu derrière.

Quand elle a fini par bien vouloir nous croire qu’on était les tueurs au patron, elle a eu un rire que j’aurais mal pris si j’avais été du genre à me vexer et elle est partie, mais pas sans avoir préalablement collé une mandale sonore au gus saucissonné sur sa chaise et nous avoir lancé :

- Essayez d’pas foirer vot’ coup, hein, les buses !

Et elle a encore eu ce rire énervant. Gras et aussi féminin que Raymond quand il tousse depuis qu’il a son cancer.

Le gars ficelé sur sa chaise faisait des grands snurfl pour retenir le sang et la morve qui coulaient de son nez, que la camionneuse venait de lui broyer. Pour quelqu’un qui devait pas se salir les mains, elle l’avait eue plutôt lourde. La main. Lucien a tendu un mouchoir en papier au gars, mais vu qu’il était attaché…

- Bon, c’est quoi qu’il a dit déjà le patron ?

- Ben t’avais pas noté ?

- Ah si… ‘tends, je cherche mon papier…

- Une histoire de sphinx…

- C’était pas un lynx ?

- Je sais plus, Lucien, c’est pour ça que t’avais noté…

Evidemment, il avait paumé son papier, Lucien. Mais bon, le patron, tout c’qu’il demandait, c’est qu’à la fin le type soit clamsé, alors le truc du… sphinx, là, après tout…

- C’était sûrement sphinx, non ? C’est pour ça qu’elle lui a pété l’nez, tu crois pas ?

- 

- 

- Et il est mort comment, ton sphinx ?

- 

- Ou alors c’était lynx, et faut y crever les yeux ?

Du coup il les a écarquillés drôlement, le gus ! Et nous, faut bien dire qu’on n’était pas chauds pour ce genre de trucs. En plus, tout c’qu’on avait sous la main pour le faire c’était le coupe-papier de Lucien que le patron avait bien voulu lui laisser, alors ça nous emballait encore moins. Ah oui… parce que depuis cette histoire où j’avais malencontreusement tué son fils, au patron, il voulait plus qu’on soit armés. C’est pour ça que ça nous aurait bien arrangé que Lucien le retrouve, son papier, parce que ça nous aurait donné une idée de comment fallait qu’on le tue, le gars.

- C’était pas plutôt un truc genre Bouygues, qu’il a dit, le patron ?

- Quel rapport avec ton sphinx ?

- J’sais pas… mais c’était un truc de maison, j’crois, non ?

- Tu sais où ça vit, un lynx ?

- 

- 

J’voyais bien qu’il s’rappelait pas du tout, Lucien. Si au moins il avait pas paumé ce papier.

- Phénix !

On s’est retournés tous les deux comme un seul homme vers not’ macchab’ en devenir, qui faisait des blurp et des bulles avec son sang.

- Hein ? qu’il a fait, Lucien.

- Quoi ? j’ai ajouté.

- Phénix, qu’il a redit. C’est sûrement phénix.

J’ai regardé Lucien qui m’a regardé et j’avais pas l’impression qu’il se rappelait plus que moi. Le gars a lâché un long pffffff… avant de reprendre :

- Phénix. Comme les maisons. Et ça ressemble un peu à sphinx, non ? C’est sûrement ça qu’il a dû vous dire.

- Pourquoi ?

- Ben ça paraît plus plausible que lynx ou Bouygues, non ?

- Hm… développe.

- Vous savez c’que c’est un phénix ?

- 

- 

Au début pas trop, mais là je commençais à avoir un peu envie de le tuer. Il avait le regard comme le patron quand il s’moquait qu’on avait foiré un coup. Puis y a Lucien qu’a retrouvé son bout de papier :

- Ouais ! C’est ça ! « Faites pas encore le coup du phénix » qu’il a dit, le patron !

- Ah… et ça veut dire quoi ?

- 

On s’est encore retournés vers le moribond, qui affichait cette fois carrément un sourire en coin. Comme ça il me donnait finalement bien envie d’y crever les yeux.

- Un phénix, c’est un oiseau qui renaît de ses cendres, les ignares.

- Hein ?

- Ignares, ça veut dire…

J’ai pas vu partir le coup mais j’ai bien entendu le schlac dans sa tronche ! Lucien était plus irritable que moi.

- Humpf…

- Allez, explique, maintenant. C’est quoi ton phénix, là ?

- Et ben rien de plus ! C’est un oiseau qui meure pas ! Il brûle et après hop ! il renaît de ses cendres.

- Ben pourquoi le patron il a…

- Vous m’avez l’air de deux sacrées flèches, les gars ! P’t’êt’ qu’il a dit ça pour vous faire comprendre qu’il fallait pas m’rater, hm ?

- Je sais !

Lucien avait gueulé ça si fort qu’il m’avait fait sursauter. Et le frimeur aussi.

- Tu sais quoi ?

- Ben il veut qu’on le brûle !

Le mec faisait moins le fier d’un coup. Bien fait pour lui. J’étais pas sûr que c’était ça qu’il avait voulu dire, le patron, mais l’idée de cramer l’emmerdeur me plaisait assez.

- Ouais, tu dois avoir raison. T’as du feu ?

- Je dois avoir des allumettes, ouais.

- Super. Comment on va faire prendre le feu ?

Y avait rien à faire flamber dans c’t’entrepôt désaffecté. Le mec a repris son air narquois.

- Y a p’t’êt’ du papier-cul aux chiottes ?

- Y a pas d’chiottes, Lucien. T’as pas un livre, ou un truc comme ça ?... Ouais, non, t’as pas. Des mouchoirs en papier ?

- J’en avais qu’un et maintenant il est tout imbibé d’son sang, là.

- Merde. Ah ben le papier où t’as noté le sphinx !

- Ah ouais !

On n’a jamais réussi à faire partir le feu. Le gars a trouvé moyen de pisser sur les allumettes. J’vous jure, y en a qui reculent devant rien, hein… Alors pour finir on l’a laissé là et on a refermé la porte en partant. Il finirait bien par mourir de faim.

- Dis, Lucien, tu sais à quoi ça ressemble, un phénix ?

- Ben… c’est comme un genre de bergeronnette, mais plus gros. Enfin je crois.

 

16 janvier 2010

Beuglante divine (Poupoune)


avec par ordre d’apparition : Dieu (D), Adam (A), Eve (E), Brigitte (B), Pénélope (P)

 

D : Je peux savoir lequel de vous deux a fait ça ?

A : …

E : …

D : J’attends !

A : … gromeuleuh…

D : Je n’ai rien entendu !

A : … gromeuleuh meuleuh…

D : Adam ! Arrête de ronchonner !

A : …

D : Alors ?

A : C’est pas moi.

 

B : T’as vu, y a Adam qu’est encore en train de se faire remonter les bretelles !

P : Quelles bretelles ?

B : Ah Ah Ah ! Oui, j’suis sotte !

P : Et qu’est-ce qu’il a fait cette fois ?

B : Pffrrt… va savoir ! Sans doute que ça a à voir avec son slip ridicule…

P : Il a piqué celui d’Eve tu crois ? Ah non ! Elle a son string…

B : Oui mais si tu te tais pas un peu on pourra pas savoir, hein !

 

D : Bon, Adam, Eve… J’attends toujours !

A : Méééééé c’est pas moi euh !

E : Couille molle.

D : Oui, Eve ? Quelque chose à nous dire ?

E : …

A : C’est elle !

E : C’est la faute au serpent !

D : DU serpent !

E : Hein ?

D : C’est la faute DU serpent, pas AU…

E : Ah…

D : Bon, de toute façon c’est n’importe quoi !

 

P : Ah ça, pour être n’importe quoi…

B : Tu m’étonnes !

 

A : Eh ! On vous a pas sonné les mégères !!

D : Non mais oh ! Tu te crois où, Adam ? Comment tu causes là ?

A : … gromeuleuh…

E : Alors ça tu l’as pas volée celle-là !

D : Bon ! Assez de bavardages, nom de dieu ! Dites-moi qui diable a décapité ces enfants !

9 janvier 2010

et toujours vert ! (Poupoune)

Je ne sais pas combien de temps encore tout ça aurait pu durer. Je ne sais pas combien de temps encore j’aurais pu endurer ça. Il fallait que ça cesse.

Les nuits sans sommeil à guetter le moindre bruit indiquant sa venue, la terreur et le dégoût de le savoir dans les parages, mais aussi cette angoisse paradoxale qu’il ne revienne plus et que tout s’arrête ici, lentement, dans l’oubli et la folie derrière cette porte close…

Quel genre de vieux pervers faut-il être pour vouloir se prouver ainsi qu’on est toujours vert ? En quoi aurait-ce été si différent qu’il se paie une pute ? Il lui fallait en plus se prouver qu’il était bien le mâle dominant ? Et pourquoi moi ? Pourquoi ? J’ai été gentille, merde ! Je venais toutes les semaines prendre de ses nouvelles, m’assurer qu’il ne manquait de rien, lui faire un brin de causette. Il avait déjà survécu à la canicule, j’aurais dû me douter que cette vieille carne n’était pas si fragile ! Comment ai-je pu être aussi naïve ? Un homme reste un homme, même cacochyme. Putain de campagne de sensibilisation, tiens ! Et vas-y que je te culpabilise les jeunes qui laissent crever leurs vieux… moi je marche à fond dans ces conneries. C’est même pas mon vieux, ce vieux dégueulasse ! C’est le vieux de personne, d’ailleurs, c’est pour ça que j’ai commencé à venir le voir, ce putain de pauvre vieux tout seul si c’est pas malheureux quand même… j’t’en foutrais !

Sous ses airs de vieille loque tremblotante, je ne me suis pas méfiée, forcément ! Comment il a réussi à me traîner jusque là, ça, ça reste un mystère. Mais ce qui est sûr c’est qu’il ne s’est pas passé une journée depuis sans que ce vieux débris puant vienne s’astiquer et me tripoter et me… Oh ! je vais encore gerber !

Et il me laissait là, dans et le froid et l’humidité, à poil, attachée à ce tuyau, dans ma pisse, ma merde et ma gerbe. Tout fier de lui, content d’avoir réussi une fois de plus à faire sa petite affaire. Vieux salopard ! Pour le nouvel an, il s’est pointé avec une bouteille, le con ! Je préfère essayer de ne jamais repenser à ce qu’il m’a fait avec… Mais au moins a-t-il eu la prétention de croire qu’il m’avait trop épuisée pour craindre quoi que ce soit. Il m’a détaché une main pour trinquer « à nous ». Vieux porc dégénéré. Je n’ai pas réfléchi une seconde, j’ai chopé la bouteille et la lui ai fracassée sur le crâne.

Pas si gaillard le vieux libidineux, finalement : il est mort sur le coup. Cette fois, il devient vert pour de bon. Je le vois même déjà tourner au noir par endroit. Mais j’aurais peut-être dû réfléchir une seconde… Cette vieille ordure est crevée, la porte est grande ouverte, mais je ne sais pas où est passée la clef de ces putain de menottes.

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